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LES DÉTERMINANTS DE LA RÉUSSITE EN PREMIÈRE ANNÉE À L’UNIVERSITÉ

I.1. L’influence du milieu social d’origine

La littérature sociologique foisonne de travaux sur les inégalités sociales d’accès au système éducatif et de réussite, héritage en partie des sociologues marxistes des années 1960-1970. Dès cette période, les enquêtes statistiques s’intéressent à la démocratisation de l’école et il en ressort de façon prégnante des inégalités sociales massives. Même si elle date, l’enquête longitudinale de l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED), suivant une promotion de 20 000 élèves sur dix ans, entre 1962 et 1972 est pionnière en la matière et demeure une référence. Elle a permis de mettre à jour l’importance

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de la sélection sociale qui est à l’œuvre tout au long du cursus scolaire. Les « panels » d’élèves de la Direction de l’Évaluation et de la Prospective (DEP) institués par la suite prolongent ces constats. Les inégalités sociales résultant du statut socio-professionnel des parents pour l’accès à l’université et la réussite universitaire sont le cumul d’inégalités sociales réalisées à travers le système scolaire. Des différenciations très précoces se jouent dès la maternelle (Caille, 2001 ; Jarousse, Mingat et Richard, 1992), les bénéfices des préscolarisations ont cependant tendance à s’estomper sur le long terme. Les avantages en termes d’acquis scolaires liés à la scolarisation précoce ont même totalement disparu à l’entrée en sixième (Caille et Rosenwald, 2006). Le primaire regorge lui aussi d’inégalités sociales. Le cours préparatoire (CP) est la classe où les élèves d’origine défavorisée vont rencontrer le plus de difficultés, avec un risque de redoublement très prononcé. Caille et Rosenwald (2006) montrent par ailleurs que la moitié des inégalités observées en fin de primaire sont présentes dès l’entrée dans le primaire, ce qui indique que les écarts de réussite sont joués pour partie en amont. Mais ce résultat indique également que l’autre moitié des inégalités s’est construite au cours des cinq années de scolarité dans l’élémentaire, impliquant un creusement des écarts de réussite et une accentuation des inégalités. Les évaluations à l’entrée en 6ème

, qui permettent une mesure des acquis du primaire, font ressortir que la PCS du responsable de l’enfant explique environ 11% de la variance des scores en français, son diplôme 11,4% et le diplôme de la mère 13,5% (Vallet et Caille, 1996). Le poids de l’origine sociale est plus fort en français qu’en mathématiques (respectivement 7%, 8,4% et 9,3%). Si l’influence du milieu social ne peut être niée, le reste de la variance dépend malgré tout d’autres facteurs. Les écarts de réussite entre les catégories opposées n’en restent pas moins très élevés avec 14 points d’écart aux évaluations d’entrée en 6ème en 2008 en français (score moyen de 57) entre les enfants de cadres supérieurs et d’ouvriers et de 16 points en mathématiques (sur un score moyen de 64) (site du MEN, consulté le 26 juillet 2012)11.

Les inégalités sociales dans la suite du cursus scolaire, dans le secondaire, s’opèrent principalement par le jeu des options et des filières, les inégalités de réussite en tant que telles sont plus difficilement observables sur des taux de réussite bruts. L’analyse des taux d’accès et des compositions des classes et des filières sont les indicateurs privilégiés pour observer les inégalités sociales. Au cours des années 1970-1980 la probabilité d’accéder à la 4ème ou à la seconde augmente à la fois pour les enfants de cadres et pour les enfants d’ouvriers sans que l’écart entre ces catégories ne diminue. Les choix de langues et options reflètent des stratégies mises en place par les parents de milieu favorisé. Les élèves de familles aisées choisissent plus souvent en première langue l’allemand (Caille, 1996 ; Duru-Bellat, 1994) ou encore font plus souvent partie de classe bilingue. Le choix d’apprentissage d’une langue ancienne se retrouve également plus fréquemment dans les groupes sociaux favorisés. Ces stratégies sont développées par les familles les plus aisées pour recréer une hiérarchisation dans un système qui

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vise à supprimer les filières d’élites officielles. Les familles plus populaires ne maîtrisent pas les rouages internes trop subtils (Duru-Bellat et Van Zanten, 2009) permettant aux plus favorisés de préserver un « entre-soi ». De la même façon, les taux d’accès au baccalauréat explosent mais une hiérarchisation des filières et des séries de baccalauréat s’est installée selon les catégories sociales, avec une série scientifique prisée par les enfants de familles aisées et à l’inverse une forte présence des enfants d’employés et d’ouvriers dans les séries technologiques et professionnelles (cf. chapitre I., II.3.). Néanmoins, ces différences sont certainement aussi le reflet d’une certaine différence de réussite scolaire résultante des choix d’orientation antérieurs.

L’entrée dans les filières universitaires est de plus en plus conditionnée par les séries de baccalauréat, auxquelles s’ajoutent l’auto-sélection des étudiants selon leur baccalauréat (Michaut, 2012). Le parcours dans le secondaire fait office de « filtre » et l’entrée dans l’enseignement supérieur est dépendante de la réussite dans le secondaire (Felouzis, 2000 ; Grignon et Gruel, 1999). Les inégalités sociales dans l’enseignement supérieur se traduisent ainsi dans une hiérarchisation des filières par répercussion d’un classement déjà établi (cf. chapitre I, II.2.). Il importe de savoir si, au-delà des effets de composition liés à une certaine homogénéisation du public par filière, les élèves de groupes sociaux différents réussissent différemment. Cet effet de l’appartenance sociale sur la réussite peut être observé par les résultats aux examens pour des étudiants d’une même filière, mais également à travers les taux de réussite en deux ans des anciens DEUG ou en trois ans des nouvelles licences, ou encore les taux d’abandons. Il convient d’être prudent quant à l’interprétation de la réussite tant il est complexe de déterminer si les écarts de réussite entre filières et entre secteurs (sélectif versus non sélectif) sont le fruit d’exigences variées des enseignants ou des compositions scolaires et sociales du public d’étudiants (Michaut, 2012).

La littérature sur les inégalités sociales de réussite dans l’enseignement supérieur laisse envisager que la sélection opérée antérieurement a pour conséquence une moindre influence de l’origine sociale au niveau universitaire. La réussite d’un parcours « sans faute » mesurée par l’obtention d’une licence en trois ans n’est pas dépendante de la profession des parents, quand sont contrôlés les autres facteurs, notamment les caractéristiques scolaires (Dethare et Lemaire, 2008 ; Felouzis, 2000 ; Grignon et Gruel, 1999 ; Michaut, 2000 ; Morlaix et Suchaut, 2012). L’origine sociale conserve un impact sur une dimension plus « négative », la sortie de l’enseignement supérieur sans diplôme mais elle ne joue pas de façon univoque selon les cursus. Les étudiants en droit d’origine favorisée ont une meilleure probabilité de poursuivre leur cursus alors que les enfants d’ouvriers ont une probabilité d’abandonner multipliée par 1,7 (Felouzis, 2000). Un constat opposé est réalisé en sciences où les enfants d’ouvriers sortent moins souvent que les enfants de cadres sans diplôme. Felouzis (2000) émet l’hypothèse d’une stratégie « d’attente » pour les enfants de milieux favorisés postulant sur des filières dans le secteur sélectif des classes préparatoires ou écoles d’ingénieurs. Les sciences, soumises à la concurrence, perdraient leurs étudiants socialement favorisés alors que le droit, discipline uniquement universitaire,

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maintiendrait une pression à laquelle seuls les étudiants plus avertis sont plus résistants. La fréquence plus élevée d’abandons en sciences, de la part des étudiants aisés, pourrait aussi s’interpréter par le fait que ce sont, parmi eux, les moins bons scolairement qui entrent à l’université quand leurs pairs sont dans le secteur sélectif, et que c’est du fait de leur niveau scolaire plus faible qu’ils abandonnent. Cette possibilité reste théorique, sachant que les tendances en face de l’échec sont plutôt dans la persistance et l’entêtement dans les études chez les étudiants de milieux aisés, alors que les étudiants de milieux modestes ont une plus grande probabilité d’abandonner.

Les inégalités se manifestent donc dans la poursuite d’études, dans les parcours, mais ne sont plus visibles directement sur la réussite. La part d’explication de l’origine sociale dans la variance de la réussite est faible. Ces résultats sont confortés par l’analyse de Galand et al. (2005) qui répertorie un ensemble de travaux montrant une corrélation entre la réussite et le milieu social mais où la part de variance expliquée ne varie que de 1% à 5%. Ce constat est controversé par Van Campenhoudt, Dell’Aquila et Dupriez (2008) qui considèrent que la profession des parents, leur diplôme ou le revenu familial exercent une influence « incontestable » sur la réussite. Ces derniers arguent du fait que les faibles effectifs d’étudiants défavorisés en université diminuent mécaniquement la part de variance expliquée.