• Aucun résultat trouvé

6. COLLECTE, ANALYSE ET DIFFUSION

6.2 Données insuffisantes

Trois phases distinctes, encore qu’interdépendantes, se rattachent à l’évaluation statistique de la sécurité ferroviaire – la collecte de données, l’analyse de données et la diffusion d’informations. Les progrès de la sécurité ferroviaire doivent être un objectif commun faisant intervenir les trois phases qui contribuent à la sécurité du public, à la sécurité des cheminots, à la protection des biens matériels et de l’environnement et

qui profitent également aux compagnies de chemin de fer sur le plan de l’efficacité et de la rentabilité.

Au cours de nos consultations avec les intervenants, et par le biais d’autres études de recherche, on nous a adressé un message homogène selon lequel l’état actuel des données ne reflète pas fidèlement ni n’aide à améliorer la sécurité ferroviaire dans toute la mesure nécessaire, en raison d’un certain nombre de carences. Les carences dans la collecte, l’analyse et la diffusion des données ont été fréquemment

mentionnées.

Beaucoup s’accordent à penser que les données publiées par le BST sur les événements ferroviaires ne donnent pas un tableau détaillé ou entièrement exact de la sécurité ferroviaire au Canada. Par exemple, les compagnies de chemin de fer peuvent avoir de la difficulté à interpréter les prescriptions relatives aux rapports qu’elles sont tenues de présenter conformément au Règlement sur le BST. À l’issue d’un accident, c’est à la compagnie de chemin de fer de déterminer si son matériel roulant a subi des dégâts qui compromettent la sécurité de son exploitation. La façon de déterminer cela peut prêter à confusion et il y a un manque d’homogénéité au sein d’une compagnie et entre plusieurs compagnies.

On a appris récemment qu’en raison d’une divergence d’interprétation des prescrip-tions du BST en matière de rapports, les données du CN qui remontent à 2002 ont été sous-déclarées. Il a donc fallu réviser les statistiques portant sur la période quin-quennale jusqu’en 2007. Les ambiguïtés relatives à cette période se rapportent le plus souvent à des types d’incidents mineurs. Compte tenu de cette situation, nous croyons savoir que le BST est en train de réviser son règlement sur les rapports d’accidents/

incidents, lequel devrait entrer en vigueur en 2008.

Le BST s’en remet essentiellement aux compagnies de chemin de fer pour lui signaler les événements ferroviaires, sans aucune procédure structurée ou homogène de validation ou de contestation des données qui lui sont signalées. Le plus fréquemment, l’accident qui survient à une compagnie de chemin de fer ne fait pas l’objet d’une enquête officielle du BST et la détermination des causes de l’accident est laissée au soin de la compagnie. Il est fréquent que la cause ne soit pas immédiatement connue et qu’elle soit laissée en blanc lorsque les données sont signalées pour la première fois au BST. Trop souvent, la cause n’est jamais signalée au BST; celui-ci ne fait pas de suivi pour connaître cette cause, ce qui explique que la base de données sur les événements soit incomplète. Par exemple, le nombre de déraillements en voie principale dans la base de données du BST qui n’ont pas été codés avec une cause est passé de moins de 10 % en 1999 à près de 50 % en 2006 – ce qui explique que la base de données limite les conclusions que l’on peut en tirer3.

3 G.W. English et T.W. Moynihan, TranSys Research Ltd., Causes des accidents et stratégies d’atténuation (juillet 2007), figure 2; section 5.1.

Chapitre 6 : Collecte, analyse et diffusion d’informations 98

On nous a également signalé des problèmes dus à l’absence d’indicateurs de gravité qui pourraient aider à juger de la gravité d’un accident. Le seul indicateur apparent signalé est le nombre de wagons qui ont déraillé dans chaque accident, mais cela ne dit pas grand-chose sur la gravité d’un accident ou sur ses conséquences effectives. Un wagon dont les roues quittent la voie à basse vitesse, mais qui demeure en position verticale, est comptabilisé de la même façon qu’un wagon qui circule à grande vitesse, qui se renverse et qui déverse son contenu sur la voie. Aux États-Unis, en vertu des exigences de la Federal Railroad Administration (FRA) en matière de rapports, le principal critère de signalement d’un accident ferroviaire est que les dégâts aux matériels ferroviaires doivent dépasser une certaine valeur pécuniaire (qui s’établit actuellement à 8 200 $US)4. Cela permet de se faire une idée limitée de la gravité de l’accident.

Le Canada n’utilise pas de valeur pécuniaire comme critère de signalement ou comme indicateur de gravité. À moins que le Canada n’adopte des fourchettes pour la valeur des dégâts (p. ex. 8 200 $ – 15 000 $, 15 000 $ – 50 000 $, 50 000 $ – 200 000 $, etc.), une valeur seuil unique n’ajoute pas grand-chose pour déterminer le degré de gravité.

En revanche, l’un des avantages qu’il y a à utiliser une valeur pécuniaire comme critère de signalement d’un accident est que c’est un critère clair, sous réserve que les dégâts puissent facilement être évalués et être traduits en termes pécuniaires. Le Comité privilégie l’étude de nouvelles idées pour illustrer la gravité des accidents ferroviaires au Canada.

Les critères de signalement des accidents et des incidents au Canada sont moins précis qu’aux États-Unis, où l’on utilise une valeur pécuniaire seuil. Les critères canadiens se prêtent plus à l’interprétation des compagnies de chemin de fer, comme nous l’avons mentionné plus haut. Pour qu’un accident soit signalé au BST, le règlement dispose que le matériel roulant doit subir des dégâts qui en compromettent la sécurité d’exploitation.

Les expressions « sécurité d’exploitation » ou « fait planer un risque ou une menace » introduisent un élément de subjectivité dans la détermination de l’obligation de signaler ou non un accident ou un incident. Il faudrait des directives claires émises par le BST et bien comprises par les compagnies de chemin de fer pour saisir les données avec précision. Malheureusement, ce n’est pas le cas, comme nous l’avons vu au sujet de la récente expérience du BST avec les données du CN.

4 Un accident à signaler à la FRA englobe une collision, un déraillement, un feu, une explosion… qui entraîne des dommages sérieux pour toutes les compagnies de chemin de fer concernées qui dépassent le seuil de signalement en vigueur. La valeur seuil est régulièrement mise à jour par la FRA pour refléter les hausses de coûts. En 2007, le seuil est passé de 7 700 $US à 8 200 $US et il porte sur les dégâts causés au matériel roulant de même qu’aux panneaux de signalisation, aux voies, à la superstructure des voies ou à la plate-forme, et comprend les coûts de main-d’œuvre.

En règle générale, la comparaison des données canadiennes et américaines sur la sécurité ferrovi-aire telles qu’elles sont recueillies par les instances nationales équi-vaut à essayer de comparer des pommes et des oranges, compte tenu des différentes prescriptions en matière de rapports de chaque instance nationale. Les chemins de fer canadiens sont tenus de signaler leurs incidents aux instances américaines dans le cadre de leurs activités aux États-Unis selon les règles américaines. À des fins de comparaison, les compagnies déterminent également si un accident qui survient dans le cadre de leurs activités au Canada répond au seuil de signalement américain.

Si l’on considère les accidents par million de trains-milles, là où les accidents sont définis selon les critères américains, le CN et le CFCP soutiennent favorable-ment la comparaison avec les compagnies de chemin de fer américaines, si l’on se fonde sur leurs activités globales nord-américaines5. Il est intéressant de signaler que, si la définition américaine d’accident était adoptée au Canada au lieu des critères du BST, le nombre d’accidents à signaler au BST chuterait de 90 % ou même plus6. Nous sommes d’avis que l’analyse des accidents est facilitée par un plus gros volume de données et non pas un moindre volume et nous ne militons pas pour la révision des critères de signalement des accidents ou pour des indicateurs de gravité qui abouti-raient au signalement d’un moins grand nombre d’accidents et d’incidents que ce que prescrit actuellement le BST.

5 Schulman, État de la sécurité ferroviaire, op. cit., section 8.

6 Ibidem, section 7.3.

déFiNitioNs du bst :

« accident ferroviaire à signaler » Accident résultant directement de l’utilisation de matériel roulant au cours duquel, selon le cas :

(b) le matériel roulant :

(iv) soit subit des dommages qui en compro-mettent la sécurité d’utilisation;

(v) soit subit ou provoque un incendie ou une explosion ou occasionne des dommages au chemin de fer de sorte que la sécurité des personnes, des biens ou de l’environnement est compromise;

« incident ferroviaire à signaler » Incident résultant directement de l’utilisation de matériel roulant au cours duquel, selon le cas :

(a) un risque de collision survient;

(g) tout membre d’équipage dont les fonctions sont directement liées à la sécurité d’utilisation du matériel roulant subit une incapacité physique qui le rend inapte à exercer ses fonctions et compromet la sécurité des personnes, des biens ou de l’environnement.

Règlement sur le Bureau de la sécurité des transports (DORS/92-446)

Chapitre 6 : Collecte, analyse et diffusion d’informations 100

Les mesures de normalisation des données utilisées ne suffisent pas à refléter les changements survenus dans la charge de travail de l’industrie du transport ferrovi-aire avec le temps. Les volumes transportés par les compagnies de chemin de fer ont régulièrement augmenté7 et, en dehors d’influences tierces, comme l’étalement des villes, ont abouti à la multiplication des risques d’interface entre les gens/véhicules et le matériel roulant ferroviaire. À l’heure actuelle, la mesure la plus courante qui sert à normaliser le nombre d’accidents en un taux d’accidents comparable, en tenant compte des variations du volume d’activité ferroviaire, est le taux d’accidents par train-mille, généralement exprimé en accidents par million de trains-milles.

Le nombre de trains-milles n’est pas la seule mesure d’activité qui peut servir à normaliser les données. Lorsqu’on utilise les accidents par million de trains-milles, il est manifeste que les données ne fournissent pratiquement aucun renseignement complémentaire au sujet des tendances ferroviaires dans le temps, les chiffres se contentant de refléter le nombre absolu d’accidents par an8. Les décideurs auraient tout intérêt à disposer d’une base plus instructive pour normaliser le nombre d’accidents dans l’industrie du transport ferroviaire. Le recours au milliard de tonnes-milles brutes, par exemple, a été proposé comme solution prometteuse pour le transport des marchandises et comme solution qui permet de saisir les changements survenus dans la charge de travail et la productivité des compagnies de chemin de fer, comme des charges transportées plus lourdes9.

Un autre facteur limitatif tient au fait que les données du BST ne reflètent que les renseignements fournis par les chemins de fer de compétence fédérale sans saisir l’intégralité des entreprises de chemin de fer au Canada, qui englobent de nombreuses compagnies de compétence provinciale10. En outre, la taille de l’industrie se reflète mal dans les données en raison des changements survenus dans le nombre de chemins de fer de compétence fédérale, qui peut varier à mesure que des lignes de chemin de fer fédérales sont abandonnées, que des compagnies d’intérêt local provinciales sont créées ou, comme dans le cas de BC Rail, sont prises en charge par le CN, et que les grandes compagnies de chemin de fer provinciales sont absorbées dans le domaine fédéral. À notre connaissance, les données sur les accidents ne sont pas rajustées pour tenir compte de ces situations.

7 Entre 1995 et 2005, le volume de fret transporté par le secteur ferroviaire au Canada a augmenté d’environ 25 %.

Le trafic a progressé de 292 millions à 368 millions de tonnes de fret ferroviaire entre 1995 et 2005. Voir Transports Canada, Les transports au Canada en 2006, Rapport annuel, addenda (mai 2007), tableau A6-8.

8 Schulman, État de la sécurité ferroviaire, op. cit., section 3.1.

9 Ibidem, section 9.2.1.

10 Toutefois, il faut signaler que, si un chemin de fer de compétence provinciale a un accident alors qu’il exploite un service sur une voie de compétence fédérale, cet accident doit être signalé au BST, conformément à son règlement sur le signalement des accidents.

Même si le BST publie d’excellents rapports d’enquête détaillés sur les accidents et qu’il est reconnu comme chef de file mondial au chapitre des méthodes et des procédures d’enquête sur les accidents, il ne peut procéder qu’à un nombre infime d’enquêtes sur les accidents une année donnée. Sachant que le Bureau peut formuler des recommandations provisoires ou émettre des avis de sécurité, le Comité déplore qu’il faille souvent un ou deux ans pour qu’un rapport d’accident soit préparé et publié, ce qui a pour effet de ralentir le débit des informations fournies au public – public qui peut être pris d’angoisse lorsqu’il est témoin d’un accident notoire ou d’accidents répétitifs dans une même région.

Compte tenu de leurs problèmes intrinsèques, on peut donc dire que les données sur la sécurité ferroviaire présentent de nombreuses difficultés lorsqu’on cherche à en analyser le sens véritable. En outre, le BST n’est pas responsable de la surveillance de la sécurité et on ne peut s’attendre à ce qu’il procède à une analyse détaillée des données et des tendances qui devraient entrer en ligne de compte dans la politique de sécurité, les règlements, la surveillance et les mesures correctrices – qui restent essentiellement l’apanage de l’organe de réglementation.

Les auteurs de deux études de recherche que nous avons commandées ont reproché à la Direction générale de la sécurité ferroviaire de Transports Canada de ne pas en faire assez au chapitre de la collecte et de l’analyse systématiques des données et d’avoir une attitude réactionnelle plutôt que proactive11. Pour les données sur les événements ferroviaires (aussi bien les accidents que les incidents), la Direction générale de la sécurité ferroviaire compte beaucoup sur les renseignements qu’elle glane dans la base de données du BST – source d’informations qui a ses limites, comme nous l’avons vu plus haut. En revanche, les compagnies de chemin de fer se plaignent que Transports Canada présente un trop grand nombre de demandes d’information spéciales sans indiquer clairement la raison pour laquelle ces renseignements sont demandés, s’ils font partie d’une vérification, d’une inspection ou d’une enquête, ou s’ils ont un rapport avec la surveillance des systèmes de gestion de la sécurité. Les compagnies de chemin de fer déplorent également l’absence de rétroaction sur les activités de vérification et de collecte de données menées par l’organe de réglementation. Il ne semble pas y avoir de méthode cohérente de collecte des données au sein de la Direction générale.

Il faut donc des communications plus franches entre Transports Canada et les compagnies à cet égard. Mais il y a plus important, c’est l’absence d’un débit régulier d’informations et de données pour l’élaboration des politiques et la surveillance de la

11 English et Moynihan, Causes des accidents, op. cit., section 5.1.; Milt Poirier, QGI Consulting Ltd., Mesure du rendement de la sécurité ferroviaire (juillet 2007) section 6, « Transports Canada ».

Chapitre 6 : Collecte, analyse et diffusion d’informations 102

réglementation. Comme l’ont fait observer les chercheurs, Transports Canada semble se livrer à une analyse limitée des données et ne pas déployer beaucoup d’efforts pour évaluer le bilan de sécurité global de l’industrie du transport ferroviaire12.

En dehors de citer à nouveau les données sur les événements du BST, il n’y a pas d’autres indicateurs accessibles au public pour savoir si le réseau ferroviaire du Canada est sécuritaire ou s’il l’est plus qu’il l’était. Même si le Ministère se sert des données provenant de diverses sources pour établir ses priorités internes, cibler les inspections et régulièrement surveiller la conformité des compagnies de chemin de fer, il reste beaucoup à faire au niveau macro pour rendre compte de ces résultats à un auditoire plus vaste. Par exemple, en établissant des cibles de rendement avec l’industrie et en contraignant celle-ci à prouver à l’organe de réglementation que la sécurité s’améliore constamment, à la fois comme industrie et grâce à chaque compagnie, on pourra transformer une philosophie d’« accidents inévitables » en une attitude plus proactive.

Direction 2006, le programme échelonné sur 10 ans visant à réduire de 50 % les accidents aux passages à niveau et qui surviennent à des intrus, n’a sans doute pas entièrement atteint son objectif. Néanmoins, le programme s’est soldé par d’importantes réductions grâce à des mesures d’éducation, d’ingénierie, de recherche et d’application de la loi. Le Comité est d’avis que l’industrie du transport ferroviaire, moyennant l’appui des organes de réglementation, doit prouver la même amélioration continue de la sécurité que ce qu’elle fait pour les économies de coûts.

Il faut également que l’organe de réglementation se procure des renseignements auprès des compagnies de chemin de fer individuelles pour assumer son rôle de surveillant de la réglementation, que ce soit par le biais d’activités d’inspection, d’enquête ou de vérification. Or, l’organe a éprouvé des difficultés à obtenir des données sur la sécurité auprès des compagnies en raison du manque de clarté des règlements ou du motif qui se cache derrière les demandes d’informations. On a reproché à l’industrie du transport ferroviaire de faire preuve d’un manque de collaboration dans la fourniture de données ou de rendre la tâche plus difficile que nécessaire aux inspecteurs qui cherchent à obtenir des données.

Les compagnies de chemin de fer ont adopté des applications éminemment tech-niques pour produire des données à partir des activités d’inspection qui ont trait à la surveillance des voies et des matériels et traiter ces données pour planifier un programme d’entretien proactif. L’industrie mène également des enquêtes internes sur les accidents et les incidents. Ces procédés et ces informations devraient aider l’industrie à rationaliser la déclaration des renseignements nécessaires aux organes de réglementation de manière ponctuelle. Nous admettons que de nombreux petits chemins de fer ne sont sans doute pas aussi capables que les compagnies

12 English et Moynihan, Causes des accidents, op. cit.; Poirier, Mesure du rendement, op. cit.

plus importantes de saisir et de déclarer leurs données par voie électronique à l’organe de réglementation et qu’il faudra donc prévoir des aménagements raisonnables dans ces cas.

Un élément qui n’est pas abordé dans notre mandat est celui de la sûreté ferroviaire.

Il se peut qu’il faille envisager et peut-être même incorporer des prescriptions sur les données de sûreté dans les méthodes révisées de collecte et d’analyse des données sur la sécurité ferroviaire de Transports Canada. La question de la limitation des ressources ministérielles a également été signalée à notre attention comme facteur qui limite les responsabilités que peut assumer la Direction générale de la sécurité ferroviaire. Nous abordons cette question plus en détail au chapitre 11.