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ET RÉPARATION DU TORT MORAL PAR L ’ ETAT

B. Justifications à la base de l’intervention financière de l’Etat

1. Motifs de politique sociale

Si la tradition libérale garantit à chacun le droit de s’autodéterminer librement, elle implique également le devoir d’assumer ses actes et certains risques inhé-rents à la vie en société618. Il n’en résulte pas pour autant que l’Etat doit s’abste-nir d’interves’abste-nir pour atténuer les conséquences d’un acte de violence que la fa-talité peut imposer à tout individu, lorsqu’aucune réparation ne peut être obtenue de la part de l’auteur de l’infraction ou des assurances. Cette obliga-tion de procurer un soutien financier est avant tout motivée par des considé-rations d’ordre social, tout Etat de droit étant régi par les principes de justice, d’équité et de solidarité sociales.

Partant du constat que la criminalité est une résultante inévitable des diffé-rentes interactions entre les membres d’une même société, l’Etat a en effet le de-voir moral de prendre en charge les victimes d’infractions dans le besoin (So-zialstaatstheorie)619. Bien que l’intensité de cette prise de conscience, objet d’un choix politique, varie d’un gouvernement à l’autre, il s’agit en tout cas de l’ar-gument le plus fréquemment invoqué, aussi bien sur le plan national620 qu’in-ternational621. A ce stade, l’octroi d’une aide financière ne peut cependant uniquement dépendre du pouvoir d’appréciation des dirigeants, qui décide-raient d’intervenir selon leur bon vouloir, dès qu’un vague sentiment d’empa-thie envers les victimes l’emporterait (Ex-gratia-Theorie)622. Outre un souci de justice, l’indemnisation publique se base sur le principe de l’égalité de traite-ment (art. 8 Cst. féd.), qui impose à la collectivité publique, entre autres, de pro-téger les droits des individus de manière égale et de ne pas rompre cette égalité en faisant supporter à certains d’entre eux seulement le poids des charges publiques623. Lorsqu’une infraction entraînant un dommage a été commise, l’égalité juridique des patrimoines doit être rétablie, le plus souvent par une compensation économique des préjudices subis, effectuée en espèces ou en nature624. En outre, les victimes, à l’instar des délinquants, ne disposent

sou-618 Otte, p. 176 ;Windlin, p. 4.

619 R it tme is ter, p. 56 ;Schneider, Rechtstellung, p. 117 ;Windlin, p. 5.

620 Le titre XIV du code de procédure pénale français intitulé « du recours en indemnité ouvert à certaines victimes dinfractions », de même que le « Criminal injuries compensation scheme » britannique sont, par exemple, basés sur ce motif :De risbo ur g-B oy, pp. 124-125. En Allemagne, le principe de l’Etat social (Sozialstaatsprinzip), ancré dans la Constitution (art. 20 I et 28 IGrundgesetz), ne garantit pas de prestations individuelles, mais oblige le législateur à tenir compte des besoins des plus faibles, à l ins-tar des victimes dinfractions :Rittmeiste r, p. 59.

621 Voir à ce sujet les textes de la déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir (Annexe à la Résolution 40/34 de l’Assemblée gé-nérale des Nations Unies du 11 décembre 1985), ainsi que le préambule de la Convention européenne de 1983 relative au dédommagement des victimes dinfractions violentes.

622 Schne id er, Rechtstellung, p. 118 ;Jung, p. 381.

623 Une égale revendication des droits va de paire avec une égale répartition des charges :Renoux, p. 28.

I. Considérations générales relatives à lindemnisation

vent que de faibles ressources et ne sont pas en mesure de payer les cotisations d’une assurance privée qui couvrirait les dommages causés par l’infraction, ce type de coûts n’ayant d’ailleurs pas à être mis à leur charge625. Derrière ces considérations économiques, relatives à l’inégalité des revenus, se cache en réalité une justification d’ordre humanitaire626, qui correspond à la prise de conscience des besoins des victimes. En général, ces dernières ne veulent d’ail-leurs pas être dédommagées parce qu’elles sont pauvres ou dans le besoin, mais simplement parce qu’elles ont souffert d’un dommage commis avec une intention criminelle, sans qu’il y ait faute de leur part627.

En complément à ce qui précède, l’intervention de l’Etat peut également se présenter comme un acte de solidarité de la collectivité envers ceux qui traver-sent une épreuve douloureuse et imméritée, et qui n’ont pas les moyens maté-riels, ni les ressources morales nécessaires pour la surmonter seuls628. Alors que l’égalité demeure le fondement général du droit des victimes à la compensation de leurs préjudices, la solidarité peut être considérée comme la base de l’in-demnisation par la collectivité, qui se doit de supporter cette charge, dans cer-taines situations caractérisées, où la vie même de la Nation ou d’une de ses composantes essentielles, se trouve en jeu629. Se pose ici la question de savoir si l’exigence de solidarité permettrait de justifier le recours au système de la ré-partition des risques (système de la garantie)630, en vertu duquel les fonds de la collectivité publique, alimentés par les versements des contribuables, servi-raient à indemniser les victimes d’infractions, à l’image d’un système d’assu-rance sociale obligatoire (Risikogemeinschafts-Theorie)631.

624 Renoux, pp. 28-29.

625 L’idée de précarité financière est très présente dans les programmes d’indemnisation américains : R it tme is ter, p. 58. Ce même argument a également plaidé en faveur de lintroduction des « compen-sation orders » en droit anglo-saxon :Ho dgson, p. 63.

626 Me iner s, pp. 4-5 ;Jung, p. 381.

627 J.Shaplandet al., cité parDe risbo urg-B oy, p. 155.

628 Message initiative, p. 929.

629 Renoux, p. 36. En revanche, il semble logique de réduire ou de supprimer l’indemnisation, lorsque la victime qui appartient au monde du crime organisé ou à des organisations se livrant à des actes de violence « saliène la sympathie et se prive ainsi de la solidarité de la société » ou lorsquun geste de solidarité serait contraire au sens de la justice ou à l’ordre public de l’Etat concerné: voir les articles 8 II et III de la Convention de 1983 et Rapport Convention, p. 10.

630 Ce système a, à l’origine, été instauré pour l’indemnisation des victimes de guerre, ainsi que le verse-ment des pensions civiles et militaires aux fonctionnaires et agents publics victimes de dommages cor-porels, certaines législations étant toujours en vigueur à lheure actuelle : voir, par exemple, larticle 1 du code français du 3 avril 1958 des pensions militaires dinvalidité et des victimes de la guerre et les

§ 1 II et 5 I de la loi fédérale allemande relative à la protection sociale.

631 Schne id er, Rechtstellung, pp. 118-119. Dans cette dernière hypothèse, le mode de financement serait assuré par les cotisations sociales.

B. Justifications à la base de lintervention financière de lEtat

A ce propos, la vision à notre avis paternaliste, selon laquelle l’éventualité d’être victime d’une infraction devrait être automatiquement prise en charge par les assurances sociales, au même titre que l’âge ou que la maladie, entre toutefois en contradiction avec la tradition libérale et ne peut ainsi être ad-mise632. Dans le « système de la garantie », la victime est apparemment placée dans une situation plus avantageuse, puisqu’elle reçoit une indemnisation de la part du patrimoine de l’Etat en tant que débiteur primaire, sans avoir à prou-ver une faute et encore moins un lien de causalité; la responsabilité ne joue en effet un rôle que dans le cadre de l’éventuelle action récursoire exercée par le débiteur primaire à l’encontre du véritable responsable du dommage633. S’il est vrai que le risque d’être victime concerne tout individu, la probabilité de la sur-venance de cette éventualité est tout de même moindre, ne s’agissant pas d’un risque existentiel, tel que le décès ou la retraite. L’augmentation de la crimina-lité ne peut, par exemple, être comparée au phénomène d’industrialisation qui a donné naissance à l’assurance-accidents au XIXèmesiècle634. Généraliser ce type de système présente également le risque de faire perdre à la responsabilité civile son rôle de sanction635.

A l’instar de nombreux régimes, les principes de justice, d’équité et de soli-darité sociales peuvent donc être considérés comme les principaux fondements du système d’indemnisation publique suisse636, consacré par l’article 124 Cst.

féd. et concrétisé par la LAVI. En témoigne d’ailleurs la fonction de ce système, qui n’est pas d’assurer une réparation totale, mais d’offrir une compensation au regard des pertes subies637. La mise enœuvre de ces principes peut égale-ment soulever quelques questions. Tout d’abord, le risque est que le dédom-magement, d’une part, ne soit pas intégral, et d’autre part, qu’il soit limité aux seules personnes qui connaissent des difficultés matérielles sérieuses en raison de l’infraction638. On pourrait également s’interroger sur l’exclusion du sys-tème, par le législateur suisse, des victimes placées dans une situation difficile

632 Ibid., p. 119 ; cest également lopinion de la commission dexperts chargée de réviser la LAVI: Rapport révision LAVI, p. 16.

633 Renoux, p. 35.

634 Windlin, p. 44.Contra:Vo n Hippel, p. 5.

635 Renoux, p. 35.

636 Otte, p. 214 ;Schneide r, Rechtstellung, p. 117 ; voir aussi Message initiative, p. 922. Et ce, malgré le fait que leur portée juridique se limite à celle de clauses générales :Kägi-Diener, p. 33.

637 Concernant le dommage matériel, les victimes dinfractions « reçoivent une juste indemnité si elles connaissent des difficultés matérielles en raison de linfraction.» (art. 124 Cst. féd.). Voir également l’article 7 de la Convention de 1983, selon lequel « le dédommagement peut être réduit ou supprimé compte tenu de la situation financière du requérant ».

638 Message initiative, p. 920.

I. Considérations générales relatives à lindemnisation

à la suite d’une infraction grave commise à l’encontre de leur patrimoine639ou, en sens inverse, sur la justification d’inclure les victimes d’infractions commises par négligence640. Sans remettre en cause leur fonction de principes fondateurs, il apparaît clairement que ces derniers ne peuvent légitimer à eux seuls ce type de choix.

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