• Aucun résultat trouvé

ET RÉPARATION DU TORT MORAL PAR L ’ ETAT

A. Evolution législative de la fin du XIX ème siècle à nos jours

1. Influence de l’école positiviste italienne à la fin du XIX ème siècle

Parallèlement à l’affaiblissement progressif de sa position dans le procès pénal, la victime s’est vue peu à peu déposséder de ses prérogatives en réparation du dommage causé par l’auteur de l’infraction553.

Il faudra attendre la fin du XIXèmesiècle pour que la fonction de réparation puisse être à nouveau associée à la peine infligée au coupable, notamment grâce au mouvement issu de l’école positiviste italienne. Membre fondateur,G a ro-fal ofut, en effet, le premier à proposer que le dédommagement de la victime devienne une peine alternative à la peine de prison. Non content de se limiter aux systèmes juridiques de l’Europe continentale, caractérisés jusqu’alors par une séparation stricte entre le droit civil et le droit pénal, ce nouveau courant de pensées fit aussi émergence dans les pays de la common law, alors même qu’il avait déjà été évoqué parBenthamau début du XIXèmesiècle : « if the of-fender is without property ... it ought to be furnished out of the public treasury, because it is an object of public good ... »554. L’idée selon laquelle l’Etat se doit d’intervenir lorsque la victime n’a pas pu obtenir satisfaction, l’auteur du dom-mage étant inconnu, en fuite ou insolvable, a également été prônée par le posi-tiviste F e rr i, qui a faitœuvre de précurseur en établissant un programme ayant servi de modèle à de nombreuses lois d’aide aux victimes actuellement en vigueur.

Le législateur suisse ne s’est évidemment pas montré insensible aux propo-sitions de l’école positiviste, dont l’influence a marqué le code pénal helvétique.

Avant que le droit pénal ne soit unifié au niveau fédéral, il faut toutefois relever que certaines dispositions cantonales (restitutive Bestimmungen) prévoyaient déjà que la réparation du préjudice, certes par le délinquant, puisse entraîner

553 Nous rappelons simplement que sous lempire du droit romain, la victime disposait dune action pé-nale contre le délinquant pour obliger ce dernier à lui verser une somme dargent à titre de peine, en concours avec laction réipersécutoire qui permettait dobtenir le versement de dommages-intérêts, par exemple en remplacement de la chose volée : pour plus de détails, voir B.Schmidlin/C. A. Can-nata,Droit privé romain II, Lausanne, Payot, 1991, p. 169 ss.

554 CitéinMeiners, p. 9 ; voir aussiW e intr au d, p. 18.

I. Considérations générales relatives à lindemnisation

une atténuation de peine, voire l’impunité555. Quant à l’avant-projet de code pénal suisse de 1893, il attribuait au lésé, en tout ou partie et à concurrence de l’indemnité due, le montant de l’amende et le prix de réalisation des objets confisqués, ainsi que la moitié de la rémunération financière afférente au déte-nu556. L’idée que la sanction pénale, puisse, à l’instar de la sanction civile, avoir pour fonction d’encourager l’auteur du dommage à faire son possible pour le réparer financièrement, a subséquemment été concrétisée par le législateur fé-déral du code pénal de 1937, que ce soit au stade de la fixation de la peine (art. 41 ch. 1 I, 64, 88 et 98 aCPS) ou de son exécution (art. 37 ch. 1in fine, 38 ch. 3, 45 ch. 2, 80 ch. 2 et 91 ch. 1 III aCPS), ces dispositions ayant été, pour l’es-sentiel, reprises par le code de 2007557. Concernant ce dernier, l’article 53 CPS introduit une innovation importante, à savoir la réparation du dommage par l’auteur comme motif d’exemption de peine, à certaines conditions. Les justifi-cations à la base de cette mesure avancées par le Conseil fédéral dans son mes-sage558nous semblent pourtant discutables à deux égards : tout d’abord, l’ar-gument qui met en avant l’intérêt de la victime, cette dernière « préférant en général être dédommagée que de voir l’auteur puni », peut non seulement s’avérer inexact, à l’exception peut-être des victimes d’infractions exclusive-ment patrimoniales, mais revêt en réalité peu de poids, face à la volonté de fa-voriser l’efficacité de la justice pénale et de préserver les intérêts de l’auteur de l’infraction559. De plus, la justification selon laquelle « l’intérêt à punir est réduit à néant parce que l’auteur effectue de façon active une prestation sociale à des fins d’assistance » pourrait être interprétée comme un amalgame entre les fonc-tions du droit pénal et du droit civil, ce qui est d’autant plus paradoxal que bon nombre d’acteurs du système judiciaire se targuent justement de la séparation existant entre ces deux domaines pour exclure la victime du procès pénal.

Autre mesure s’inscrivant dans le cadre de « l’étatisation » de la prétention en dommages-intérêts de la victime arguée par l’école positiviste, l’allocation au lésé par le juge, sous certaines conditions, du montant de la peine pécunaire, de l’amende, du cautionnement préventif ou des biens dévolus à l’Etat, est an-crée à l’article 73 CPS (art. 60 aCPS). Bien qu’instauré dans le but légitime de ne pas permettre à l’Etat de s’enrichir en conséquence de sanctions infligées au dé-linquant, l’article 60 aCPS est resté peu appliqué en pratique. Cela s’explique, d’une part, par le fait que des confiscations ou dévolutions de biens au profit

555 L’article 217 du code pénal lucernois prévoyait, par exemple, qu’aucune peine ne serait infligée à l’auteur du vol d’une chose fongible, s’il dédommageait totalement la victime dans les vingt-quatre heures :Kley-Struller, pp. 11-12.

556 Kley-Struller, p. 73 ;Clerc, réparation, p. 15.

557 Voir notamment les articles 42 III, 48 let. d et 75 III CPS.

558 Message du Conseil fédéral concernant la modification du code pénal suisse du 21 septembre 1998 : FF 1998 p. 1778 ss, p. 1872.

559 Gurzele r, p. 59.

A. Evolution législative de la fin du XIXèmesiècle à nos jours

de l’Etat étaient rarement ordonnées560, et d’autre part, par le fait que l’amende, qui ne pouvait être prononcée que pour certaines infractions, était fixée d’après la situation du condamné (art. 48 ch. 2 I aCPS) et ne pouvait que rarement suf-fire à rétablir le lésé dans la situation qui était la sienne avant l’infraction561. La situation pourrait toutefois être amenée à évoluer, dans la mesure où la peine pécuniaire est devenue la sanction principale prévue par le code de 2007. Dans la mesure où l’on accorde plus d’importance à la réparation du préjudice par l’auteur, une application plus fréquente de l’article 73 CPS devrait en résulter.

S’il y a lieu de craindre que l’auteur ne réparera pas le dommage ou le tort mo-ral, le juge devra, à la demande de la victime et à condition que cette dernière cède à l’Etat une part correspondante de sa créance, lui allouer systématique-ment le montant de la peine pécuniaire. On peut dès lors se poser la question de savoir si la victime aura le choix d’obtenir une indemnisation sur la base de la LAVI.

Quant à l’utilisation de la rémunération financière du détenu, elle n’a pas été retenue, dans la mesure où cette somme, en général modeste, doit être des-tinée à pourvoir aux dépenses du délinquant durant son incarcération et à son entretien lors de sa libération (art. 83 CPS/376 à 378 aCPS)562.

Pour pallier les carences des mesures instaurées par le droit pénal, on peut enfin relever qu’il a été proposé à l’époque, à l’instar des modèles français et mexicain, de créer un fonds d’indemnisation spécial, qui aurait été alimenté, soit par les montants reçus par les cantons en vertu des articles 73 et 374 I CPS (art. 60 et 381 aCPS)563, soit par toutes les sommes d’argent dévolues à l’Etat suite à la commission d’infractions et qui serait, dans cette dernière hypothèse, réservé aux victimes tombées dans le besoin564. Bien que relevant d’une optique quelque peu différente, ces propositions, non retenues par le législateur fédéral, ont marqué un pas de plus en direction de l’idéal(isme) de l’école positiviste qui consistait à instaurer la couverture du dommage par l’Etat, ce dernier étant titulaire d’une prétention récursoire à l’encontre de l’auteur de l’infraction565. Cet idéal(isme) sera pourtant approché de manière plus frappante quelques dé-cennies plus tard grâce à l’élaboration de législations nationales, puis interna-tionales, qui ont conféré à l’Etat un rôle, certes subsidiaire, mais déterminant dans le processus d’indemnisation des victimes d’infractions.

560 Clerc, réparation, p. 16.

561 Ibidem.

562 Pfenninger, Verletzten, pp. 110 ss ;Clerc, réparation, p. 15.

563 Clerc, réparation, pp. 16-17.

564 Pfenninger, Verletzten, pp. 124 ss. Cette hypothèse était difficile à concrétiser dans la mesure où elle aurait nécessité lannulation de larticle 381 aCPS (art. 374 I CPS).

565 Peu réalisable, cette proposition a été refusée à juste titre, dune part, car les conséquences finan-cières qui en résulteraient sont imprévisibles, et d’autre part, car elle attribue à l’Etat un rôle d’« assu-reur en matière d’infractions » qui n’est pas le sien :Pfenninger, Verletzten, p. 100.

I. Considérations générales relatives à lindemnisation

2. Elaboration des premières lois instaurant

Outline

Documents relatifs