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APPROCHE DES CAPACITÉS COGNITIVES ET DE LEUR RÔLE DANS LES APPRENTISSAGES

I.2. L’étude de la mémoire en psychologie cognitive

I.2.4. La mémoire à court terme et la mémoire de travail

La mémoire à court terme permet pour sa part le maintien de l’information plus longtemps que la mémoire sensorielle, la durée de stockage est approximativement de l’ordre de quelques secondes (environ 15 secondes). Ainsi si les effets visuels ou auditifs mesurés dépassent l’unité de ms alors l’information est bien retenue par le cerveau mais n’est plus stockée dans la mémoire sensorielle, elle est maintenant stockée dans la mémoire à court terme. Le stockage en MCT en termes de capacité et de durée est limité. Il est donc impossible d’encoder une quantité illimitée d’informations. Il est à noter que le codage en MCT se fait sous différents formats tels des codes de type verbal, visuel et sémantique.

Le modèle de la mémoire à court terme a été élaboré par Atkinson et Shiffrin (1968). Aujourd’hui les psychologues appellent la mémoire à court terme, la mémoire de travail (MDT). En effet, la dimension

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active de ce système est mise en avant. Ce sont Baddeley et Hitsch (1974) qui ont initié la notion de mémoire de travail. Pour Baddeley (1993), la MDT permet de « maintenir disponibles des informations perçues et d’activer les connaissances et les procédures qui sont nécessaires à leur traitements ». Son rôle est essentiel et occupe une place importante dans les modèles cognitivistes (Crahay, Dutrévis et Marcoux, 2010). Elle est impliquée dans la compréhension du langage, la résolution de problèmes, la réalisation de tâches de complexité variable, l’acquisition de nouvelles connaissances ainsi que le traitement des images et de l’espace (Baddeley, 1993).

Les informations y sont donc stockées temporairement afin d’être soit transmises en MLT soit oubliées. Les opérations mentales intervenant dans de nombreuses activités cognitives telles le raisonnement, l’inférence, la prise de décision, etc. se déroulent au sein de la MDT. De manière plus générale, ce qui est inhérent à la MDT c’est que celle-ci est sévèrement limitée par rapport à la quantité d’informations qu’elle peut encoder, maintenir et rappeler. Les capacités de mémoire de travail d’un sujet sont évaluées grâce à la mesure de l’empan mnésique, c'est-à-dire la quantité d’informations pouvant être stockées en MDT. L’empan moyen adulte est de 7 plus ou moins 2 items (ou éléments). Toutefois le sujet peut mettre en place des stratégies afin d’améliorer sa capacité de stockage d’informations comme le chunking qui est fréquemment observé dans le domaine de l’expertise (Chase et Simon, 1973). Cette stratégie consiste à faire des chunks c’est-à-dire à regrouper les items entre eux afin d’obtenir un gain de stockage des informations. Par exemple, pour apprendre une liste de chiffres, la MDT va encoder les chiffres jusqu’à sa limite de 7 chiffres mais pour dépasser cette limite elle va pouvoir en encoder au maximum 7 chunks constitués de groupes de 3 chiffres lui permettant d’atteindre un maximum de 21 chiffres. Il est à noter que la quantité limitée d’informations que peut stocker la MDT est la contrainte la plus importante de tout le système cognitif et que si la MDT avait une capacité de stockage plus importante ou même si elle était illimitée alors l’ensemble du fonctionnement du cerveau même en serait profondément modifié (Lemaire, 1999). Par ailleurs sa durée de stockage est également un frein majeur car si l’information n’est pas répétée elle est rapidement oubliée.

Le dernier modèle de Baddeley (2000) sur la mémoire de travail dans lequel il prend en compte la MLT est un modèle plus global qui comprend plusieurs systèmes interagissant entre eux à savoir un administrateur central, un calepin visuo-spatial, une boucle phonologique (ou boucle articulatoire), et un buffer épisodique (ou mémoire tampon épisodique), élément ajouté dans le dernier modèle. La figure 1 résume l’organisation de ces éléments.

Il est important d’observer que dans ce schéma tous les systèmes dépendent du système central, ainsi c’est l’administrateur qui gère l’ensemble des composants. Il gère en effet l’attention afin d’accomplir une tâche intellectuelle ou motrice permettant également l’automaticité (par exemple pour conduire une voiture quand on n’est pas expert, au début, il est difficile de réaliser deux tâches en même temps

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comme de parler en même temps que de conduire, progressivement la conduite devient automatique et il devient possible de conduire en parlant). Il contrôle également l’activité en gérant des priorités de déroulement (par exemple si le sujet conduit en mangeant et qu’un ballon surgit sur la route alors l’administrateur central va décider d’arrêter de manger pour se reconcentrer sur la route afin d’éviter le ballon). C’est l’administrateur central qui décide lequel ou lesquels des éléments, parmi la boucle articulatoire, la mémoire tampon et le calepin visuo-spatial, doivent intervenir.

L’administrateur central exerce quatre fonctions. Il coordonne les opérations nécessaires à l’exécution d’une tâche ou de plusieurs tâches simultanées. Cette coordination comprend la gestion de l’attention portée aux tâches verbales et visuo-spatiales (cf. exemple de la conduite) et par conséquent des priorités. Il doit également rompre les automatismes, c'est-à-dire les inhiber au profit de la réalisation de la tâche demandée. C’est la fonction qui est mise en avant dans la tâche de Stroop (1935). En outre, l’administrateur central doit sélectionner les informations qui doivent être traitées, activées ou inhibées. La définition de la pertinence des informations est un enjeu dans de nombreuses tâches. Les stimuli doivent être triés, les connaissances en MLT doivent être activées si nécessaire en fonction du stimulus, et dans le même temps les autres informations et activités doivent être inhibées. Enfin, il doit gérer les connaissances et le fonctionnement de la mémoire à long terme. « Il recherche et active aussi bien les procédures que les connaissances qui sont nécessaires pour effectuer une tâche mais aussi il les maintient en activité et les manipule » (Rossi, 2005). Cette fonction est primordiale dans l’utilisation des connaissances stockées tout comme dans l’acquisition de nouvelles connaissances.

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MEMOIRE DE TRAVAIL

Figure 1 : Représentation de l’organisation des différentes unités de la mémoire de travail (Rossi, 2005 sur la base du modèle de Baddeley, 1993, 2000)

Chaque système a un rôle à jouer permettant chacun la réalisation de plusieurs tâches différentes. Ces systèmes sont appelés « systèmes esclaves » car ils obéissent à l’administrateur central.

Le calepin visuo-spatial (Shepard et Metzler, 1971) permet le traitement du matériel visuo-spatial. Il stocke les images et les tient disponibles pour le traitement. Il constitue donc un système de codage et de manipulation à la fois des formes visuelles et des images mentales ainsi que de la référence spatiale des objets. Il permet la rotation mentale, l’exploration de l’image mentale, le codage ou recodage spatial. Les théories de l’image mentale et de la double tâche présentée précédemment (Brooks, 1968 ; Baddeley et Hitsch, 1974) sont à l’origine du concept du calepin visuo-spatial et les expérimentations valident l’existence d’un traitement autonome et indépendant des caractéristiques visuelles et spatiales des objets et des environnements (Rossi, 2005).

La boucle articulatoire remplit une fonction de traitement du matériel verbal avec un maintien de l’information verbale permis par « l’unité de stockage phonologique » (Baddeley, 1993). Elle permet

Stimuli sensoriels Boucle articulatoire - Traitement phonologique - Contrôle articulatoire Mémoire tampon épisodique Calepin visuo-saptial - Traitement visuel - Traitement spatial Administrateur central - Coordination

- Rupture des automatismes

- Sélection des informations à traiter, activer ou inhiber - Manipulation des différentes connaissances stockées en MLT

Mémoire à long terme contenant des connaissances et des procédures

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également un « contrôle articulatoire » qui code phonologiquement les informations graphiques et gère le langage intérieur nécessaire tant à la répétition sub-vocale qu’aux raisonnements complexes. Le contrôle articulatoire correspond en fait à un « langage interne », développant des schémas articulatoires. Le stockage phonologique correspond pour sa part à des images phonologiques stockées en mémoire qui servent à comprendre le langage parlé. Cette compréhension est permise par la reconnaissance des mots (leur image), mais aussi par l’activation de leurs sens. Le « parler interne » est, selon de nombreux auteurs, indispensable à la réalisation de tâches complexes (Rossi, 2005).

Le dernier système esclave, le « buffer épisodique », est un système ajouté récemment par Baddeley (2000). L’idée principale est qu’il est un système épisodique à court terme retenant l’information en mémoire transitoire. A court terme car il stocke l’information temporairement pendant la durée de réalisation de la tâche. Cette mémoire tampon a un caractère épisodique du fait du stockage dans un contexte particulier.

Ce nouveau modèle est globalement lié aux capacités d’apprentissage et de réussite. En effet la mémoire de travail gère les opérations de stockage et de traitement, ce qui est un rôle central dans toute forme complexe de pensée. La MDT est étroitement liée avec les facteurs intellectuels, notamment les intelligences cristallisée et fluide que nous détaillerons par la suite. Par ailleurs, il est important de relever que la MDT a un rôle majeur dans les troubles des apprentissages. Dans les cas de dyslexie, de dyscalculie, de dysorthographie ou bien encore de dysphasie, la MDT est atteinte. Concernant les capacités d’apprentissage et de réussite, la vitesse de traitement est essentielle. En effet, elle est corrélée aux aptitudes mentales, à la lecture, au raisonnement à travers la gestion des ressources cognitives et par conséquent à la mémoire de travail. Il existe par conséquent un lien étroit entre la MDT et les différentes formes de mémoires définies précédemment ainsi qu’avec les troubles des apprentissages.

Des modèles différents de la mémoire de travail ont été proposés avec une conception unitaire de la MDT (Cowan, 2001 ; Engle et Kane, 2004). L’approche de Cowan (2001) est fonctionnelle, il considère la MDT comme la partie active de la mémoire. Engle et Kane (2004) ont une approche qui repose plus principalement sur les ressources attentionnelles, les capacités en MDT permettraient de contrôler et soutenir l’attention. Ces capacités attentionnelles sont variables selon les individus et conditionnent les apprentissages ainsi que la réalisation de tâches complexes. Barrouillet et Camos (2007) définissent pour leur part la MDT comme « une structure ou un ensemble de processus dédiés au contrôle et à la régulation des traitements ».

Dans cette perspective, les recherches s’intéressent de plus en plus au focus attentionnel et à son contrôle qui est au centre des traitements. Il semble qu’il intervienne dans tout processus d’apprentissage par son rôle de maintien de l’attention sur des informations spécifiques et de conservation dans l’espace de traitement, tout en inhibant les éléments non pertinents. La MDT est en

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ce sens crucial dans les apprentissages. Lépine, Barrouillet et Camos (2005) ont montré que les capacités en MDT sont de très bons prédicteurs des apprentissages scolaires et particulièrement des activités de haut niveau. L’importance de la MDT en psychologie cognitive prend une ampleur telle que Barrouillet et Camos (2007) font le constat qu’elle tend à se substituer à la notion d’intelligence dont les définitions sont trop floues. La mise en avant du rôle crucial de la MDT dans la littérature quant à son influence sur les apprentissages nous a amené à nous intéresser plus particulièrement à cette composante dans la suite de ce travail. Outre les mémoires transitoires qui viennent d’être présentées, il convient de s’intéresser également à la mémoire à long terme pour compléter la description du traitement de l’information.