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Section I : La nature abdicative

A) Liberté de renoncer à des droits

Dans une conception moderne, la renonciation se comprend comme l’abandon définitif d’un droit subjectif (1), un droit qu’il s’agit encore de déterminer (2).

1) Notion juridique de renonciation

En droit suisse, la renonciation n’est traitée de manière générale dans aucune disposition légale254, pas plus qu’elle ne suscite un intérêt particulier de la doctrine255, au point d’être décrite comme un « parent pauvre du droit des obligations »256. Cette absence d’intérêt proviendrait peut-être du caractère évident de l’institution, la renonciation étant une faculté courante découlant de l’autonomie privée257.

Le terme de renonciation ne trouve à ce titre pas d’emploi systématique dans la loi258, mais apparaît ponctuellement dans le Code des obligations259. Cela ne suffit cependant pas à en donner une image uniforme, le terme de renonciation n’étant par exemple pas nécessairement employé pour les institutions qui en incorporent manifestement une. Ainsi, l’art. 115 CO, qui évoque laconiquement l’absence de forme pour annuler ou réduire conventionnellement une créance, porte en réalité sur la remise de dette, soit l’exemple type de renonciation en droit des obligations260. En d’autres termes, la renonciation ne se laisse guère appréhender par une analyse des bases légales qui s’y réfèrent261.

En substance, la renonciation est la déclaration de volonté par laquelle l’ayant droit abandonne définitivement un droit subjectif, sans le transférer à une autre personne262.

254 A l’inverse, le droit autrichien connaît une disposition générale sur la renonciation à l’art. 1444 ABGB :

« In allen Fällen, in welchen der Gläubiger berechtigt ist, sich seines Rechtes zu begeben, kann er demselben auch zum Vortheile seines Schuldners entsagen, und hierdurch die Verbindlichkeit des Schuldners aufheben ».

255 Sous réserve des contributions de PETER, CARRON et YUNG,Renonciation.

256 CARRON,p. 145.

257 CARRON,p. 146.

258 Pour le droit allemand: KLEINSCHMIDT, p. 3 ; WALSMANN, p. 2.

259 Art. 34 al. 2 CO ; art. 100 al. 1 CO ; art. 101 al. 2 CO ; art. 107 al. 2 CO ; art. 115 CO ; art. 126 CO ; art. 141 CO ; art. 160 al. 2 CO ; art. 190 al. 1 CO ; art. 341 al. 1 CO ; art. 492 al. 4 CO ;PETER, p. 154 ss.

260 Sous « remise conventionnelle », l’art. 115 CO ne fait aucunement référence à une renonciation : « Il n'est besoin d'aucune forme spéciale pour annuler ou réduire conventionnellement une créance, lors même que, d'après la loi ou la volonté des parties, l'obligation n'a pu prendre naissance que sous certaines conditions de forme ». La situation est similaire en droit allemand : BRIESKORN, 33 ; KLEINSCHMIDT, p. 2, n.7.

261 A noter que WALSMANN, en droit allemand, avait tenté d’analyser le concept de renonciation en répertoriant les occurrences légales du terme, non sans relever: « diese Methode mag formalistisch erscheinen. Indessen kommt es ja nur darauf an, zunächst einmal festen Boden zu gewinnen », WALSMANN,p.5.

262 « Unter Verzicht im technischen Sinne wird eine Willenserklärung verstanden, durch die der Berechtigte definitiv, d.h. rechtsgeschäftlich bindend ein subjektives Recht aufgibt, ohne es auf

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Selon une conception classique, la renonciation serait exclusivement unilatérale, à l’image de la déréliction de la propriété connue des droits réels263. Cette conception, étroite et dogmatique, a été délaissée au profit d’une perspective moderne étendant la renonciation aux actes bilatéraux264. La renonciation peut ainsi être unilatérale, nécessitant l’unique manifestation de volonté du titulaire du droit concerné, ou bilatérale, nécessitant au minimum deux manifestations de volonté265. Cette conception large a l’avantage d’englober la remise de dette, en dépit de son caractère d’acte de disposition bilatéral légalement prescrit.

Au-delà des questions de structure, la renonciation se caractérise par ses effets, soit l’extinction d’un droit ou d’un avantage légal, avec lesquels elle se confond largement266. C’est pourquoi une acception large et pratique de la notion, par ailleurs plus conforme à son acception commune, est à privilégier. Elle revient à se départir tant des occurrences légales que de la structure des actes abdicatifs afin d’éviter de restreindre artificiellement et sans motifs le champ de l’analyse.

En définitive, la renonciation est une notion juridique existant hors des bases légales qui la consacrent expressément. Elle se conçoit comme l’abandon définitif d’un droit subjectif au moyen d’une déclaration de volonté. Tout acte juridique de disposition répondant à cette définition est une renonciation indépendamment de sa structure, unilatérale ou bilatérale267.

2) Objets de la renonciation a) Notions

i) Droit de créance

La créance est le droit du créancier d’exiger la prestation du débiteur268. Elle trouve son opposé dans la dette, soit l’obligation du débiteur d’offrir sa prestation au créancier269.

Le principe de la liberté contractuelle conduit à admettre la renonciation à des créances (en allemand « Forderung[en] »), actuelles, voire futures, reposant sur

jemanden anderen zu übertragen », HOFMANN,p.7; « Verzicht ist eine Willenserklärung, durch die der Träger eines subjektiven Rechts aufgibt, ohne es jemande Anders zu übertragen », BK-REHBINDER/STÖCKLI,CO341N2; « perte définitive et volontaire, du droit concerné. Alors que le titulaire aurait la possibilité de l’exercer, il abandonne sans retour cette faculté », VIONNET,p.91;« acte de volonté par lequel une personne abandonne définitivement un droit ou un avantage légal sans le transférer à autrui », YUNG,Renonciation, p. 139.

263 ENGEL, Traité des obligations,p. 763.

264 Dans le même sens:BERGER H., p. 195.

265 CARRON,p. 147.

266 WALSMANN, p. 25 ; YUNG, Renonciation, p. 143.

267 Dans le même sens : CARRON,p.147.

268 HUGUENIN,N26 ;KOLLER,Obligationenrecht, N2.21 ;TANDOGAN,p. 29 ;TERCIER/PICHONNAZ,N104.

269 HUGUENIN,N28 ;KOLLER,Obligationenrecht, N2.21 ;TERCIER/PICHONNAZ,N103 ;VON TUHR/PETER,p. 9.

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la loi ou sur un contrat270. Le créancier renonce à exercer son droit, par exemple en décidant de ne pas faire valoir sa créance ou de l’éteindre par une remise de dette271. A cet égard, la remise de dette, dont il est question à l’art. 115 CO272, est le cas principal de renonciation en droit des obligations.

ii) Droit d’action

Le droit d’action (en allemand « Klagerecht »), soit le droit de faire valoir ses droits en justice, est l’« armure de la créance »273. Il complète le droit privé du créancier d’exiger du débiteur l’exécution de la prestation et conduit potentiellement au prononcé d’un jugement, voire à une procédure d’exécution forcée274. Le droit d’action revêt un caractère public par l’action des organes étatiques qu’il implique, quoiqu’il relève du droit matériel privé dans lequel il trouve son fondement275. Il se distingue en cela du droit d’action connu en droit romain, lequel se rattachait au droit de procédure276.

La relation du droit de créance au droit d’action est particulière, la jurisprudence rendue en matière de cession de créance refusant notamment de scinder l’un et l’autre277. La cession de la créance ferait ainsi nécessairement passer au cessionnaire la qualité pour intenter action et ne saurait porter sur la seule faculté de déduire la créance en justice (sous réserve de dispositions contraires, p. ex. l’art. 260 LP)278. En d’autres termes, il ne serait pas possible de renoncer à la créance sans renoncer au droit d’action correspondant.

Or, la renonciation au seul droit d’action est reconnue, notamment sous la forme du pactum de non petendo279. Les parties conviennent ainsi que la créance est dépourvue du droit d’action et qu’elle ne pourra pas faire l’objet d’une demande en justice. Le pactum de non petendo attache donc à la renonciation du créancier à faire valoir un droit en justice un effet obligatoire. Il s’oppose à la renonciation unilatérale et non contraignante du créancier qui déciderait délibérément de ne pas faire valoir sa créance280.

270 Art. 19 CO. BUCHER, Obligationenrecht, p. 359 et 400 ; HOFMANN,p.76 ss ; TERCIER/PICHONNAZ, N 1464.

P. ex.: art. 100 al. 2 CO ; art. 160 al. 2 CO ; art 341, al. 1 CO ; art. 418m al. 2 CO.

271 KELLER/SCHÖBI, p. 190.

272 Sur la remise de dette : cf. N 208 ss.

273 ENGEL, Traité des obligations, p. 8. Egalement: GAUCH/SCHLUEP/TERCIER, N 78.

274 GAUCH/SCHLUEP/TERCIER, N 77.

275 ATF 77 II 344, c. 2 ; ATF 67 II 70, c. 2 ; GAUCH/SCHLUEP/TERCIER, N 77 s.

276 GAUCH/SCHLUEP/TERCIER, N 78.

277 ATF 130 III 417, c. 3.4 ; ATF 78 II 265 c. 3a.

278 ATF 130 III 417, c. 3.4 ; ATF 78 II 265 c. 3a.

279 Cf. N 219 s.

280 ZIRLICK, p. 14 et 106.

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Privée du droit d’action, la créance ne peut faire l’objet d’une action en justice, mais subsiste en tant qu’obligation naturelle281. En cette qualité, son titulaire peut en recevoir l’exécution et l’opposer en compensation282.

iii) Prétention

Au contraire des notions de droit de créance et de droit d’action, la notion de prétention (en allemand « Anspruch ») ne connaît pas de définition précise. Il est en particulier difficile de distinguer les créances (« Forderungen ») des prétentions (« Ansprüche »), tant ces termes sont confondus ou employés comme synonymes283. Cette imprécision est renforcée par les textes légaux qui ne traduisent pas nécessairement le terme « prétention » par « Anspruch », mais lui préfèrent « Forderung »284 voire « Recht »285, qui correspondent généralement aux termes français de « créance » respectivement « droit ».

Reflétant l’indétermination de la notion, une thèse de droit allemand a dénombré pas moins de douze sens différents pour le terme « Anspruch »286. A des fins de systématisation, la doctrine propose occasionnellement une distinction entre créance et prétention. Prise dans un sens large, la prétention serait une créance exigible ou un droit qui peut fonder une action en justice (« klagbares Recht »)287. Alternativement, la prétention serait comprise dans la créance et impliquerait le droit de porter une réclamation devant les tribunaux288. Prise dans un sens étroit, la prétention (« Anspruch ») serait un intermédiaire entre la dette (« Schuld ») et la garantie ou responsabilité (« Haftung »), à savoir la manifestation de volonté du créancier qui n’a pas été désintéressé de mettre en œuvre la garantie, assimilable au droit d’action289. Dans cette perspective, la prétention « au sens technique » tend à un

281 KOLLER,Obligationenrecht, N2.41et 2.46.

282 Cf. N 221 ss.

283 GAUCH/SCHLUEP/TERCIER, N 62; HUGUENIN,N29;KOLLER,Obligationenrecht, N2.04 ;VON TUHR/PETER,15 ; BaKORI-ZELLWEGER-GUTKNECHT/BUCHER,Intro. CO 1 ss. N 41.

284 P. ex. dans le CO : art. 271a al. 1 let. e ch. 2, 271 al. 2, 330 al. 2, 337a, 337b, al. 1 CO.

285 P. ex. dans le CO : art. 286 al. 1.

286 BÖHLER, p. 6 s.

287 « le terme “prétention” désigne généralement la créance exigible ou le droit qui peut être immédiatement invoqué en justice »,HOHL, Tome I, N 109, laquelle se réfère à GAUCH/SCHLUEP/TERCIER, N 62 ; « Wir verstehen unter Anspruch nur die durchsetzbare, das heisst die klagbare Forderung », HUGUENIN,N30 ; « Das Recht, die Leistung zu verlangen, heisst Anspruch » « Die Forderung besteht, sobald die Leistung dem Gläubiger geschuldet wird. Sein Anspruch entsteht erst dann, wenn er die Leistung verlangen darf, d.h. wenn die Forderung fällig ist », VON TUHR/PETER,p. 15s. ;« Dans un sens plus large, le terme "prétention" signifie tout droit actuel et particulier à un comportement d’autrui, renfermant aussi bien les prétentions au sens technique que les droits de créance exigibles », TANDOGAN,p. 31 ;« Die Forderung kann dann zwar entstehen, sie wird jedoch nicht zum Anspruch, da ihre Durchsetzbarkeit an der Einrede des Schuldners scheitern wird », ZIRLICK, p. 14.

288 ENGEL, Traité des obligations, p. 8.

289 LE ROY/SCHOENENBERGER, p. 29 s.

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comportement autre qu’une prestation, par exemple la cessation d’un trouble, se distinguant ainsi de la créance qui tend nécessairement à une prestation290. Sans qu’il ne se dégage de conception uniforme de la notion de prétention, celle-ci semble être à mi-chemin entre la créance et le droit d’action. Son emploi paraît donc opportun dans les situations où l’objet de la renonciation, créance ou droit d’action, n’est pas prédéfini. Au demeurant, le terme de prétention est fréquemment utilisé en pratique comme dans la jurisprudence dans le cadre des clauses pour solde de tout compte, où le créancier reconnaît bien souvent qu’il

« n’a pas ou plus d’autre ou plus ample prétention à faire valoir »291. b) Objets de la renonciation dans les institutions parentes

Il est généralement admis que les clauses limitatives de responsabilité n’ont pas pour objet la possibilité de faire valoir des prétentions après la survenance d’un dommage, mais empêchent la prétention de naître292. En tant que tel, leur objet serait un droit de créance, non pas un droit d’action.

Il n’en va cependant pas nécessairement de même pour la décharge en droit de la société anonyme293. Dans sa thèse, OULEVEY procède à une analyse détaillée de l’institution afin de déterminer quel en est l’objet. Dans ce contexte, il souligne que le but de clarification des questions de responsabilité ne permet pas de déterminer si la décharge agit « sur la prétention matérielle ou sur le droit d’intenter une action en responsabilité »294. Dans la mesure où il retient toutefois que la décharge a un caractère unilatéral et n’est pas un contrat, il plaide en faveur d’un effet sur le droit d’action295. Pour d’autres auteurs, la décharge en droit des sociétés a pour objet l’action en responsabilité en tant que telle296 ou les prétentions en dommages-intérêts, auxquelles il est renoncé par le biais d’une reconnaissance négative de dette297. Cette dernière conception, impliquant une reconnaissance négative de dette, est celle du Tribunal fédéral298.

290 GAUCH/SCHLUEP/TERCIER, N 59 et 62; TANDOGAN,p. 29 s.

291 ATF 127 III 444, c. 1a.

292 ZIRLICK,p. 8 :« Es entspricht heute allgemein anerkannter Rechtsauffassung, dass die Freizeichnung dabei nicht etwa nur die Klagbarkeit einer an sich entstandenen Schadenersatzforderung hemmt, sondern dass sie vielmehr verhindert, dass trotz tatbestandsmässiger unerlaubter Handlung diese Forderung und somit auch der Anspruch überhaupt entstehen kann ».

293 Cf. N 150 ss.

294 OULEVEY,p. 151.

295 OULEVEY,p.152 S.

296 CR CO II-CORBOZ/AUBRY GIRARDIN,CO758N2.

297 BaKORII-GERICKE/WALLER,CO758N2 :« Der Entlastungsbeschluss stellt grundsätzlich einen Verzicht der Gesellschaft auf Schadenersatzansprüche gegen die verantwortlichen Organe dar ; es kommt ihm die Wirkung einer negativen Schuldanerkennung zu ».

298 TF, 4A_155/2014 du 5 août 2014, c. 6.3 a.i. : « Der Entlastungsbeschluss lässt allfällige Verantwortlichkeitsansprüche der Gesellschaft gegenüber ihren Organen untergehen bzw. bedeutet eine negative Schuldanerkennung ».

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