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II.3. Hétérogénéisation de l’origine sociale des étudiants

I.1.5. Intérêts de ces distinctions

Ces différentes distinctions sont nécessaires pour cerner de façon précise les parcours des étudiants et les situations très hétérogènes qui en découlent. Beaupère, Chalumeau, Gury et Hugrée (2007) regroupent certaines de ces situations pour considérer au final quatre catégories d'étudiants.

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1) Les décrocheurs et les étudiants en échec forment le premier groupe. On y retrouve les étudiants qui redoublent, ceux qui se réorientent, ceux qui sont démobilisés ou déscolarisés. Les termes employés pour ces différents cas de figure laissent à penser que les décrocheurs peuvent faire l’objet d’un repérage et que ceux en échec peuvent bénéficier d’aides, de médiations pour enrayer les difficultés.

2) Le second groupe concerne ceux qui abandonnent ou renoncent. Les auteurs soulignent la particularité de ces termes utilisés spécifiquement pour l’enseignement supérieur et qui semblent liés à l’université de masse. Ce groupe se différencie du premier par le caractère « inéluctable » de l’abandon quant le premier laissait supposer qu’une lutte contre l’échec était possible.

3) Le troisième groupe est composé des étudiants fantômes, qui abandonnent avant la passation des examens.

4) Enfin le quatrième groupe, appelé les « IV+ » regroupe les jeunes qui ont suivi un ou deux ans de formations après le baccalauréat, niveau IV, mais qui n’ont pas certifié leur niveau de diplôme et pour qui la valorisation de ce niveau est difficile sur le marché du travail.

Felouzis (2001), pour sa part, distingue trois parcours d’études, à savoir les processus d’abandon et de réorientation, les processus d’échec et de redoublement et enfin les processus qui mènent à la réussite. Cette distinction permet, on le perçoit, de former trois grands groupes d’étudiants, ceux qui sont en échec et qui quittent leur filière, ceux qui sont en échec mais qui persévèrent et ceux qui réussissent. Selon les classifications opérées, on imagine aisément que différentes interprétations des cursus étudiants et de leur réussite sont possibles. La délimitation précise des groupes opérés pour mesurer la réussite est une nécessité pour les travaux s’intéressant à la réussite étudiante et leur parcours.

Plus particulièrement, ce sont les parcours de ceux qui décrochent qui sont intéressants pour éclairer le rôle de l’université dans la prise en charge de l’ensemble des étudiants. Les parcours de ceux qui réussissent, même s’ils ne sont pas tous linéaires, aboutissent au but de formation, ceux qui redoublent ou se réorientent restent actifs et inscrits dans une dynamique de formation. Ceux qui décrochent par contre sont « perdus » par l’université. Quels sont les facteurs qui peuvent mener au décrochage universitaire ?

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I.2. Les différents profils des décrocheurs

Comme nous l'avons souligné précédemment, la sortie de l’enseignement supérieur se traduit en divers chemins et trouvent différentes causes. Elle intervient suite à un abandon qui peut avoir lieu tout au long de l’année. Les premiers abandons, si l’on peut les qualifier comme tels, sont le fait d’étudiants inscrits qui ne viendront jamais ou très peu en cours et qui ne se présentent pas aux examens. Ces derniers, « les étudiants fantômes » ont des stratégies complexes à déterminer du fait qu’une fois sortis du système, il est difficile de connaître leur parcours et les raisons qui les ont poussés ou contraints à quitter l’enseignement supérieur.

Il ne peut être nié qu’une part des étudiants « fantômes », recouvre des individus inscrits uniquement dans un but de profit statutaire. Le statut étudiant apporte en effet des avantages « en termes de couverture sociale, de restauration, de réductions diverses » (Simon, 2006). D'autres profils se distinguent au sein des étudiants « fantômes ». Ils semblent pouvoir être scindés entre ceux qui quittent l’enseignement avant quatre mois et ceux qui poursuivent au-delà de ces quatre mois, durée qui semble marquer la rupture des vacances de Noël après laquelle le premier groupe d’étudiants ne revient pas. Legendre (2003) situe ce groupe à l’étape que Coulon (1997) qualifie d’ « étrangeté », ces étudiants ne parviennent pas à dépasser cette phase, à s’approprier les règles de fonctionnement de l’université. Leur affiliation institutionnelle ne s’établit pas, pas plus qu’une socialisation avec le groupe de pairs. L’acculturation au monde étudiant n’est pas entamée et la situation est vécue comme anomique (Legendre, 2003). Le devenir de ces étudiants n’est pour autant pas une sortie définitive des études, selon les travaux de Legendre (2003) la majorité d’entre eux reprennent une formation courte de type BTS ou DUT. On imagine aisément que le cadre et la proximité de fonctionnement de ces formations avec l’enseignement secondaire ont valeur de réassurance auprès de ces étudiants.

D'après Legendre (2003) l’autre groupe d’étudiants qui persiste jusqu’à la fin du premier semestre, et pour certains jusqu’au début du second, parviennent à la phase d’apprentissage ou d’adaptation (Coulon, 1997). Leur affiliation institutionnelle est réussie, et ils s’attachent plus au travail universitaire en lui-même. Cependant, ils ne parviennent pas à finaliser l’affiliation, ici dans sa dimension intellectuelle, au monde universitaire. Les critiques qu’ils avancent sur le milieu universitaire sont d’ordres pédagogique et organisationnel. Ces étudiants, une fois sortis de l’enseignement supérieur, se détachent des études et investissent davantage la vie professionnelle, ils relatent une expérience échouée des études qui les en éloignent.

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Mis à part ces étudiants « fantômes », de nombreux profils d’étudiants ont été répertoriés pour qualifier les sorties de l’enseignement supérieur. Les termes employés d’ailleurs sont multiples, qu’ils qualifient la sortie ou les étudiants : l’échec, l’abandon, les décrocheurs, les IV+3, etc. Si l’on considère l’échec comme l’échec académique, l’échec aux examens, l’abandon peut découler de l’échec. Mais il peut aussi résulter, on l’a vu d’une inadaptation au monde étudiant. Cet abandon peut se traduire par une réorientation vers un autre cursus avec un changement de filière ou avec l’intégration d’une formation supérieure courte. Il peut aussi se traduire par une sortie définitive des études et une insertion professionnelle. On voit bien ici se dessiner différentes causes de l’abandon et différentes conséquences. Nous reviendrons dans un chapitre ultérieur sur les facteurs d’échec mais nous allons voir plus avant ici les profils des étudiants qui abandonnent et en quoi les causes de cet abandon sont finalement intrinsèquement liées aux conséquences.

Beaupère et Boudesseul (2009) se sont intéressés aux sorties sans diplômes dans une approche sociologique en proposant une typologie des étudiants décrocheurs sur la base de soixante entretiens. Quatre groupes d’étudiants sont distingués. Ils permettent de cerner à la fois leur lien avec le monde universitaire et celui avec le monde professionnel, deux dimensions étant prises en compte, à savoir « la valorisation des diplômes » et « l’anticipation de l’insertion professionnelle ». Les « studieux pris au dépourvu» et les « raccrocheurs » sont deux groupes accordant de la valeur aux diplômes, ils se distinguent par le fait que les premiers sont centrés sur la voie des études universitaires quand les seconds envisagent leurs études comme porte d’accès à l’activité professionnelle. Les « studieux » s’évaluent comme de bons élèves même si leur niveau réel est plutôt moyen, avec souvent un redoublement dans leur scolarité. Leurs bons rapports avec les enseignants et la plus grande distance qu’ils avaient au lycée avec leurs pairs entretenaient cette image de bon élève. L’entrée à l’université est un « choc » dans le sens où ils ne retrouvent plus ces repères, l’autonomie dont ils font preuve ne suffit pas, et leur acharnement au travail n’est pas payant. Le recours à l’aide auprès de pairs n’est pas un fonctionnement qu’ils ont intégré et les enseignants ne sont plus aussi accessibles. Ils sont isolés et démunis face à leur échec qu’ils ne comprennent pas. Ne s’étant pas posé la question de l’insertion et du projet professionnel, les études étant pour l’instant le chemin tracé, ils rencontrent des difficultés une fois qu’ils ont abandonné les études. Ils doivent revoir leurs objectifs et renoncer au diplôme qu’ils envisageaient. De l’autre côté les « raccrocheurs » décrits par Beaupère et Boudesseul (2009) sont beaucoup moins remis en question par cet échec à l’université. Ils s’y sont inscrits dans un parcours logique après le lycée, mais n’avaient pas autant d’attente que les « studieux ». Ils rebondissent beaucoup plus vite et se réorientent vers une formation, souvent plus courte. Cette réorientation intervient majoritairement après qu’ils aient fait l’expérience du marché du travail et les

3 En France, la nomenclature agrégée des diplômes se répartit en six niveaux. Elle a été complétée par un septième niveau suite à la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur. Le niveau IV+ qualifie le niveau de formation des sortants sans diplôme de l’enseignement supérieur.

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confortent dans le fait qu’ils valorisent le diplôme, que celui-ci est nécessaire pour avoir un emploi offrant des perspectives. Ils ne perçoivent donc pas l’abandon du cursus universitaire comme un échec mais plus comme une expérience, leur réactivité leur permet de s’adapter à la situation et trouver rapidement une solution alternative.

Beaupère et Boudesseul (2009) distinguent par ailleurs deux autres types d’étudiants pour qui la valeur du travail prime sur la valeur du diplôme, à l’inverse des « studieux » et des « raccrocheurs ». Les premiers sont qualifiés d’ « opportunistes en emploi ». Comme le laisse entendre le terme employé, ils quittent l’université lorsqu’ils ont trouvé un emploi, leur but principal étant d’éviter la situation « sans rien ». Ils poursuivent donc leurs études universitaires perçues comme une solution d’attente et comme une expérimentation. Leur projet professionnel n’est pas défini et cette période d’attente leur permet de repousser les choix pour mûrir une réflexion sur leur projet professionnel. Leur expérience de salariés ou bénévoles au cours de leurs études leur permet de faire un lien avec le monde du travail vers lequel ils se dirigent plus facilement, d’autant qu’ils remettent en question la valeur des diplômes. Leur vision s’attache plus à une sécurité à court terme et ils relativisent leur abandon d’études par les emplois qu’ils ont pu obtenir par la suite, bien qu’ils perçoivent les limites de perspectives qu’ils peuvent offrir. Le dernier groupe d’étudiants, nommé les « décrocheurs en errance » semblent être dans une impasse, dans le sens où suite à leur abandon de l’université ils ne savent pas s’ils doivent reprendre leurs études ou travailler. Si bien qu’ils alternent entre les deux activités. L’orientation est beaucoup mise en cause, leur investissement est faible et leurs notes ou leur échec aux examens contribuent à les démotiver. La sortie des études qu’ils n’avaient pas envisagée les laissent face à des difficultés quant à leur projet. Ils se rapprochent en ce sens des « studieux », car ils ne sont pas prêts et le parcours qui suit leur sortie est chaotique. Ils sortent du système éducatif quand l’incompatibilité est trop grande entre leur travail et les études. Ils se retrouvent souvent dans des emplois grâce à leur réseau familial et relationnel, mais leur stabilisation sur le marché de l’emploi est difficile.

Cette typologie laisse transparaître les multiples facteurs qui alimentent l’échec universitaire, le niveau scolaire, l’intégration dans le monde étudiant, la motivation, le projet professionnel, etc. La prégnance de ces facteurs selon les individus les pousse à poursuivre des voies différentes, vers l’emploi, souvent sous contrainte de déclassement, ou vers un retour à la formation. Cet éclairage cependant souffre du regroupement de tous les étudiants indifféremment des filières, alors qu’elles ne sont pas touchées par l’échec dans une même ampleur et regroupent des étudiants ne présentant pas les mêmes profils. Les taux de réussite varient en effet fortement entre les filières mais également entre les sites des universités au sein d’une même filière. En outre, l’absence aux examens est plus fréquente dans les filières à dominante littéraire que dans les filières scientifiques (Jarousse et Michaut, 2001). Le contexte importe donc ainsi que la discipline dans les abandons.

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Nous allons à présent nous attarder sur la réalité de l’échec dans l’enseignement supérieur et plus particulièrement à l’université.