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Remarquer et comprendre les notions spatiales

4. L'acquisition des langues

4.1. Acquisition d'une langue première

4.1.2. Apprendre les mots spatiaux d'une langue

4.1.2.1. Remarquer et comprendre les notions spatiales

Il existe chez les nourrissons une capacité universelle d'interpréter tous les sons possibles de toutes les langues, mais au fur et à mesure qu'ils grandissent, les enfants se règlent aux sons de leur langue maternelle, et à la fin de leur première année, cette capacité a disparu (Werker & Desjardins, 2001:27ff). Le jeune enfant est donc physiquement capable de faire la différence entre des sons que l'adulte dans sa communauté linguistique ne peut pas distinguer, tout comme chaque enfant peut apprendre n'importe quelle langue du monde. Il semblerait

donc qu'une certaine approche universaliste soit probable en ce qui concerne le traitement des sons. Dans la sémantique lexicale, il est difficile de parler d'universaux, car une variation contrainte est de mise selon les langues, souvent au niveau abstrait (cf. Levinson, 1996:137). Il existe bien des lois universelles qui gouvernent les systèmes phonologiques, selon Jakobson (1963:38), et certains sons (par exemple les occlusives) sont fondamentaux et présents dans toutes les langues (idem:73). Selon Tomasello (2003a:7), il existe effectivement des universaux linguistiques, mais il ne s'agit pas de formes de mots, mais de besoins communicatifs, qui sont les mêmes indépendemment de la langue. Tous les enfants du monde apprennent à parler des situations saillantes (cf. Brown, 1958), et ils font un choix sémantique lorsqu'ils apprennent un mot. Tout d'abord, ce sont les mots dont ils auront une utilité immédiate communicativement et conceptuellement, par exemple le mouvement et la localisation des personnes et des objets. Ces situations peuvent être décrites comme universelles. Bowerman (2007:180) et Choi (Bowerman & Choi, 2003:390) voient également l'universalité des événements (mettre et prendre des objets ; changements de position ; habillage et déshabillage ; ouvrir-fermer ; grimper) dans la fréquence de l'input27 des enfants lors de l'acquisition de leurs premiers mots spatiaux. Ceux-ci reflètent les événements en tournant autour des relations de contenu (des formes pour dans, dehors), de l'accessibilité (ouvrir, fermer, sous), de la proximité et du support (sur, de), de la verticalité (haut, bas), et de la position (être assis, être debout) (ibid). Piaget (1968) propose lui aussi qu'il existe des circonstances universelles du type physiques et biologiques (comme la gravitation, la position debout, avoir un corps humain), ainsi que des expériences universelles de la vie enfantine, par exemple manger, dormir, bouger et manipuler des objets. Toutefois, pour lui, l'expression linguistique de ces circonstances et expériences entendue par les enfants, c'est-à-dire l'input, ne crée pas ces concepts chez l'enfant. Ce sont les conditions cognitives et perceptuelles dans l'environnement de l'enfant qui forment les concepts.

La seule chose vraiment universelle nous semble être le concept de la spatialité et le besoin de l'exprimer dans la vie quotidienne. Malgré l'universalité du concept, les langues l'expriment différemment. Ces différences typologiques des expression spatiales, dont nous avons rendu compte dans 1.5 ci-dessus, constituent une preuve que la langue et les concepts ne sont pas les mêmes dans toutes les langues. Selon Bowerman (1985:1285), la langue maternelle incite chaque enfant à former des catégories sémantiques spécifiques à leur langue très tôt. Déjà vers 17-20 mois, les enfants font preuve d'une différenciation linguistique lors

27 L'input « correspond au langage qui entoure l'enfant ou qui lui est directement adressé /.../ » (Morgenstern et al, 2009:100).

de la catégorisation des événements spatiaux (Choi & Bowerman, 1991). Une étude avec des enfants de 18 à 23 mois (Bowerman & Choi, 2003:398) a montré qu'ils comprennent et catégorisent des entités linguistiques de la même manière que la langue input (en dirigeant le regard vers l'image qui correspond à l'expression en question), alors qu'ils ne savent pas encore les produire oralement. Mandler (1996:371) estime lui aussi que l'enfant a établi des catégories spatiales très sophistiquées bien avant qu'il commence à parler. Donc, bien avant d'énoncer ces équivalents linguistiques, les enfants comprennent et appliquent la catégorisation de sa langue maternelle. Cela constitue une preuve que les enfants grandissant dans une communauté linguistique adoptent les catégories qui y sont encodées (cf. Bowerman, 1980:283ff). Ainsi, il semble improbable que les enfants partent des catégories et des concepts déjà éxistants dans leurs cerveaux.

Malgré un développement cognitif similaire chez tous les enfants, des difficultés plus ou moins grandes se présentent à l'enfant lors de l'acquisition des relations spatiales dues aux facteurs spécifiques à chaque langue (prépositions, postpositions, complexité morphologique, diversité lexicale...) (cf. Johnston & Slobin, 1979). Ces auteurs affirment qu'à l'âge de 4 ans, la plupart des axes (axe vertical - haut/bas, axe sagittal - devant/derrière) sont acquis. Selon Piaget & Inhelder (1947:17ff), les concepts de contenu (enveloppement) et de support (voisinage, séparation) sont également acquis tôt. Au niveau de la perception, il est à noter que ces concepts sont présents chez le bébé dès sa première année de vie (idem), et se développent au niveau de la représentation jusqu'à l'âge de 4 ans environ. Ces concepts sont réunis dans la sémantique des verbes de position suédois, avec ligga/lägga qui incluent souvent le contenu, ainsi que le support; stå/ställa/sätta réunissent souvent le support;

sitta/sätta représentent le contenu, mais aussi l'occlusion dans la particule fast, souvent

produit en combinaison de ces verbes. A trois ans (et même plus tôt), les enfants produisent des descriptions qui ressemblent linguistiquement davantage à celle des locuteurs adultes de leur langue qu'à celle des enfants parlant une autre langue (cf. Bowerman, 1996a, b; Bowerman & Choi, 2001, 2003; Choi & Bowerman, 1991; Hickmann, 2006; Hickmann & Hendriks, 2006). Cela laisse entendre que ces facteurs spécifiques à chaque langue ont une influence forte très tôt dans l'acquisition linguistique (Hickmann, 2006:296), et que les enfants construisent les catégories sémantiques à partir de l'input qu'ils reçoivent (Choi & Bowerman, 2003:390).