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Application de l’interprétation « prudente » dans la jurisprudence

Section II : L’interprétation prudente et extensive

B) Application de l’interprétation « prudente » dans la jurisprudence

L’interprétation « prudente » n’a pas la même importance, selon qu’elle s’applique à une quittance pour solde de tout compte (1) ou un contrat de transaction (2).

1) Application de l’interprétation « prudente » à la quittance pour solde de tout compte

Après avoir posé qu’« une quittance pour solde de compte doit être interprétée selon le principe de la confiance et elle ne doit être admise qu'avec retenue », le Tribunal fédéral a constaté que le montant figurant sur un décompte final d’honoraires ne concernait que les montants alors dus et que les parties ignoraient à ce moment l’évolution de la situation. Dans ces circonstances, l’envoi d’un décompte final ne pouvait signifier, en application du principe de la confiance, une libération de toute prétention ultérieure708.

Dans l’arrêt 4C.31/2001, partiellement publié à l’ATF 127 III 444, les parties avaient soldé leur litige par un document intitulé « Règlement pour solde de tout compte »,avec soulignement et caractères gras, signé par les deux parties.

Pour interpréter ce document, le Tribunal fédéral a énoncé, en s’appuyant sur la doctrine, que l’interprétation d’une quittance pour solde de tout compte obéissait aux mêmes règles que celles gouvernant l’interprétation des manifestations de volontés, mais qu’ « une certaine prudence est de mise avant de conclure à l’existence d’une quittance pour solde de comptes, en particulier en matière de contrat de travail et de contrat d’assurance »709. Le Tribunal fédéral a toutefois conclu à un effet liquidatoire global du document, en se fondant notamment sur sa lettre. A noter que l’affaire n’avait pour cadre ni un

706 TF, 5A_486/2011 du 25 août 2011, c. 4.2.

707 TF, 4A_523/2017 du 21 décembre 2017, c. 3.1. Egalement : GAUCH/SCHLUEP/SCHMID/EMMENEGGER,II,N 2410 :« Das Bundesgericht legt solche Klauseln nach dem Vertrauensprinzip einschränkend aus ».

Pour le droit du travail, BK-REHBINDER/STÖCKLI,CO341N8 :« Der Vertrauensgrundsatz geht im Arbeitsverhältnis, das durch Treue- und Fürsorgepflicht geprägt ist, besonders weit ».

708 TF, 4C.17/2001 du 7 août 2001, c. 3d.

709 TF, 4C.31/2001 du 5 juillet 2001, c. 2a, non publié à l’ATF 127 III 444.

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contrat de travail ni un contrat d’assurance, mais un litige entre un économiste et un garagiste.

2) Application de l’interprétation « prudente » au contrat de transaction a) Règle d’application subsidiaire limitée aux cas douteux

Le Tribunal fédéral a également appliqué l’interprétation « prudente » à un contexte transactionnel710. Il a précisé que cette interprétation, développée en matière de quittances pour solde de tout compte, était étendue aux contrats de transaction en cas d’échec de l’interprétation objective, soit que celle-ci ne conduise pas à un résultat sûr, soit qu’à tout le moins deux solutions différentes paraissent soutenables :

« En matière de transaction, lorsque les règles habituelles d’interprétation ne conduisent pas à un résultat sûr ou que, à tout le moins, deux solutions différentes paraissent soutenables, il convient de procéder à une interprétation stricte, semblable à celle régissant les quittances pour solde de tout compte (cf. ATF 127 III 444 consid. 1a). »711

En d’autres termes, l’interprétation prudente est certes applicable aux contrats de transaction, mais n’intervient qu’en dernier recours, pour les cas douteux712. C’est ainsi qu’après avoir posé le principe d’une interprétation prudente, le Tribunal fédéral n’y a pas eu recours dans le cadre de l’arrêt 4C.186/2002, puisqu’il a considéré que l’examen conduit au regard de l’interprétation objective lui avait permis de tenir l’existence d’une clause pour solde de tout compte pour suffisamment sûre.

« L’application au cas d’espèce des règles sur l’interprétation objective du contrat conduit à un résultat suffisamment sûr, de sorte que le recours à une interprétation stricte, laquelle est préconisée, ainsi qu’on l’a vu, en ce qui concerne les transactions extrajudiciaires, n’a pas lieu d’être. »713

La discrimination entre quittance pour solde de tout compte, où la règle paraît valoir en plein, et transaction, où la règle ne vaut que de manière subsidiaire, trouve sans doute son origine dans le fait que la transaction – contrairement à la pure quittance pour solde de tout compte – comporte des concessions réciproques. La renonciation qui y est faite l’est en contrepartie d’une prestation,

710 TF, 5A_486/2011 du 25 août 2011, c. 4.2 ; TF, 5A_828/2010 du 28 mars 2011, c. 4.2.2; TF, 4C.23/2005 du 24 juin 2005, c. 3.1 ; TF, 4C.186/2002 du 22 octobre 2002, c. 2.2.2.

711 TF, 4C.186/2002 du 22 octobre 2002, c. 2.2.2.

712 GAUCH,Circulation routière, p. 13 et note de bas de page 69, où se trouve une définition des règles pour les cas douteux (« Die Regeln für Zweifelsfälle »).

713 TF, 4C.186/2002 du 22 octobre 2002, c. 2.3.

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de sorte que le créancier n’est pas nécessairement lésé par une interprétation stricte de sa renonciation. En tant que telle, la discrimination est donc justifiée.

b) Résultats de l’application dans la jurisprudence

Dans l’affaire à la base de l’arrêt 4C.23/2005 du 24 juin 2005, après la perte substantielle de sommes dans le cadre d’un contrat de gestion de fortune, le mandant avait déclaré n’avoir plus aucune prétention à faire valoir à l’encontre de la société mandataire et ne plus entreprendre par la suite aucune procédure à l’encontre de cette dernière ou de ses animateurs714. Posant le principe d’une interprétation restrictive, le Tribunal fédéral a néanmoins conclu à l’existence d’une clause pour solde de tout compte, non sans avoir examiné en détail les circonstances de l’espèce. Ont notamment plaidé en faveur de ce résultat, le sacrifice important consenti par le débiteur, le fait que les parties aient évoqué lors de la conclusion de la transaction l’ensemble des leurs rapports et la nécessité de mettre un terme à tout rapport contractuel. Le dépôt d’une plainte pénale avait enfin indubitablement rompu le rapport de confiance entre les parties715.

Dans l’arrêt 5A_828/2010, le Tribunal fédéral avait à déterminer si une transaction conclue pour solde de tout compte dans le cadre d’une procédure pénale mettait un terme à une procédure de recours devant les instances fédérales en matière de droits réels. Outre que la transaction ne liait qu’une partie parmi plusieurs concernées, sa teneur ne permettait pas de déterminer à quel titre le montant convenu était versé. Considérant qu’une clause pour solde de tout compte n’était pas à admettre facilement, il devait être retenu, en défaveur de la partie supportant le fardeau de la preuve, qu’elle ne s’étendait en l’occurrence pas au recours devant le Tribunal fédéral716.

Dans un arrêt 5A_486/2011 en matière d’assistance juridique, le Tribunal fédéral a considéré que les chances de succès du requérant, qui se prévalait de sa libération dans le cadre d’une procédure de poursuite en se fondant sur une transaction soi-disant conclue pour solde de tout compte, avaient correctement été évaluées. Les incertitudes sur les prétentions prétendument liquidées

714 TF, 4C.23/2005 du 24 juin 2005, c. A : « ne plus avoir aucune prétention financière et légale de quelque type que ce soit, envers Monsieur B., la société X. SA, et ses employés » « aucune procédure judiciaire ou extrajudiciaire à l’encontre de B. ou de X. SA en compensation des sommes perdues et reconnaissait que, par l’accord en question, il était dédommagé des pertes subies dans le cadre de la gestion, par cette société, des sommes investies auprès d’elle ».

715 TF, 4C.23/2005 du 24 juin 2005, c. 3.3 : « Les discussions entre les différents intervenants avaient permis tant au père du demandeur qu'à celui-ci d'arriver à la conclusion qu'il était nécessaire que les parties rompent tout rapport contractuel. C'était dans cet état d'esprit, comme l'avaient relevé le père du demandeur et C.________ lors de leur audition, que l'accord du 2 novembre 1995 avait été conclu. »

716 TF, 5A_828/2010 du 28 mars 2011, c. 4.2.2.

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devaient jouer en défaveur de celui qui entendait en déduire des droits, de sorte qu’une clause pour solde de tout compte n’a pas été admise717.

Ces différents arrêts n’ont pas pour contexte des rapports de travail, d’assurance ou de consommation, cas pour lesquels l’interprétation « prudente » semble être particulièrement appropriée718. Au contraire, la règle est évoquée en matière de gestion de fortune719 ou de droits réels720. Elle a donc vocation à s’appliquer indépendamment du contexte considéré, lorsque l’interprétation objective ne permet pas d’arriver à un résultat sûr ou que deux solutions différentes paraissent soutenables.

§ II. L’interprétation extensive en conformité avec le but liquidatoire

Dans plusieurs décisions, le Tribunal fédéral a placé le but liquidatoire au centre de l’interprétation, retenant que la présence d’une clause pour solde de tout compte importait peu pour admettre un tel effet (A). A tel point que se pose la question d’une renonciation pour solde de tout compte attachée à toute transaction, faute de précision contraire (B).

A) Développement d’une interprétation extensive en conformité

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