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Renonciation limitée « aux droits dont on se sait titulaire ou dont on envisage l’acquisition au moins comme une

Section I : Les prétentions inconnues

B) Renonciation limitée « aux droits dont on se sait titulaire ou dont on envisage l’acquisition au moins comme une

possibilité »

Le principe selon lequel on ne peut renoncer qu’ « aux droits dont on se sait titulaire ou dont on envisage l’acquisition au moins comme une possibilité » (1) n’est pas propre au droit suisse et trouve son équivalent dans des ordres juridiques étrangers (2).

1) Fondement du principe

Le Tribunal fédéral a posé dans plusieurs arrêts que les clauses pour solde de tout compte n’étaient à admettre qu’avec prudence765. Cela vaut d’autant plus lorsqu’il s’agit de prétentions inconnues des parties – notion qui comprend les prétentions imprévisibles – au moment de renoncer. Dans ce contexte, l’interprétation conduit souvent à admettre que les clauses pour solde de tout compte ont une portée moins étendue que ne le laisse entendre leur teneur766, une renonciation tacite aux prétentions auxquelles les parties n’auraient pas pensé étant exclue767.

762 FRÉSARD-FELLAY,Recours subrogatoire, N953.

763 FRÉSARD-FELLAY,Recours subrogatoire, N953.

764 Sur le paiement d’acomptes : cf. N 142 ss.

765 Cf. N 425 ss.

766 BK-WEBER, 68-96, CO 88 N 28: « Nach dem Sinn der Erklärung kann sich oft eine weniger weitgehende Saldowirkung ergeben als nach deren Wortlaut ».

767 ZK-JÄGGI/GAUCH/HARTMANN, CO 18 N 351: « In der Unterzeichnung einer Saldoquittung liegt kein stillschweigender Verzicht auf Recht, an die keine Partei gedacht hat ».

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C’est ainsi que le Tribunal fédéral a retenu que :

« Une quittance pour solde de compte n’empêche le créancier de faire valoir de nouvelles prétentions contre le débiteur que dans la mesure où elle constitue une renonciation à ses prétentions. Mais on ne peut renoncer qu’aux droits dont on se sait titulaire ou dont on envisage l’acquisition au moins comme une possibilité »768.

A l’ATF 60 II 445769, le Tribunal fédéral a rattaché cette forme d’interprétation restrictive au principe général de la bonne foi. C’est en tous les cas ce que traduisent les formulations employées (« nach Treu und Glauben »770) et la référence faite à l’art. 2 CC dans le chapeau de l’arrêt. De même, à l’ATF 102 III 40, où il a repris la même affirmation, le Tribunal fédéral a fait mention de ce que « raisonner différemment serait battre en brèche les règles de la bonne foi »771. Le principe de la bonne foi restreint ainsi la portée des accords, notamment en ce que les effets d’une clause pour solde de tout compte sont limités à la situation factuelle prévalant au moment de la signature. Dans ce contexte, la renonciation à des prestations ultérieures ne serait concevable et admissible qu’à la condition – essentielle selon les règles de la bonne foi – qu’il ne subsiste aucun dommage772, ou en tous les cas aucun dommage qui ne pouvait pas être prévu par les parties.

Alternativement au principe de la bonne foi, certains auteurs se réfèrent au principe de la protection de la personnalité773. Par la conclusion de telles clauses, les parties renoncent à éclaircir une situation litigieuse ou incertaine et dans cette mesure renoncent à des droits indéterminés dans leur existence ou leur mesure, courant le risque d’un engagement exessif (art. 27 al. 2 CC).

L’indétermination de la renonciation est d’autant plus critique que la situation est susceptible d’évolution, puisqu’un risque supplémentaire s’ajoute aux engagements pris774. La référence au droit de la personnalité, qui empêche effectivement à chacun de restreindre sa liberté de manière contraire aux mœurs notamment par un engagement excessif, est donc justifiée775. L’art. 27 al. 2 CC prend une dimension particulière s’agissant des conventions expresses sur les prétentions inconnues des parties au moment de l’accord776.

768 ATF 102 III 40, c. 3f; ATF 100 II 4, c. 1; ATF 68 II 186, c. 1 ; ATF 60 II 445, c. 1.

769 ATF 60 II 445.

770 ATF 60 II 445, c. 1 ; de même : HÜNERWADEL, p. 101, n. 492 : « […] die eigens für Saldoquittungen aus Treu und Glauben entwickelte Regel […], wonach unvorhersehbare Ansprüche davon nicht erfasst seien ».

771 ATF 102 III 40, c. 3f.

772 ATF 60 II 445, c. 1.

773 MARADAN,p. 175n. 152;MARCHAND, p. 145.

774 BECK,p. 300.

775 BK-BUCHER,CC27N267ss; GUHL/KOLLER,§7N29ss; MARCHAND, p. 145.

776 Cf. N 569 ss.

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2) Perspective comparative

a) « Interpretatio prudentium » du droit romain

L’interprétation restrictive adoptée par le Tribunal fédéral quant aux effets des clauses pour solde de tout compte777 reprend les considérations émises par les juristes romains à propos de la stipulation aquilienne. Afin de limiter les effets que laissait présager le texte extensif de cette stipulatio, les juristes classiques retenaient que les créances auxquelles les parties n’avaient pas pensé étaient exclues de la renonciation778, par le biais d’une « interprétation équitable »779. L’effet abdicatif se limitait ainsi aux droits litigieux et connus, tandis que les droits non envisagés par les parties ou nés ultérieurement subsistaient et pouvaient faire l’objet d’une nouvelle demande en justice780. Les parties étaient ainsi fondées à revenir sur une transaction en dépit d’une stipulation aquilienne, dans la mesure où elles faisaient valoir des prétentions qui leur étaient inconnues au moment de la conclusion ou qui étaient nées subséquemment781. Il apparaît que c’est essentiellement le texte extensif de la stipulation aquilienne qui a justifié le développement d’une interprétation restrictive, faisant primer la volonté des parties sur les termes employés782. Saluée comme un progrès jurisprudentiel favorisant une solution équitable, cette interprétation corrigeait les effets d’une « formule captieuse », soit d’un piège tendu au moyen d’un formulaire savamment rédigé résultant en la perte d’un droit justifiée par aucune contre-prestation783.

b) Code prussien et droit contemporain allemand

L’ancien code prussien prévoyait qu’une transaction liquidant l’intégralité des prétentions ne s’étendait, dans le doute, pas aux prétentions inconnues de l’ayant droit au moment de la transaction784.

777 Cf. N 482 ss.

778 Fragement « de Transactionibus » de Papinien, selon GIDE,p. 45 :« Voyez, par exemple, dans la loi 5, de Transactionibus, comment s’y prend Papinien pour expliquer qu’une novation, conçue dans les termes généraux de la stipulation aquilienne, n’atteindra pas les créances auxquelles les contractants n’ont point songé. »

779 GIDE,p. 46.

780 KASER, p. 349 s. ; STURM, Stipulatio Aquiliana, p. 365 ; STURM, Quittance transactionnelle, p. 347.

781 STURM, Quittance transactionnelle, p. 347.

782 BRIESKORN,p. 47;STURM, Stipulatio Aquiliana, p. 363 ss.

783 GIDE,p. 45 s., se référant au fragment L. 5, De transactionibus, II, 15 : « Cum aquiliana stipulatio interponitur, quae ex consensu redditur, lites de quibus non est cogitatum in suo statu retinentur : liberalitatem enim captiosam interpretatio prudentium fregit. » ;STURM, Quittance transactionnelle, p.

347 s.

784 ALR I 16 § 427 et § 428.

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« § 427. Haben sich die Parteyen ausdrücklich über alle ihre wechselseitigen Forderungen verglichen : so sind alle bisher gehabte gegenseitige Rechte, sie mögen schon streitig gewesen seyn oder nicht, für aufgehoben zu achten.

§ 428. Doch bleiben auch von einem solchen Vergleiche diejenigen Posten ausgenommen, welche einem oder beyden Theilen erst nach dem Vergleich bekannt geworden. »

Si la règle n’a pas été reprise dans le BGB, il est admis que le résultat préconisé par le code prussien est obtenu après application des principes généraux d’interprétation du droit contemporain allemand785.

c) § 1389 du Code civil autrichien

Le § 1389 ABGB dispose que les transactions, seraient-elles générales et destinées à comprendre tous les litiges, ne s’étendent pas aux droits intentionnellement dissimulés ou auxquels les parties ne pouvaient pas penser.

« Ein Vergleich, welcher über eine besondere Streitigkeit geschlossen worden ist, erstreckt sich nicht auf andere Fälle. Selbst allgemeine, auf alle Streitigkeiten überhaupt lautende Vergleiche sind auf solche Rechte nicht anwendbar, die geflissentlich verheimlicht worden sind, oder auf welche die sich vergleichenden Parteien nicht denken konnte ».

A noter que le principe serait applicable à tout contrat de transaction liquidant un rapport de durée, quand bien même il ne comporterait pas de clause pour solde de tout compte786.

d) Section 1542 du Code civil californien

La Section 1542 CCCal retient que la renonciation ne s’étend qu’aux prétentions dont les parties avaient l’intention de disposer787.

785 MARBURGER,§779N58.

786 Arrêt de l’Obergerichtshof du 20 mars 1985, 1 Ob 534/85 in SZ 58/44 ; arrêt de l’Obergerichtshof du 20 novembre 1991, 1 Ob 617/91 in JBl 1992, 444 : « Es trifft zwar zu, dass ein aus Anlass der Auflösung eines Dauerschuldverhältnisses abgeschlossener Vergleich – auch ohne Generalklausel – im Zweifel Bereinigungswirkung für alle aus diesem Dauerschuldverhältnis entstehenden Rechte und Pflichten bewirkt » ; DITTRICH/TADES,§1389N7.Les actes ayant donné lieu aux décisions mentionnées comportaient toutefois des clauses pour solde de tout compte.

787 Arrêt Bank of Credit and Commerce International SA v. Ali (2001), UKHL 8, opinion du juge Bingham :

« have supposed that such claim lay in the realm of practical possibility » ; Barninger v. Maritime National Union : « (…) a release may not be read to cover matters which the parties did not desire or intend to dispose of » ; WILLISTON,Treatise, § 73 :4 : « General releases are interpreted according to what the parties at the time of their execution contemplated, and therefore generally include claims of which the parties were aware at the time of the release’s execution ».

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« A general release does not extend to claims which the creditor does not know or suspect to exist in his or her favor at the time of executing the release, which if known by him or her must have materially affected his or her settlement with the debtor ».

Un règlement général ne s’étend donc pas aux prétentions dont le créancier ignore l’existence au moment de l’exécution du contrat et qui auraient eu des incidences sur l’accord avec le débiteur. La section est toutefois de droit dispositif, de sorte que les parties pourraient convenir de l’écarter (« waiver of Section 1542 ») et renoncer valablement à des prétentions inconnues788.

« […] The provisions of any state, federal, local or territorial law or statute providing in substance that releases shall not extend to claims, demands, injuries or damages which are unknown or unsuspected to exist at that time, to the person executing such release, are expressly waived »789

« It is understood and agreed that all rights under the statute which provides as follows,

“Certain Claims Not Affected By General Release – A general release does not extend to claims which the creditor does not know or suspect to exist in his favor at the time of executing the release, which if known by him must have materially affected his settlement with the debtor”, are expressly waived »790

§ II. Les cas développés dans la jurisprudence

Le Tribunal fédéral a eu l’occasion de rendre plusieurs arrêts en matière de prétentions inconnues. Il s’agissait d’une part d’examiner si la renonciation s’étendait aux droits non encore existants au moment de l’accord (A.) et aux droits déjà existants, mais ignorés des parties (B). Cette casuistique permet également de dégager certains critères de mise en œuvre (C).

788 P.ex.: transaction mettant un terme à la class action dans l’affaire (2011), case No. 4:10-CV-11977-FDS: « Plaintiffs expressly understand and acknowledge, and all Class Members will be deemed by the Final Order and Final Judgment to acknowledge, that certain principles of law, including, but not limited to, Section 1542 of the Civil Code of the State of California, provide that “a general release does not extend to claims which the creditor does not know or suspect to exist in his or her favor at the time of executing the release, which if known by him or her must have materially affected his or her settlement with the debtor.” To the extent that anyone might argue that these principles of law are applicable , – notwithstanding that the Parties have chosen Massachusetts law to govern this Agreement – Plaintiffs hereby agree that the provisions of all such principles of law or similar federal or state laws, rights, rules, or legal principles, to the extent they are found to be applicable herein, are hereby knowingly and voluntarily waived, relinquished and released by Plaintiffs and all Class Members ». Egalement arrêt Casey v. Proctor (1963) 59 Cal.2d 97, 586 ; ANDERSON, p. 4 et 17 s.

789 WILLISTON,Forms 2013, § 73F :6.1, 283.

790 « Release Of All Claims », formulaire émis par la compagnie d’assurances « Prudential Financial », Appendice C.

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A) Renonciation à des droits non encore existants au moment de

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