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ET RÉPARATION DU TORT MORAL PAR L ’ ETAT

B. Justifications à la base de l’intervention financière de l’Etat

3. Responsabilité de l’Etat ?

Au-delà des motifs de politique sociale et criminelle, les justifications à la base de l’indemnisation publique posent la question plus incisive de savoir si la vic-time d’une infraction pénale dispose d’une véritable créance en responsabilité contre l’Etat. Dans cette perspective, on part de l’idée que l’Etat, dont le droit pénal est l’un des attributs essentiels, aucune place n’étant laissée à la justice privée, a l’obligation de protéger ses citoyens et d’assurer leur sécurité655. S’il

649 La situation serait d’autant plus injuste que ce sont les impôts payés par la victime en tant que contri-buable qui sont une source de financement de lentretien des détenus en prison. Alors que la peine est la réponse de lEtat à la société et à lauteur de linfraction, lindemnisation publique est la réponse de l’Etat à la victime :Windlin, p. 90.

650 Message initiative, p. 921.

651 Ex ne r, cité parWindlin, pp. 83-84 ;Jung, p. 381.

652 Message initiative, p. 921.

653 Ibidem.

654 Si lon retrace lévolution de la réparation dans le droit pénal, on constate que les peines privatives de liberté et les sanctions pécuniaires font office de point de départ (erste Spur), suivies des différentes mesures restitutives prévues par le code pénal (zweite Spur, ex.: dédommagement comme condition d’octroi du sursis). Alors que la justice restaurative représente les mesures de troisième voie (dritte Spur), lindemnisation publique symbolise létape suivante :Windlin, pp. 194-195.

655 Schne id er, Rechtsstellung, pp. 117-118.

B. Justifications à la base de lintervention financière de lEtat

faillit à son devoir en ne prévenant pas la commission d’actes criminels, il en-court une responsabilité causale qui permet à la victime de l’actionner en dom-mages-intérêts656. De ce point de vue, la responsabilité de la société est engagée dans la mesure où les comportements violents sont les fruits de ses déviances, certains sociologues arguant que la violence est un produit de la délinquance juvénile ou encore de l’exclusion de certaines minorités657. Pour d’autres, la res-ponsabilité de l’Etat découlerait également de son échec à mettre en place des mesures de réparation efficaces658. Une vision paternaliste poussée à l’extrême conduit même à admettre que l’Etat aurait pour tâche de prémunir ses citoyens contre « tous » les risques que génère la vie en société, dont celui d’être victime d’une infraction pénale659.

Les considérations qui précèdent ne peuvent toutefois être suivies : l’Etat n’ayant qu’une obligation morale d’indemniser les victimes d’infractions660, la thèse selon laquelle sa responsabilité serait engagée ne peut être retenue, plusieurs raisons justifiant par ailleurs cette solution. La première, et non des moindres, est qu’une éventuelle responsabilité étatique ne repose sur aucune base légale, notamment constitutionnelle. De la Lex aquilia aux codifications civiles modernes, c’est au contraire le principe du droit à la réparation auprès de celui qui a causé le dommage, autrement dit le contrevenant, qui prévaut661, l’indemnisation LAVI n’étant que subsidiaire (art. 4 I LAVI). Aucun motif ne jus-tifie de soustraire cette prétention au droit privé dont les fondements sont la libre volonté et l’autodétermination des parties662, à l’exclusion d’une intervention étatique omnipotente et permanente.

Deuxièmement, la thèse de la responsabilité de l’Etat, qui implique l’in-demnisation de toute victime, quelle que soit sa situation financière, ainsi qu’un dédommagement obligatoirement intégral663, serait très difficile à mettre enœuvre. Outre les coûts exorbitants que cela entraînerait, le cercle des bénéfi-ciaires serait bien plus large que celui visé à l’article 124 Cst. féd., n’étant sou-mis à aucune limitation664. De plus, une inégalité de traitement serait créée

656 Ibid., p. 118 ;Windlin, pp. 97-98. Voir, dans ce sens, l’argumentation avancée par le législateur alle-mand lors de ladoption de la loi du 11 mai 1976 sur lindemnisation des victimes dactes de violence criminels :Derisbourg-Boy, p. 124 ; Message initiative, p. 920.

657 Me iner s, p. 5.

658 Jung, p. 380.

659 R it tme is ter, p. 54.

660 Voirsupra2èmepartie, II.B.1.

661 Voir, par exemple, la célèbre formule du code civil français de 1804 : « Tout fait quelconque de lhomme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »:

Renoux, p. 33.

662 Pfenninger, Verletzten, pp. 20 et 123-124.

663 Message initiative, p. 920.

664 Knapp,adart. 64ter N 27 ;Otte, p. 177.

I. Considérations générales relatives à lindemnisation

entre les victimes d’infractions, systématiquement dédommagées, et celles qui ont subi un évènement dommageable relevant d’un domaine dans lequel on pourrait également reprocher à l’Etat d’avoir failli à son devoir de protection envers ses citoyens (ex.: accident ou catastrophe naturelle)665. On voit enfin mal comment prétendre que l’Etat n’aurait pas correctement rempli sa mission en matière de lutte contre la criminalité en cas d’infractions pénales commises par négligence666.

En conclusion, instaurer une sorte de responsabilité objective de l’Etat irait manifestement trop loin, le monopole des poursuites pénales ne traduisant pas un engagement à prendre en charge l’indemnisation inconditionnelle des vic-times d’infractions. Il n’a, en effet, pas pour tâche de répondre de façon gé-nérale envers les administrés des conséquences que peuvent avoir pour eux d’éventuels actes de violence667. C’est d’ailleurs l’optique retenue en Suisse, le Tribunal fédéral ayant constaté que le système d’indemnisation du dommage et du tort moral prévu par la LAVI répond à l’idée d’une prestation d’assis-tance et non pas à celle d’une responsabilité de l’Etat668. Est évidemment réser-vée la responsabilité de l’Etat en raison d’actes illicites commis par ses organes, s’agissant, par exemple, d’invoquer la passivité de la police ou du refus de cette dernière opposé à une demande de protection669.

665 Kötz, pp. 141-142 ; voir aussiRüfne r, pp. 42-43 : si lon peut reprocher à lEtat de ne pas avoir ins-tauré des forces de police suffisantes lorsqu’une personne est victime d’un brigandage sur le chemin de son domicile le soir, on pourrait de même lui reprocher de ne pas avoir construit des digues assez hautes en cas de crue soudaine dun fleuve causant la noyade dun riverain.

666 Seul le critère de la durée et de la gravité des conséquences de linfraction devrait légitimer une indem-nisation de lEtat, peu importe que linfraction soit intentionnelle :Rüfne r, p. 42.Contra:Vo n H ippe l, p. 6.

667 Message initiative, p. 922.

668 ATF 128 II 49 c. 4.1. La commission dexperts chargée de réviser la LAVI sest également exprimée dans ce sens : Rapport révision LAVI, p. 16.

669 Schne id er, Rechtsstellung, p. 116. Il en irait également de même lorsque les autorités nont pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité publique, particulièrement en cas d’attentats terro-ristes annoncés par leurs futurs auteurs :Knapp,adart. 64ter N 28.

A. Etat des lieux en matière dindemnisation et de réparation du tort moral LAVI

II. Indemnisation et réparation du tort moral

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