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Vers une reconnaissance de la participation active de la victime à la procédure pénale de lege ferenda ?

siècles de lege lata

B. Vers une reconnaissance de la participation active de la victime à la procédure pénale de lege ferenda ?

Bien que le statut de la victime ait considérablement évolué au cours de ces dernières années, il nous paraissait important de nous interroger sur la ques-tion de savoir si la victime doit être cantonnée au rang d’objet de la procédure

30 Ou en aval, le besoin de réparation et d’apaisement entre auteurs et victimes ne pouvant plus être cir-conscrit au stade de « lavant-jugement », mais persister, au contraire, au-delà de la condamnation : voir, à ce sujet, la chroniquedAntonio Bunonatesta, « La médiation entre auteurs et victimes dans le cadre de l’exécution de la peine », RDPC, 2004, pp. 242-257, portant sur l’expérience pilote de médiation en milieu carcéral, menée par l’association belge « Médiante ».

31 Pour des raisons évidentes, il apparaît, en outre, que les conséquences d’une infraction patrimoniale ont beaucoup plus de chances d’être réglées par le biais d’une médiation que celles résultant d’une atteinte à lintégrité corporelle ou sexuelle, par exemple.

32 Eser, p. 746.

33 Kunz, p. 12. En outre, on ne peut pas garantir de manière absolue qu’une autorité extra-judiciaire ne soit jamais« täterzentriert »(J ab or ni g g, p. 349), doù la nécessité de légiférer : voir, par exemple, larticle 159 LOJ GE qui prescrit lindépendance et limpartialité du médiateur.

34 Le danger nous semble bien plutôt résider dans des institutions telles que leplea bargaining, où léchange de concessions réciproques entre le Ministère public et lauteur de linfraction est une forme de privatisation du système judiciaire.

35 Voirsupra1èrepartie, I.A.1.

36 Ho ffmann-Riem, p. 25. Dans le même sens,Albrecht, p. 248.

37 A ce propos, la LAVI a certainement été une occasion manquée de légiférer en matière de médiation pénale :Knoepfler, p. 651. Le législateur fédéral y a heureusement remédié dans le cadre du CPP, mais sous le terme de « conciliation », comme nous venons de l’évoquer.

B. Vers une reconnaissance de la participation active de la victime

pénale, moyen de preuve au service de l’appareil judiciaire, ou si elle peut, au contraire, aspirer au statut de sujet, en tant qu’acteur et partie au procès38. Nous allons tenter de démontrer les limites de certains arguments qui iraient, prima facie, à l’encontre de cette dernière solution : pour chaque argument en défaveur de la participation de la victime à la procédure pénale, la démarche consiste, en premier lieu, à examiner son bien-fondé (thèse), puis, dans un deuxième temps, à essayer d’en démontrer les limites (anti-thèse).

1. Remise en cause du ius puniendi étatique ?

Attribut essentiel de l’Etat, le droit pénal matériel est mis enœuvre par des règles de procédure particulières, dont les caractéristiques se distancient sen-siblement de celles prévalant en procédure civile. Le déroulement du procès pénal est, en effet, dominé par deux maximes : d’une part, la maxime d’office39, selon laquelle le juge a l’entière maîtrise de l’objet du litige et n’est pas lié par les conclusions des parties ; et d’autre part, la maxime inquisitoire qui met, en droit de procédure pénale actuel, l’apport de la preuve à la charge du juge d’instruction, étant donné les puissants moyens d’investigation dont il dispose, les demandeurs (Ministère public ou lésé) étant toutefois aussi tenus d’y parti-ciper. Tout est mis enœuvre pour parvenir à la découverte de la vérité, autre-ment dit pour aboutir à la conviction certaine que l’accusé est coupable de l’infraction.

C’est dans ce contexte que la participation de la victime à un système qui, à la base, n’a pas été conçu pour elle, pourrait paraître malvenue. Non seulement l’intrusion de la victime risquerait-elle d’ébranler l’équilibre bipolaire de ce sys-tème vertical, mais elle pourrait également interférer avec les buts traditionnels de la justice pénale40: la mission principale de cette dernière est, en effet, de sanctionner l’atteinte aux biens juridiques reconnus dignes de protection par la collectivité, et non de se préoccuper des intérêts particuliers, les deux étant inconciliables. Reconnaître un statut de sujet à la victime pourrait faire ob-struction à la recherche de la vérité matérielle, mais aussi remettre en cause la

38 Jabornigg, pp. 321-322 : les enjeux ne sont évidemment pas les mêmes puisque, dans le premier cas, la victime ne possède que des droits de défense et dinformation minimaux, alors que dans le deuxième cas, elle est un sujet titulaire de droits (et devoirs), qui ne peuvent être limités quaux condi-tions restrictives traditionnelles que l’on trouve en matière de droits fondamentaux (base légale, inté-rêt public, proportionnalité).

39 Ou idée d’immutabilité du procès pénal, excepté le cas du retrait de plainte. Le Ministère public et le juge ne peuvent pas disposer de laction publique par transaction ; laveu ne lie pas le juge.

40 Weigendcité parBaumann, p. 138 ;Ze hntne r/H ofer, p. 133.

I. Considérations générales relatives à la participation de la victime à la procédure pénale

structure même du système de procédure pénale41, sans parler des retards et coûts supplémentaires que cela entraînerait42.

Mais la peur d’une remise en cause des prérogatives étatiques n’est-elle pas qu’un prétexte pour nier les droits de l’Homme des participants à la procé-dure ? Il faut, tout d’abord, relever que les intérêts de la victime, tel que l’intérêt à éclaircir l’état de fait ou l’intérêt au bon déroulement de la mise enœuvre des prétentions pénales, se recoupent en partie avec ceux de l’Etat43. Loin d’être un obstacle à la recherche de la vérité matérielle, la victime en est souvent indisso-ciable, étant fréquemment le seul moyen de preuve à disposition des autorités.

Il est d’ailleurs paradoxal qu’en vertu des maximes d’office et inquisitoire, « la victime ait le droit de ne rien dire en tant que partie et le devoir de tout dire en tant que témoin »44. A une époque où l’Etat n’a plus uniquement pour mission de préserver l’ordre juridique, mais également de garantir les droits et libertés des citoyens, cantonner la victime au rang d’objet par peur de mettre en danger le pouvoir étatique et ses prérogatives peut paraître inacceptable. Bafouer la victime au nom des reliquats inquisitoires de la procédure pénale menée dans un Etat dont la toute puissance n’est aujourd’hui plus à démontrer n’est, en effet, pas justifiable45.

Il résulte de ces deux thèses que reconnaître à la victime des droits (et de-voirs) subjectifs s’inscrit, non seulement en conformité avec la doctrine des droits de l’Homme46, mais n’amenuise pas le ius puniendi étatique, l’idée n’étant pas non plus d’accorder une importance démesurée à la victime qui n’a et ne doit pas avoir un pouvoir de décision quant à l’issue du procès pénal47.

41 Kunz, p. 6. Voir égalementBaumann,p. 44, qui va jusqu’à admettre une atteinte à la maxime inquisi-toire, les institutions telles que laPrivatklägerschaftmettant en danger le domaine de compétence exclusif de lEtat : ce point de vue nous semble aller trop loin.

42 Ces dernières considérations doivent toutefois être relativisées dans la mesure où la lenteur de la pro-cédure est souvent due aux autorités dinstruction et de jugement elles-mêmes, qui nont de toute fa-çon à entrer en matière que sur les conclusions de la victime jugées pertinentes ; quant aux frais, même si une augmentation serait à craindre, cela ne serait pas manifeste dans les cantons où la vic-time a déjà le statut de témoin et un certains nombres de prérogatives :Schne id er, Rechtstellung, pp. 164-165.

43 Ibid., p. 160.

44 Jabornigg, p. 324.

45 Ibid., p. 329. Cet argument nous semble avoir dautant moins de valeur que, comble du paradoxe, les pays de laCommon lawse réfugient, de leur côté, derrière leur système de type accusatoire, pour dé-nier à la victime le statut de partie au procès pénal : voirScreve ns, pp. 181-182 et 184 et l’ensemble de sa chronique pour un aperçu de la question en droit comparé.

46 Une incompatibilité entre la nouvelle orientation centrée sur la victime et les principes régissant la procédure pénale ne ferait que révéler linflexibilité de ces derniers :Kunz, p. 6.

47 Schne id er, Rechtstellung, p. 162.

B. Vers une reconnaissance de la participation active de la victime

2. Atteinte aux droits de la défense ?

En plus d’affaiblir les prérogatives de l’Etat, octroyer des droits supplémen-taires à la victime diminuerait ceux de l’accusé, ce qui risquerait d’entraîner la disparition des principes de droit européen régissant la procédure pénale48, dont l’article 6 CEDH est le bastion. Le prévenu aurait alors à affronter deux accusateurs49, public et privé, la victime étant dépeinte comme un être insa-tiable, doté d’une soif de vengeance difficile à assouvir. Les objectifs de préven-tion spéciale seraient, par ailleurs, altérés, le condamné percevant la peine uniquement comme la concrétisation du désir de représailles de la victime50.

Il découle de ce qui précède que ne pas tolérer de restrictions aux droits de la défense de l’accusé revient à les considérer comme absolus et prépondérants51, ce qui est inconcevable dans un Etat où prévaut le principe de l’Etat social (So-zialstaatsprinzip), qui garantit le respect du droit à l’égalité de traitement et des armes entre les participants au procès52. Cependant, toute restriction aux droits de l’accusé doit évidemment être justifiée, après une pesée des intérêts en jeu53. Quant à la question de savoir si un deuxième accusateur se dissimulerait sous les traits de la victime, deux remarques s’imposent : d’une part, le Ministère pu-blic ne comparaît souvent pas personnellement à l’audience54, et d’autre part, il semble normal que dans ce cas, et comme le prévoient certains cantons, la vic-time se voit conférer des droits de participation plus étendus, pour faire contre-poids à la défense. C’est à ce titre que la victime peut notamment s’exprimer sur la question de la culpabilité55, ce qui ne serait pas admissible en règle générale.

Enfin, loin de nuire aux objectifs de prévention spéciale, la victime nous semble, au contraire, être un moyen d’y parvenir, sa participation active favorisant le ré-tablissement de la paix sociale par sa propre resocialisation et celle de l’agres-seur. Il est, en effet, d’autant plus facile de promouvoir le dialogue entre les deux parties si elles sont sur un pied d’égalité en tant que sujets de droit56. De

48 Kunz, p. 6, citant G.Jakobs.

49 Weigendcité parSchneide r, Rechtstellung, pp. 136-137.

50 Baumann, p. 47.

51 Schne id er, Rechtstellung, pp. 157-158, citantcontraRies setWeigend.

52 Jabornigg, p. 338.

53 Ce qui a été concrétisé par la LAVI, notamment à larticle 5 IV et V (cf. art. 152 III et 153 II CPP).

54 Bommer, p. 183 ;Schneide r, Rechtstellung, p. 137. A relever, de plus, qu’historiquement, le Minis-tère public a été instauré non pas avec une fonction daccusateur, mais pour pallier les désavantages du système inquisitoire :S ch ne i der, Rechtstellung, p. 163.

55 Voir, par exemple en droit actuel, les articles 96 III StPO AI, 171 II StPO AR, § 283 II StPO ZH, cités par Bommer, p. 183.

56 Jabornigg, pp. 344-345. Une confrontation directe avec lauteur peut même faire office de catharsis en permettant à la victime de « vider son sac » et de faciliter la résolution du conflit :Schneide r, Rechtstellung, p. 135.

I. Considérations générales relatives à la participation de la victime à la procédure pénale

plus, réduire la fonction de la peine à la simple satisfaction des intérêts particu-liers est contradictoire, puisque la peine doit également servir les intérêts de la collectivité57.

Au lieu d’être un frein à la résolution du conflit, la victime peut donc en être l’accélérateur, et ce, sans remettre en cause les droits de l’accusé.

3. Absence de légitimation procédurale de la victime ?

Après s’être successivement placé du point de vue de l’Etat et de l’accusé, il convient de se concentrer sur les intérêts de la victime à participer au procès pénal. Au premier abord, aucune justification ne semble apparaître de manière évidente. En effet, la victime ne peut pas se prévaloir du droit d’être entendu garanti à l’article 29 II Cst. féd., n’étant pas juridiquement concernée par le jugement d’acquittement ou de condamnation58de l’accusé. Et même si la vic-time est manifestement concernéede factopar l’infraction, le fait que le droit cantonal l’empêche de se prononcer sur les questions pénales serait en soi contraire au sentiment de la justice, mais paradoxalement à aucun acte législa-tif supérieur59. En outre, et contrairement aux autres procédures de droit pu-blic60, l’intérêt de fait de la victime à la condamnation de l’auteur de l’infraction ne suffit pas à lui conférer le statut de partie à la procédure pénale. Enfin, dans la perspective d’une extension des droits de la victime, le risque que cette dernière se constitue partie civile de manière abusive est aussi à prendre en compte61.

Malgré ce qui précède, il n’en reste pas moins que la victime, touchée au premier plan, doit pouvoir exprimer son point de vue. Pourquoi privilégier le

57 A ce propos, on voit mal comment lamende ou le sursis pourraient répondre au besoin de vengeance de la victime, ce dernier, selon les enquêtes de victimisation, nétant que rarement un motif incitant les victimes à déposer plainte :Bommer, pp. 188 et 190.

58 En effet, ni le prononcé de la peine, ni celui de la culpabilité, ne peuvent se confondre avec les intérêts de la victime : la peine est fixée selon la culpabilité du délinquant (art. 47 CPS), cette dernière étant elle-même déterminée daprès certaines caractéristiques propres à lauteur de linfraction, comme sa responsabilité. Que la victime en retire une satisfaction ne peut en être quun effet accessoire :B om-mer, p. 186.

59 A linstar des articles 118 CPP et 37 LAVI, aucune législation, telle que la Convention européenne sur le dédommagement des victimes d’actes de violence (RS 0.312.5) ou encore la Recommandation du Conseil des ministres européen NoR (85) 11 sur la position de la victime dans le cadre du droit pénal et de la procédure pénale du 28 juin 1985, ninstaure lobligation de conférer le statut de partie princi-pale à la victime :B omme r, p. 181.

60 En procédure administrative par exemple : voir larticle 6 PA en relation avec les articles 48 let. a PA et 89 I LTF.

61 Constitue, par exemple, un abus de droit la démarche visant à intervenir comme partie à la procédure pénale, non pas dans le but voulu par le législateur (notamment pour faire valoir ses prétentions civiles), mais pour mieux contrôler la procédure, voire la contrecarrer : ATF 125 IV 79 c. 1d.

B. Vers une reconnaissance de la participation active de la victime

dialogue entre l’accusé et l’autorité compétente en excluant la victime, alors que la recherche de la vérité ne peut se faire si l’un des protagonistes en est ab-sent ? C’est, en effet, sur la base de thèses contradictoires que le juge est le mieux à même de forger sa libre conviction, la vérité matérielle ne résultant pas seulement d’un état de fait clair. Par ailleurs, sous l’angle du CPP, et dans la mesure où elle se constitue partie plaignante, la victime peut désormais se prévaloir du droit d’être entendu sur la base de l’article 107 CPP62. Quant au risque d’abus de droit, et bien que l’on doive présumer de la qualité de victime comme l’on présume de l’innocence de l’accusé63, il est largement diminué par l’article 2 CCS, que le Tribunal fédéral a d’ailleurs eu l’occasion d’appliquer en relation avec l’article 8 I aLAVI64. A relever également que dans les pays où la victime a la possibilité de déclencher l’action publique, elle peut être condam-née à devoir verser des dommages-intérêts au prévenu lorsque les charges ont été déclarées insuffisantes ou encore courir le risque d’être accusée de dénon-ciation calomnieuse65.

4. Synthèse

Que l’on se place du point de vue de l’Etat ou de l’accusé, aucun argument ne semble s’opposer de manière claire à la participation active de la victime au procès pénal, de sorte que l’on pourrait se demander si ce n’est pas plutôt son exclusion qui devrait être justifiée66. L’idéal serait d’accorder à la victime les mêmes droits que ceux reconnus à l’accusé dès l’instruction préparatoire et au moins de permettre à la partie civile de s’exprimer sur les questions pénales lors de l’audience67. Si l’introduction de la LAVI n’a pas véritablement révolu-tionné le procès pénal, comme nous aurons l’occasion de le voir, le code de pro-cédure pénale suisse apporte de sensibles améliorations, en octroyant à la vic-time qui se constitue comme tel le statut departieplaignante à tous les stades de la procédure.

62 W ys s S is ti, Strafprozess, p. 26.

63 Kunz, p. 3 ;S ch ne i der, Rechtstellung, p. 155.

64 ATF 125 IV 79 c. 1d.

65 VoirScre vens, p. 181.

66 Schne id er, Rechtstellung, p. 163.

67 Jabornigg, pp. 171 et 173. A relever toutefois que l’article 23 CPP GE confère à la partie civile le statut de partie au procès pénal.

II. Champ dapplication du droit de participation de la victime à la procédure pénale

II. Champ d’application du droit de

participation de la victime à la procédure

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