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II.3. Hétérogénéisation de l’origine sociale des étudiants

I.1.1. Les abandons et les étudiants fantômes

Différentes tentatives d’explication de l’abandon sont avancées en économie. L’une d’entre elles renvoie à la sortie du système éducatif comme une stratégie développée par les étudiants, alors que l’abandon est d'habitude connoté négativement dans le sens où la sortie du système sans diplôme apparaît comme un échec. Ce postulat repose sur le système d’information imparfait qui entoure l’enseignement supérieur et qui contraindrait les étudiants à prendre une décision sur leur poursuite d’études sans une connaissance de toutes les informations. L’option qui s’offrirait alors aux étudiants serait celle de l’expérimentation (Manski, 1989). Elle leur permettrait de tester l’enseignement supérieur en s’inscrivant, puis de décider de l’opportunité de poursuivre ou au contraire d’arrêter en s’orientant vers le marché du travail dans le cas où la poursuite d’études s’avèrerait trop risquée en terme d’échec et donc peu rentable.

Le manque d’information est un des éléments majeurs qui joue sur le parcours du jeune puisqu’il est en déficit de transparence quant à ce qui l’attend dans l’enseignement supérieur. L’orientation a, à ce titre, un rôle dans la prise de décision, mais elle-même ne fonctionne que partiellement : elle contribue à l’information des étudiants tout en ne palliant pas à l’opacité entourant le fonctionnement de l’université. Les étudiants eux-mêmes déclarent une orientation déficiente qui s’explique à la fois par une complexification de l’université, une diversité du système d’enseignement supérieur (Chevaillier, Landrier et Nakhili, 2009) et un système d’information insuffisamment performant (Galland, 1995). Galland (1995) précise à ce titre l’existence d’un lien entre l’insatisfaction du choix et le manque

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d’information. Cet auteur mentionne que 63% des étudiants déclarent manquer d’informations pour faire leur choix. Ce passage de l’enseignement secondaire à l’enseignement supérieur est spécifique dans le sens où les choix d’orientation ne résultent non plus de recommandations des enseignants (comme c’est le cas dans le second cycle) mais d’un choix personnel de l’étudiant ou bien de « décisions de jurys de sélection d’établissements d’accueil » (Guichard, 1999). Ce palier d’orientation entre le secondaire et le supérieur est chargé d’enjeux, la qualité du diplôme prenant l’ascendant sur le niveau de sortie (Duru-Bellat, 2006). Le processus repose essentiellement sur l’information, dont la maîtrise n’est pas équivalente selon les milieux (Chevaillier, Landrier et Nakhili, 2009). Il en découle de nombreuses inégalités.

Le choix des filières, marquées scolairement et socialement, n’est pas anodin au regard des probabilités d’abandonner. Les filières ayant un lien plus fort en termes disciplinaires avec le contenu des enseignements du secondaire comptent moins d’abandons. C’est le cas des cursus d’ingénieurs, de classes préparatoires, médicaux et paramédicaux et de sciences, qui comprennent principalement des bacheliers scientifiques. Ces derniers sont familiers des contenus enseignés. A l’inverse, les filières où l’abandon est plus marqué sont souvent celles dans lesquelles les enseignements ne sont pas dispensés dans le secondaire (droit, AES, ou encore psychologie, Convert, 2008). Ces filières pâtissent à la fois d’un effet « d’essai » de la part d’étudiants indécis et potentiellement d’un effet « nouveau départ », les étudiants en retard scolairement sont plus concentrés dans ces filières qu’ils considèrent comme une nouvelle chance en leur permettant une tentative dans une discipline où le passé scolaire est vierge.

Certaines hypothèses économistes (Mingat, Eicher, 1979), à la suite de sociologues (Boudon, 1973, 2001) supposent que l’individu est acteur et décisionnaire de ses choix et que ceux-ci sont le reflet d’une réflexion coût-avantage. Tous les cadres théoriques ne valident pas ce postulat. Beaud (2002), dans une approche plus sociologique, qualifie l’abandon comme étant subi et non choisi par les étudiants d’origine modeste. Ces derniers, n’ayant pas les clés pour s’adapter aux codes universitaires, seraient voués à l’abandon ou l’échec. L’abandon ne pourrait alors pas s’interpréter en termes de stratégies mais plutôt comme un choix par défaut, contraint, face à une impossibilité de poursuivre, de surmonter la première année qui semble inabordable.

Felouzis (2001) qualifie également l’abandon de progressif. Les causes de cet abandon peuvent être attribuées, selon le vécu des étudiants, à un manque de travail, un manque de motivation, un manque d’encadrement et une trop grande autonomie. L’analyse de certains parcours d’étudiants qui abandonnent permet de dégager également une distance face à une culture scolaire et sociale nécessaire à la réussite. La prise de conscience de la distance en termes de langage, d’acquis, de maîtrise de normes implicites dont les étudiants d’origine modeste prennent l’ampleur en cours, en

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comparaison avec leurs pairs issus de milieux plus favorisés, est un facteur de démobilisation, de diminution de l’estime de soi, voire de honte. Cette distance sociale et scolaire était déjà soulignée par Bernstein (1975) par le biais du langage différencié selon les milieux sociaux en « code restreint » et « code élaboré », le langage des milieux plus favorisés ayant une proximité plus grande avec la norme scolaire. Au regard de cette prise de conscience, les étudiants remettent en cause leur investissement et entrent dans une dynamique d’abandon.

Une distinction peut être établie entre les étudiants « fantômes » et les étudiants qui abandonnent dans le sens où les premiers ne sont pas visibles pédagogiquement et ne se présentent pas aux examens quand les seconds peuvent être présents en cours mais abandonner leur cursus, soit avant la première session d’examen, soit suite aux résultats du premier semestre ou encore au cours du deuxième semestre. Legendre (2003) relève que les abandons sont plutôt précoces, parmi les étudiants inscrits en première année, en échec, et qui ne se réinscrivent pas l’année suivante, « plus de la moitié n’est pas restée plus de quatre mois ». Pour Lelong et Raoul (2012) sur une population également de non-réinscrits mais sur des universités différentes, la fréquence des abandons intervient plutôt au cours des mois de janvier, février et mars. La première « vague » d’abandons correspondrait à une affiliation échouée, qualifiant plutôt une population fantôme, quand la seconde semblerait résulter de la session d’examens et a priori des échecs à ces derniers.

Beaupère et Boudesseul (2009) soulignent que l’abandon ne se date pas par un moment précis, mais est le résultat d’un processus qui se caractérise entre autres par une diminution de l’assiduité en cours. Certains éléments apparaissent malgré tout comme déclencheurs et sont relevés par les auteurs dans le discours des étudiants, à savoir plus particulièrement des résultats insuffisants aux examens. Ces abandons peuvent intervenir suite au découragement lié à la prise de conscience du travail à effectuer ou de la distance qui les sépare de la réussite. Ils peuvent également se produire suite à un échec aux examens du premier semestre, première sentence qui leur permet de juger de leur compétence et niveau d’acquisition par rapport à ce qui leur est demandé. Au vu de leurs résultats, les étudiants trop éloignés des exigences des enseignants peuvent juger non opportun de poursuivre leur cursus plus avant. Ils quittent alors le système d’enseignement pour un parcours qu’ils estiment plus en adéquation avec leur envie ou leur compétence et peuvent se tourner vers le marché du travail. Ce comportement s’inscrit dans la théorie de Boudon (1973, 2001) dans laquelle il postule que l’individu décide de sa poursuite d’étude en fonction d’un calcul coûts/avantages, ce calcul menant à une autosélection plus forte quand l’étudiant estime son niveau inférieur à ce qui est demandé.

Les difficultés auxquelles font face les étudiants au cours de leur première expérience du monde universitaire, qu’elles soient d’ordre académique, motivationnelle, pratique, ne sont pas toutes à l’origine d’un renoncement définitif. La remise en question de l’étudiant lors de cette confrontation à

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une expérience négative peut le porter à quitter l’enseignement supérieur, mais elle peut également déboucher sur d’autres perspectives alternatives, le redoublement ou la réorientation.