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Renforcement de la procédure d’établissement des règles

4. CADRE DE RÉGLEMENTATION

4.3 Questions soulevées par la Loi sur la sécurité ferroviaire

4.3.5 Renforcement de la procédure d’établissement des règles

Tout au long des consultations, tous les participants – l’industrie ferroviaire, les gouvernements provinciaux, les syndicats, d’autres intervenants et Transports Canada – se sont dits préoccupés par la façon dont l’établissement des règles fonctionne dans la pratique20. Nous en avons déduit que les problèmes que pose l’établissement des règles tiennent principalement au manque de clarté et au fait que les relations de travail entre les partenaires de la procédure (c.-à-d. la Direction générale de la sécurité ferroviaire de Transports Canada et l’industrie) ont été rompues. Il faut donc rétablir ces relations sur une base plus fructueuse et sous le sceau de la collaboration.

L’établissement de Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel

d’exploitation ferroviaire est un exemple particulièrement problématique21. Le projet a débuté en 1993 comme conséquence directe de l’accident ferroviaire de Hinton survenu en 1986, avec pour objectif d’établir une règle fixant le nombre maximal d’heures de travail pour le personnel d’exploitation ferroviaire.

L’industrie et la Fraternité des ingénieurs de locomotives (FIL)22 se sont mises à collaborer à une grande étude sur la science du travail, du repos et de la fatigue – ll’étude CANALERT ’95. Le CN et le CFCP ont réglé la note de l’étude. En 2001, un groupe de travail composé de membres de l’industrie, de la FIL et de Direction générale de la sécurité ferroviaire de Transports Canada a établi un avant-projet de Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d’exploitation ferroviaire et un document d’interprétation, appelé Circulaire 14 – Procédures et pratiques recom-mandées pour l’application des règles sur le temps de travail et de repos. Rares sont les conseils que contenait l’étude CANALERT ’95 qui sont frayés un chemin jusque dans les nouvelles règles.

Le projet de Règles relatives au temps de travail et de repos a été présenté au Comité consultatif de la sécurité ferroviaire et a essuyé les critiques de certains de ses membres. Transports Canada a alors retenu les services d’un expert pour qu’il examine les règles proposées et a organisé un atelier avec les intervenants pour régler les questions en suspens. À l’issue de l’atelier, le Ministère a demandé que certaines améliorations soient apportées aux plans de gestion de la fatigue jugés cruciaux à la démarche envisagée. Nous croyons savoir que les fonctionnaires de la Direction générale de la sécurité ferroviaire de Transports Canada ont de plus en plus craint que l’on soit confronté à des équipes de train obligées de travailler de très longues heures

20 Voir Silverstone, Cadre, op. cit.; Mitchell et Chippindale, Sussex Circle, Régie, op. cit.; et Sims, Sussex Circle, Règles relatives au temps de travail et de repos : Analyse de cas, op. cit.

21 Sims, Sussex Circle, Règles relatives au temps de travail et de repos : Analyse de cas, op. cit, paragr. 79-205.

22 L’autre grand syndicat – Les Travailleurs unis des transports – n’a pas participé à la procédure. Le syndicat a par la suite présenté des avis d’opposition au produit fini.

ou obligées de reprendre leurs fonctions sans avoir observé une période de repos suffisante. Les règles qui devraient entrer en vigueur en avril 2003 ont néanmoins été approuvées en 2002.

Au cours des séances d’information tenues au printemps 2003, il est devenu manifeste que d’importantes divergences existaient entre Transports Canada et l’industrie dans l’interprétation de ces nouvelles règles. Après avoir examiné la version de 2003 des Règles relatives au temps de travail et de repos, nous en avons déduit que le docu-ment était si mal rédigé que de multiples interprétations étaient possibles. Il n’est malheureusement pas rare de constater une telle ambiguïté dans un document ayant force de loi.

Aussitôt que les Règles relatives au temps de travail et de repos sont entrées en vigueur, Transports Canada s’est mis à recevoir des plaintes de l’industrie à propos de leur interprétation par les inspecteurs de la sécurité ferroviaire, et des cheminots à propos de leur application par leurs employeurs. La Direction générale de la sécurité ferroviaire de Transports Canada a examiné la situation encore une fois et en a conclu que l’interprétation de ces règles soulevait des inquiétudes justifiées.

Nous partageons les réserves de Transports Canada sur la teneur de ces règles. En revanche, nous comprenons le point de vue de l’industrie selon lequel, quand les fonctionnaires de la Direction générale de la sécurité ferroviaire de Transports Canada ont évalué ces règles et ont rejeté entièrement les révisions, ce rejet a aggravé les problèmes. Par exemple, en décembre 2003, apparemment contrariés par la réaction de l’industrie face à leurs nouvelles préoccupations, les fonctionnaires de Transports Canada ont rejeté un ensemble complet de révisions, reconnaissant par la suite qu’ils auraient pu en accepter certains éléments. Les fonctionnaires ont précisé les motifs pour lesquels ils avaient rejeté certaines clauses, mais n’ont pas fourni les documents sur lesquels s’appuyait leur raisonnement. Les Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d’exploitation ferroviaire révisées ont finalement été approuvées en juin 2005.

Après 12 années d’efforts visant à élaborer des dispositions sur le temps minimum de travail et de repos du personnel d’exploitation ferroviaire, on est en présence de Règles relatives au temps de travail et de repos qui ne correspondent pas aux avis d’experts en la matière, sans compter qu’il n’y a plus ni confiance ni respect mutuels entre l’organe de réglementation et l’industrie23. Il est donc urgent que Transports Canada et l’industrie renouent des relations de travail fructueuses sur l’établissement des règles et sur un éventail d’autres questions. Nous sommes d’avis que le Ministère doit faire preuve d’initiative en la matière.

23 Sims, Sussex Circle, Règles relatives au temps de travail et de repos : Analyse de cas, op. cit, paragr. 199; Maury Hill and Associates, Inc., Le rôle des facteurs humains dans les événements ferroviaires et des stratégies d’atténuation éventuelles (août 2007), section 4 « Règles relatives au temps de travail et de repos ».

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Selon plusieurs intervenants, ces dernières années, Transports Canada s’est prévalu des dispositions de la LSF sur l’établissement des règles d’une manière qu’ils jugent inopportune. Ils soutiennent qu’en imposant des conditions à l’approbation des règles établies à l’initiative de l’industrie et en précisant le résultat escompté lorsqu’il prescrit l’établissement de règles par l’industrie, Transports Canada biaise de manière dérai-sonnable l’établissement des règles et fausse la procédure24.

Pour apaiser les préoccupations suscitées par la question de savoir si le Ministère est susceptible, à la fin du processus, de proposer que le ministre approuve une règle donnée, il faudrait que Transports Canada participe à chaque projet d’établissement de règles en affectant à l’équipe responsable un agent qualifié dont le mandat serait de prendre la parole au nom du Ministère. Il faudra créer un instrument en vertu duquel cet employé pourra vérifier le soutien constant du Ministère à mesure que les travaux avancent. Les préoccupations éprouvées par le Ministère au sujet d’une proposition devront être soulevées le plus tôt possible, pour que les divergences puissent être résolues avant que le dossier ne soit soumis à l’approbation du ministre. Il ne faut pas qu’il y ait de mauvaises surprises à l’étape de l’approbation.

Pour sa part, l’industrie du transport ferroviaire doit écouter attentivement les propositions du Ministère et s’efforcer de résoudre les divergences d’opinions avant de soumettre un projet de règle à l’approbation du ministre. Transports Canada est chargé de défendre les intérêts du grand public en la matière. Dans leurs mémoires, de nombreux membres du public ont souligné leur vœu de voir le Ministère s’acquitter entièrement de cette responsabilité.

Depuis quelques années, Transports Canada impose plus fréquemment des conditions aux nouvelles règles et exemptions. Il serait préférable que la Direction générale de la sécurité ferroviaire de Transports Canada collabore avec l’industrie à l’établissement de la règle, lui fasse part de ses préoccupations dès le début de la procédure de rédac-tion, cherche à résoudre les problèmes posés par le texte de la règle proprement dite et agisse dans ce sens avant de soumettre le projet de règle à l’approbation du ministre.

L’industrie connaîtrait ainsi longtemps à l’avance la position du Ministère et éviterait les mauvaises surprises à l’étape de l’approbation. Il ne faut imposer de conditions qu’en dernier recours, lorsque le Ministère et l’industrie ne peuvent parvenir à un consensus sur une règle. Si l’on a recours à des conditions, il faudra alors publier une version remaniée qui incorpore les conditions dans la règle.

Il est essentiel dans la procédure d’établissement des règles que Transports Canada fasse connaître à l’industrie et à d’autres intervenants les motifs de ses décisions. Le processus décisionnel de Transports Canada doit être plus transparent et reposer sur des preuves, et être perçu comme tel. Les données et les analyses qui étayent les déci-sions sur les règles doivent être mises à la disposition de ceux qui pourraient vouloir

24 Mitchell et Chippindale, Sussex Circle, Régie, op. cit., section 5-B.

formuler des observations, comme c’est le cas lorsque des règlements sont en cours d’examen. Par ailleurs, la raison d’être de la décision doit être rendue plus explicite, faute de quoi Transports Canada risque d’être accusé d’utiliser une procédure qui ne repose pas sur des preuves suffisantes ou qui repose sur des critères inopportuns25. L’industrie doit également justifier les règles qu’elle propose, les étayer par l’analyse des règles dont elle prend l’initiative, notamment les avantages nets et les solutions alternatives envisagées. Cela contribuera à la transparence, à la responsabilisation et à la confiance entre tous les participants.

Un autre sujet de préoccupation suscité par la procédure d’établissement des règles a trait à la nature et à l’étendue des consultations au-delà de la Direction générale de la sécurité ferroviaire de Transports Canada et de l’industrie. Comme nous l’avons vu au chapitre 3, les provinces déplorent le fait qu’elles ne sont pas consultées sur les règles qui risquent d’avoir de profondes répercussions sur les chemins de fer de leur compétence. Elles en sont généralement avisées après que les règles ont été approuvées. Afin de favoriser l’harmonisation fédérale-provinciale des pratiques de sécurité et la collaboration entre les deux ordres de gouvernement, Transports Canada doit veiller à ce que les provinces soient consultées avant l’adoption de nouvelles règles et soient tenues au courant à mesure qu’avance l’établissement des règles proposées.

De même, les syndicats qui représentent les cheminots sont généralement consultés par l’industrie à la toute fin de la procédure d’établissement et ils ont 60 jours pour dire ce qu’ils pensent des règles proposées.

Une meilleure façon de procéder serait que l’équipe chargée d’établir une règle consulte les autres parties intéressées pendant toute la procédure d’établissement au lieu de se contenter de respecter les prescriptions minimums de la Loi. En préconisant une approche plus transparente et concertée, nous n’insinuons pas que les autres parties intéressées ont forcément leur place à la table où l’on établit les règles. En revanche, nous sommes convaincus que deux types de changements s’imposent. Premièrement, les attitudes de Transports Canada et de l’industrie du transport ferroviaire doivent être plus transparentes et réceptives aux conseils reçus.

Deuxièmement, il faut créer et appuyer des instruments qui permettent d’apporter son concours et de débattre d’une règle avant et durant la procédure d’élaboration, et non pas juste après les faits26. Des consultations utiles durant l’établissement des propositions de réglementation permettent en fait d’économiser du temps et de l’argent à long terme.

Enfin, nous sommes vivement préoccupés par la qualité du libellé des règles. Même si les règles, une fois qu’elles ont été approuvées par le ministre, ont la même vigueur que des règlements, ce ne sont pas des textes réglementaires27 et, par conséquent,

25 Ibidem, section 5-B, « question 2 ».

26 Ibidem, section 5-B, « question 3 ».

27 LSF, alinéa 46b).

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elles ne sont pas sujettes aux prescriptions de la Loi sur les textes réglementaires. De ce fait, les règles à l’état de projet ne sont pas examinées par des experts en rédaction des règlements du ministère de la Justice sous le rapport du langage, de l’uniformité avec d’autres règles, de la portée et des attributions, de la délégation de pouvoirs, du respect des dispositions orientées vers des buts et d’autres éléments dont il faut tenir compte lorsqu’on rédige des règlements.

Il s’agit là d’une sérieuse lacune. Nous avons appris que la piètre qualité du texte a entraîné des difficultés dans l’application de plusieurs règles – notamment la règle intitulée le Règlement sur la sécurité de la voie. Ces dispositions laissent une marge décisionnelle considérable au personnel ferroviaire, surtout pour décider de ce qui tombe sous le coup des exemptions aux règles, en plus de compliquer la tâche aux compagnies et aux inspecteurs qui cherchent à savoir ce qui constitue en fait une infraction aux exigences.

Il faut donc améliorer la qualité du texte des règles pour s’assurer qu’elles sont claires, sans équivoque et exécutoires. À tout le moins, les règles à l’état de projet doivent être examinées par des avocats du ministère de la Justice, qui veilleront ainsi au respect des normes de rédaction. Transports Canada doit également songer à dispenser une formation sur la rédaction législative aux responsables de la procédure d’établissement des règles, notamment à ses propres employés de la Direction générale de la sécurité ferroviaire28.

Nous recommandons que Transports Canada, de concert avec l’industrie et d’autres intervenants, établisse une procédure améliorée d’établissement des règles en vertu de la LSF qui remédie aux questions soulevées ci-dessus. Pour assurer la large partici-pation et l’avis public des changements, nous recommandons que la procédure soit énoncée sous forme d’un règlement.

reCommaNdatioN 10

La procédure de formulation et d’adoption des règles, des normes techniques et des exemptions devrait être établie par voie de règlement. tous les intervenants doivent se voir offrir la possibilité de prendre part à la procédure. Ce règlement doit incarner les principes suivants :

transparence et ouverture;

-participation significative de transports Canada dès le début du processus;

-participation adéquate des intervenants;

-rédaction juridique de bonne qualité;

-respect de l’article 3 de la

- Loi sur la sécurité ferroviaire dont l’objectif est de favoriser un régime de réglementation moderne, flexible et efficace.

28 Silverstone, Cadre, op. cit., paragr. 169-182.

4.3.6 Rôle de l’Association des chemins de fer du Canada dans