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La volonté du créancier de renoncer pour solde de tout compte n’est admise qu’avec retenue si elle intervient tacitement (1) ou sans contrepartie du débiteur (2). Une mise en évidence de la clause pour solde de tout compte peut être recommandée, particulièrement lorsqu’elle est intégrée à un formulaire (3).

1) Retenue applicable aux manifestations de volonté tacites

La manifestation de volonté du créancier de renoncer définitivement à se prévaloir de tout ou partie de ses droits doit être clairement exprimée435, la circonspection étant de rigueur avant d’admettre une renonciation par actes concluants, au vu des conséquences entraînées par celle-ci436. En particulier, le simple fait pour le créancier d’attendre avant de faire valoir une créance n’équivaut pas à une renonciation437. Ainsi, n’est pas présumé offrir de remettre la dette le créancier qui laisse simplement une créance se prescrire438 ou n’exerce pas l’un ou l’autre des droits relatifs à la créance439.

Le créancier est par exemple légitimé à se prévaloir de prétentions ultérieures lorsque, ayant renoncé à déposer plainte pénale, il a décidé d’agir contre le débiteur sur le plan civil440. Dans un contexte de rapports de travail, un travailleur est légitimé à se prévaloir d’une prétention à l’issue de la période de protection d’un mois de l’art. 341 al. 1 CO441. Ce n’est que si l’inaction du travailleur paraît contradictoire et propre à lui procurer un avantage indu qu’un abus de droit entre, exceptionnellement, en considération442. Par ailleurs, il n’y a guère d’acceptation tacite du travailleur des propositions de modifications du contrat dans un sens lui étant défavorable. Un employé n’accepte pas une diminution de son salaire du seul fait qu’il a signé une quittance d’un montant inférieur au salaire contractuel443. Dans une perspective similaire, il n’y pas renonciation si le travailleur ne réagit pas à l’annonce que ses salaires futurs

435 ATF 110 II 344 c. 2b ;TF,5A_884/2014 du 30 janvier 2015, c. 5.3 ; TF,9C_472/2012du 31 octobre 2012, c. 5.2 ; ZK-AEPLI,CO115N30;ENGEL,Traité des obligations, p. 762;BaKORI-GABRIEL,CO115 N6;CR CO I-PIOTET,CO115N22;SCHWENZER, Obligationenrecht,N79.02 ; VON TUHR/ESCHER,p. 177.

436 ATF 109 II 327, c. 2b ; TF, 5A_884/2014 du 30 janvier 2015, c. 5.3 ; TF, 4A_589/2011 du 5 avril 2012, c. 8.1, non publié à l’ATF 138 III 304 ; 4A_125/2009 du 2 juin 2009, c. 3.3. CARRON,p. 150.

437 ATF 110 II 344, c. 2b ; TF, 5A_884/2014 du 30 janvier 2015, c. 5.3 ; TF, 4A_347/2012 du 5 novembre 2012, c. 2.2.

438 ATF 70 II 24 ; ATF 54 II 202, c. 3; ZK-AEPLI,CO 115 N 36 ; BaKORI-GABRIEL, CO 115 N 6.

439 ATF 59 II 303; ZK-AEPLI,CO115N38;BOHNET/DIETSCHY, CO 341 N 14;BaKORI-GABRIEL, CO 115 N 6.

440 Dans un contexte de responsabilité des administrateurs (art. 754 CO) : TF, 4A_325/2007, 4A_327/2007 du 15 novembre 2007, c. 6.4.

441 ATF 131 III 439, JdT 2006 I 35, c. 5.1 ; ATF 126 III 337, JdT 2001 I 299, SJ 2000 I 629, c. 7b ; BOHNET/DIETSCHY, CO 341 N 14.

442 ATF 131 III 439, JdT 2006 I 35, c. 5.1.

443 ATF 109 II 327, c. 2b. En l’occurrence, la quittance de salaire portait en plus la mention suivante :

« sous réserve de toute discussion et accords définitifs » (ATF 109 II 327, En fait, A).

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seront diminués444 ou qu’il reçoit, sans mot dire, une prestation inférieure à celle due en vertu du contrat, même si cette situation se reproduit sur un certain nombre d’années445.

Malgré ces cautèles, le Tribunal fédéral a parfois admis une renonciation tacite du créancier à ses prétentions, notamment lorsque celui-ci a tu certaines prétentions, par oubli ou négligence. Il en a décidé ainsi pour l’oubli du créancier de prendre des conclusions relatives aux intérêts moratoires dans le cadre d’une réplique446 et le silence de l’employeur qui, à la fin du rapport de travail, ne dit mot des prétentions en dommages-intérêts connues qu’il a contre le travailleur447.

En tous les cas, le fardeau de la preuve de la libération incombe au débiteur ou à toute autre personne se prévalant de l’extinction de la dette (art. 8 CC). Cela vaut d’autant plus si la renonciation intervient dans les relations caractérisées par l’inégalité du rapport de force. Ainsi, en droit du travail, le fardeau de la preuve de la libération incombe en principe à l’employeur448.

2) Retenue applicable en l’absence de contre-prestation

La circonspection est de mise lorsque la renonciation intervient en l’absence de toute contre-prestation449, puisqu’« en règle générale et sauf circonstances particulières, nul ne renonce sans contre-prestation à une prétention »450. Ce principe vaut notamment dans les relations d’affaires, lorsqu’il n’existe pas de motif apparent pour la remise d’une dette. Dans un litige concernant une vente d’objets d’art, où l’acheteur se prévalait du fait que le solde du prix de la vente avait été remis451, le Tribunal fédéral a ainsi retenu qu’ « [i]l est exclu de supposer une libéralité en faveur des acheteurs, car dans les relations d'affaires, l'abandon d'une prétention, à l'instar de l'exécution d'une prestation [réf.], ne répond en principe jamais à l'intention de donner »452.

Il n’y a en particulier pas de motif apparent de renoncer à une créance s’il n’y a ni litige ni incertitude sur l'existence ce celle-ci. Tel est par exemple le cas de

444 TF, 4A_509/2008 du 3 février 2009, c. 5.1.

445 TF, 4A_418/2009 du 27 octobre 2009, c. 1.4 (cinq ans); ATF 109 II 327, c. 2b.

446 ATF 52 II 215, c. 5 ; ZK-AEPLI,CO 115 N 32.

447 ATF 110 II 344, JdT 1985 I 380 ; ZK-AEPLI,CO 115 N 34.

448 En matière de droit du travail : TF, 4A_509/2008 du 3 février 2009, c. 5.1 ; TF, 4C.242/2005 du 9 novembre 2005, c. 4.3 ; CARRON,p. 150.

449 TF, 5A_884/2014 du 30 janvier 2015, c. 5.3 ; TF,9C_472/2012du 31 octobre 2012, c. 5.2 ; ATF 109 II 327, c. 2b ; ATF 52 II 215 c. 5, JdT 1926 I 426 ; BaKORI-GABRIEL,CO115N6 ;CRCOI-PIOTET,CO 115N22 ; VON TUHR/ESCHER,p. 175.

450 TF, 5A_884/2014 du 30 janvier 2015, c. 5.3 ; TF,9C_472/2012du 31 octobre 2012, c. 5.2, qui se réfère à ZK-AEPLI,CO115N30.

451 Le document signé par le vendeur comportait la mention que le litige était clos (« the dispute (…) is over ») et que les objets d’art pouvaient être délivrés (« the objects can now be freely delivered »), ce qui ressort de l’arrêt de la Cour de justice de Genève du 25 septembre 2015, ACJC/1138/2015.

452 TF, 4A_608/2015 du 23 février 2016, c. 3.

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l’assureur qui ne fait qu’exécuter une obligation non contestée découlant du contrat d’assurance, en contrepartie d'une déclaration pour solde de tout compte que le contexte ne justifie pas453.

Cela n’est pas sans rappeler les développements de la common law en matière de

« consideration ». Selon ce principe, pour qu’un engagement soit contraignant, il doit nécessairement y avoir réciprocité dans le rapport contractuel, soit prestation et contre-prestation454. Ainsi, lorsque les parties conviennent du paiement d’un montant inférieur au montant initialement dû, le créancier reste fondé à réclamer l’intégralité de la dette originale si elle n’était litigieuse ni dans son existence ni dans son montant (« Foakes v. Beer Rule »)455. En revanche, lorsque la dette est litigieuse, l’objectif de liquider ce litige est suffisant pour admettre une consideration456.

Ce principe est expressément applicable aux chèques émis pour solde de tout compte, dans la mesure où l’Uniform Commercial Code prévoit au § 3-311 que la prétention objet du chèque doit être incertaine dans son existence ou son montant (« unliquidated ») ou sujette à un litige conduit de bonne foi (« subject to a bona fide dispute »)457. Le chèque doit en outre être émis de bonne foi, ce qui n’est pas le cas si le débiteur utilise systématiquement des chèques pour solde de tout compte, indépendamment d’une dispute réellement existante avec le créancier, de sorte que ce dernier ne peut être sûr que le chèque a réellement été émis dans une telle intention458.

3) Mises en évidence particulières

La clause pour solde de tout compte peut être mise en évidence, que ce soit par des procédés graphiques459 ou une mention répétée dans un document annexe, comme une lettre de couverture ou une fiche explicative. Cela devrait d’autaut plus valoir lorsqu’elle est intégrée à un document qui poursuit à l’origine un autre but que celui de liquider les rapports pour solde de tout compte460.

453 L’art. 3-311 (a) UCC, applicable aux chèques pour solde de tout compte, prévoit à cet égard la condition de validité suivante : « the amount of the claim was unliquidated or subject to a bona fide dispute » ;BERGER H., p. 197.

454 TREITEL,N3-001.

455 « Foakes v. Beer Rule », du nom d’une ancienne décision anglaise : arrêt Foakes v. Beer (1884) 9 App Cas 605. La règle provient en réalité de l’arrêt Pinnel (1602) 5 Co.Rep. 117a où il a été décidé :

« Payment of a lesser sum on the day in satisfaction of a greater sum cannot be any satisfaction for the whole ».

456 FERRIELL/NAVIN, § 8.03 A, 347.

457 § 74 Restatement of contracts; FARNSWORTH, § 4.24, n. 13, 548.

458 FARNSWORTH, §4.23a, 540.

459 TF, 4C.31/2001 du 5 juillet 2001, c. 2a, non publié à l’ATF 127 III 444, où le créancier avait signé un document intitulé « Règlement pour solde de tout compte », mis en évidence par des procédés graphiques (soulignement, caractères gras et de taille supérieure au corps du texte).

460 BK-REHBINDER/STÖCKLI,CO341N10.

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Lorsqu’elle est intégrée à un formulaire, la clause devrait être visible pour le créancier, notamment par le choix d’une police d’écriture suffisamment grande461. Il est par exemple envisageable d’insérer un rappel de la clause à l’endroit où le créancier doit apposer sa signature, comme le montre un formulaire de la pratique étasunienne :

THIS IS A FULL RECEIPT RELEASE AND WAIVER READ BEFORE SIGNING !462

Il est à ce propos possible de s’inspirer de l’art. § 3-311 UCC, applicable aux chèques liquidant l’entier de la prétention pour un montant inférieur à la dette originale. La disposition protège le créancier des chèques émis « in full satisfaction of the claim », en exigeant une mention ostentatoire (« conspicuous statement ») que le chèque vaut solde de tout compte. Cette mention doit se distinguer du texte alentour par des moyens typographiques, comme la capitalisation du titre, la mise en évidence du texte pertinent par une police ou une couleur contrastant avec le reste du texte463.

Ces mises en évidence permettent au débiteur de se protéger du créancier qui ferait par la suite valoir qu’il n’a pas lu la clause et qu’il n’a donc pas renoncé à se prévaloir de prétentions ultérieures464. A ce propos, le Tribunal fédéral a par le passé retenu qu’une quittance pour solde de tout compte qui n’avait pas été lue par le créancier n’avait aucune valeur465. Les circonstances de l’espèce étaient toutefois particulières, puisqu’il était douteux que la mention « pour solde de tout compte » ait figuré sur la quittance au moment de la signature par la créancière. Le débiteur avait par ailleurs assuré à la créancière qu’il ne s’agissait que d’attester la réception d’un acompte, non de liquider définitivement le cas d’espèce.

Au-delà de ces circonstances particulières, il paraît difficile d’admettre qu’une clause ne serait pas valable parce qu’elle n’aurait pas été lue, sauf circonstances particulières466. En tous les cas, la preuve de l’absence de connaissance de la

461 BK-WEBER,68-96,CO88N27 :« In einem Formular muss die Saldoklausel klar erkennbar zum Ausdruck kommen ; die Wahl eines kleinen Schrifttyps darf nicht den Eindruck erwecken, nur für den Empfang der erhaltenen Leistung zu quittieren ».

462 « Release and Discharge of Representative », émis par la Surrogate’s Court de l’Etat de New York.

463 UCC § 1-201 (10) : « “Conspicuous”, with reference to a term, means so written, displayed, or presented that a reasonable person against which it is to operate ought to have noticed it. Whether a term is “conspicuous” or not is a decision for the court. Conspicuous terms include the following:

(A) a heading in capitals equal to or greater in size than the surrounding text, or in contrasting type, font, or color to the surrounding text of the same or lesser size; and

(B) language in the body of a record or display in larger type than the surrounding text, or in contrasting type, font, or color to the surrounding text of the same size, or set off from surrounding text of the same size by symbols or other marks that call attention to the language. »

464 BK-REHBINDER/STÖCKLI,CO341N10,pour qui les quittances pour solde de tout compte seraient l’exemple typique des actes signés alors qu’ils n’ont pas été lus.

465 ATF 41 II 446.

466 P.ex. l’illettrisme du créancier, évoquée par exemple dans : TF, 4A_235/2015 du 20 octobre 2015, c. 4.

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clause paraît compromise. Cela vaut d’autant plus si la clause a été spécifiquement mise en évidence ou si l’attention du signataire d’une convention a été portée sur l’importance de lire le contrat. A nouveau, certains formulaires issus de la pratique étasunienne prévoient la mise en évidence d’une formule invitant à la lecture avant toute signature :

CAUTION ; READ BEFORE SIGNING !467 B) Acceptation tacite du débiteur

Comme retenu précédemment, la clause pour solde de tout compte est le plus souvent un acte juridique bilatéral, que ce soit lorsque la créance existe effectivement et qu’elle s’analyse comme une remise de dette ou lorsque la créance n’existe que potentiellement et qu’elle s’examine comme une remise éventuelle de dette468. Cela vaut en tous les cas dans l’état du droit positif actuel, lequel conçoit, en dépit des critiques, la remise de dette comme un acte juridique bilatéral469.

Quoi qu’il en soit, ce caractère contractuel est atténué470, parce que reposant sur la prémisse que la renonciation du créancier ne procure généralement que des avantages au débiteur471. Une acceptation expresse du débiteur n’est dès lors pas nécessaire (art. 6 CO) et est uniquement requise si la remise de dette n’est pas entièrement en faveur du débiteur. Il en va ainsi lorsque l’offre de remettre la dette est soumise à condition, qu’elle est liée à une volonté de faire valoir des prétentions supplémentaires ou de nature à entraîner une contre-prestation du débiteur472.

C) Situation en cas d’absence de négociation entre les parties

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