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Les particules et les verbes de position

3. La sémantique et l'utilisation des verbes de position suédoissuédois

3.7. Les particules et les verbes de position

Le verbe à particule est une spécificité germanique, très présent dans l'anglais (sous le nom de

phrasal verbs) et les langues germaniques comme l'allemand, le néerlandais et les langues

scandinaves. Il s'agit d'une construction très étudiée dans ces langues (cf. notamment Bolinger, 1971 ; Goldberg, 1995 ; Norén, 2000), et nous ne prétendons surtout pas en rendre compte d'une manière exhaustive. Nous nous intéressons seulement aux verbes à particule

contenant un verbe de position. Ces constructions sont constituées d'un verbe et d'une particule qui, en forme conjuguée, sont séparés l'un de l'autre, mais qui sont liés par la prosodie, car la particule détient l'accentuation phrasale (cf. Bodegård, 1985). La particule est typiquement un adverbe, comme upp « vers le haut », ou une préposition, comme på « sur ». Il existe différents degrés d'association entre le verbe et sa particule, qui impacte sur la compréhension. Dans le premier cas, l'addition de la sémantique des entités individuelles donne la somme sémantique du verbe à particule, par exemple gå ut « sortir », où le verbe gå veut dire « aller » et la particule ut donne la direction de ce mouvement, à savoir « vers l'extérieur ». Lorsqu'on échange ce verbe contre springa « courir », il n'y a que la Manière du mouvement qui est changée, alors que la Trajectoire reste la même. Dans ce genre de verbe à particule, les particules précisent une partie de ce qui est exprimé dans le verbe, en sachant que la direction est un élément inhérent du mouvement (cf. Svorou, 1994 ; Talmy, 2000). Le sens du verbe à particule est, pour ces cas, considéré comme transparent. Mais ce type de verbe à particule peut également avoir une extension métaphorique. Prenons l'exemple du verbe ställa in, qui dans son premier sens est tout à fait transparent et qui veut dire « mettre à l'intérieur », comme dans la phrase (3.26) ci-dessous. Dans la phrase (3.27), le sens est beaucoup moins immédiat, car métaphorisé.

(3.26) Ställ in koppen i skåpet.

met debout.IMPÉRvers l'intérieur tasse.DÉF dans placard.DÉF

« Mets la tasse dans le placard. »

(3.27) De har ställt in konserten

ils a posé.PARF vers l'intérieur concert.DÉF grund av regnet.

sur fond de pluie.DÉF

« Ils ont annulé le concert à cause de la pluie. »

L'exemple (3.27) approche le deuxième cas, où la construction à particule rend une signification qui ne peut être induite par les sens individuels des entités (cf. Goldberg, 1995:1, citée dans Gunnarsson, 2001:32). Il s'agit donc d'une phrase lexicalisée et idiomatique qui a un sens opaque. Certains verbes à particule ont deux formes: une séparée, comme ceux exemplifiés ci-dessus ((3.26) et (3.27)), et un équivalent préfixé. Ce dernier appartient souvent au registre plus formel de la langue, et détient couramment un sens plus métaphorique (cf. Bodegård, 1985:77). L'équivalent préfixé du verbe ställa in est donc inställa, qui prend

surtout une signification abstraite. En revanche, dans les participes présents et passés adjectivaux, on ne trouve que les formes préfixées, comme dans l'exemple (3.28) :

(3.28) Trädgårdsmöblerna är inställda

jardin-meubles.DÉF. être.PRÉS vers l'intérieur-posés.PART.PAS.ADJ.

för vintern.

pour hiver.DÉF.

« Les meubles du jardin sont rentrés pour l'hiver. »

Peu importe la force du lien entre le verbe et sa particule, ces éléments constituent toujours une entité sémantique (cf. Svenska akademiens grammatik, vol 3:chap.20, §1:409). Celle-ci est souvent rendue par un seul verbe lexicalisé dans une autre langue (cf. Bodegård, 1985:7), comme le verbe suédois sätta fast qui (dans son sens concret) est traduit par « attacher » en français.

Comme nous l'avons indiqué ci-dessus, notre intérêt pour les verbes à particule s'arrête aux verbes de position combinés à des particules, et seulement lorsqu'ils encodent une situation spatiale concrète. Comme le suédois est une langue à satellite (Talmy, 2000), qui encode la direction du mouvement dans un satellite, il existe un grand nombre de particules. Celles-ci encodent en général le composant sémantique de Trajectoire dans une relation spatiale. Nous avons déjà vu, ci-dessus, que les particules décrivant la direction vers le haut et vers le bas peuvent se combiner avec les verbes de position statiques pour les rendre inchoatifs. Regardons l'exemple suivant, attesté dans notre vie privée, en parlant au bébé24 :

(3.29) Kom och sitt upp!

venir.IMPÉR et être assis.IMPÉR vers-le-haut « Viens t'asseoir ! »

La forme du verbe est un verbe statique qui, en combinaison avec une particule directionnelle, prend l'aspect inchoatif. Ainsi, le verbe statique est utilisé dans un contexte dynamique. Dans l'exemple ci-dessus, l'interprétation obligatoire en suédois est le changement de la position allongée du bébé à une position assise. Sinon, la particule utilisée serait ner « vers le bas », ce qui est d'ailleurs la particule combinée le plus fréquemment avec le verbe sitta. En français,

24 La traduction française de cet exemple n'est pas parfaite. Il est possible qu'une personne dans la même situation aurait énoncé la phrase suivante afin de rendre le même sens : « Rassieds-toi ! », ce qui peut également être en direction de quelqu'un qui vient de se lever. Voici une preuve que tout énoncé doit être contextualisé afin d'être entièrement compris.

cette différence n'est pas possible à discerner dans la phrase ci-dessus. Ces deux particules (ner, upp) sont les seules à pouvoir être combinées aux verbes de position statiques dans une relation spatiale. En effet, les particules sont surtout associées aux verbes dynamiques dans les situations spatiales concrètes.

Les verbes dynamiques sont transitifs et obligatoirement suivis par un syntagme prépositionnel pour indiquer l'emplacement de la Figure. Cette préposition est forcément de nature locative, et ne peut être remplacée par une préposition directionnelle (Viberg, 1985:64). En revanche, il est tout à fait possible de remplacer le syntagme prépositionnel par une particule directionnelle, mais dans ce cas, la précision de la relation spatiale encodée dans une préposition est facultative, comme en attestent les exemples ci-dessous.

(3.30) Han ställer muggen bordet VERSUS

il poser debout.PRÉS mug.DÉF sur table.DÉF

« Il met le mug sur la table »

(3.31) *Han ställer muggen

*Il poser debout.PRÉS mug.DÉF

« *Il met le mug »

(3.32) Han ställer ner muggen bordet VERSUS

il poser debout.PRÉS vers-le-bas mug.DÉF sur table.DÉF. « Il pose le mug sur la table »

(3.33) Han ställer ner muggen

il poser debout.PRÉS vers-le-bas mug.DÉF. « Il pose le mug »

Par contre, si le verbe dynamique est pronominal – c'est-à-dire qu'il détient une fonction inchoative – la précision du Fond dans un syntagme prépositionnel n'est plus obligatoire, comme l'indique l'exemple suivant.

(3.34) Han lägger sig (på sängen).

Il coucher.PRÉS se.PRON.RÉFL (sur lit.DÉF.) « Il se couche/s'allonge (sur le lit). »

Apparemment, la particule compense l'absence d'un syntagme prépositionnel, en ayant une signification inhérente de l'emplacement et de l'arrivée du mouvement. Pour la construction réfléchie, elle s'auto-suffit, mais une précision de la Trajectoire, ainsi que du Fond, est possible. Le verbe de position à particule encodant l'acte de s'habiller, sätta på « mettre assis sur », peut également être pronominalisé, sätta på sig « mettre assis sur soi ». Pour le premier, le Fond n'est pas obligatoire, mais peut être explicité, voir l'exemple (3.35). Pour le dernier, le Fond est inclus dans le pronom réfléchi, mais peut, malgré cela, être formulé linguistiquement, comme exemplifié entre parenthèses dans (3.36).

(3.35) Du måste sätta en jacka innan du

tu devoir.PRÉS mettre assis.INF sur une veste avant tu

går ut.

aller.PRÉS dehors

« Tu dois mettre une veste avant de sortir. »

(3.36) Sätt dig mössan (på huvudet).

mettre assis.IMPÉR sur toi.PRON.RÉFL bonnet.DÉF. (sur tête.DÉF) « Mets le bonnet. »

En outre, ce verbe peut fonctionner sans particule, mais seulement si le Fond est exprimé, comme dans l'exemple (3.37) ci-dessous.

(3.37) Sätt mössan huvudet.

mettre assis.IMPÉR bonnet.DÉF. sur tête.DÉF

« Mets le bonnet sur ta tête. »

Toutes ces variantes du même verbe constituent très probablement une difficulté aux apprenants de suédois L1 et L2. La version la plus répandue est celle exemplifiée dans (3.36), sans précision du Fond dans un syntagme prépositionnel. En effet, le Fond constitue tout le corps de l'agent du mouvement, instancié par le pronom réfléchi. La partie du corps concernée est ainsi implicite, mais évidente, puisque le vêtement en question ne peut être porté que par une partie du corps. Dans l'exemple (3.36) ci-dessus, le Fond de la Figure bonnet est obligatoirement la tête.

Gullberg & Burenhult (2012) observent que les verbes de placement, qui ont une sémantique spécifique inhérente, se combinent avec une particule directionnelle dans 44% des situations d'élicitation dans leur étude, en grande partie comparable à la nôtre. Les verbes

sätta et stoppa sont combinés plus fréquemment à des particules, sätta dans 71% des

occurrences et stoppa dans 59%. A peine un tiers des occurrences des verbes lägga et ställa sont associées à des particules (idem:173). Les auteurs proposent que la sémantique, déjà très précise des verbes de position, limite le besoin des particules explicitant la Trajectoire du mouvement. Aussi, dans les événements de placement, le suédois manifeste un comportement proche des langues à cadrage verbal (cf. Narasimhan et al, 2012:9).

Les locuteurs natifs de suédois ont très certainement une compréhension synthétique des verbes à particule, à l'instar des locuteurs francophones qui ne décomposent pas la compréhension des verbes du type « écrémer » en 'é-crème-er' – enlever la crème (cf. Kopecka, 2004:206). Ceci est valable pour les verbes à particule avec une signification métaphorique, où le verbe à particule est lexicalisé, comme dans l'exemple suivant.

(3.38) De lägger ner arbetet.

ils coucher.PRÉS vers-le-bas travail.DÉF

« Ils cessent le travail. »

Ces usages figés et lexicalisés sont difficiles à acquérir pour un apprenant. Dans l'étude de Lemmens et Perrez (2010), seuls les apprenants de néerlandais avancés en ont fait un usage régulier. Pour les sens plus concrets du même verbe à particule, celle-ci peut changer selon la direction du mouvement, et le locuteur fait un choix conscient de particule pour encoder une situation donnée. Il peut également l'omettre, car son usage est facultatif dans ces contextes. Dans l'exemple ci-dessous, la Trajectoire est vers le bas, mais une autre configuration aurait pu recevoir une autre particule avec un sens différent.

(3.39) Hon lägger ner cykeln marken.

Elle coucher.PRÉS vers-le-bas vélo.DÉF sur terre.DÉF

« Elle pose le vélo par terre. »

Pour une situation qui décrit l'action de mettre le vélo sur le toit d'une voiture, la particule utilisée aurait été upp « vers le haut », et si le vélo avait été en position horizontale et bougé vers le devant, la particule fram serait de mise, etc25. Le sens de cette particule indique la direction vers un endroit où la Figure peut être vue et utilisée (cf. Viberg, 1998a:362). Ces

25 Un contexte possible, comprenant un vélo, où la particule fram se combine avec lägga serait le rangement du vélo dans le coffre d'une voiture. Le vélo se trouve en position couchée pour y loger et afin de pouvoir fermer le coffre, la phrase suivante pourrait être énoncée : lägg fram cykeln lite till « couche le vélo vers le devant encore un peu ».

changements de particules ne sont possibles que dans les sens concrets et non figés, alors que les verbes à particule lexicalisés ne peuvent pas les interchanger.

Nous voudrions proposer un continuum de figement entre les verbes et leurs particules, allant d'une interprétation concrète de la sémantique de la particule à une fusion notionnelle totale avec le verbe pour en créer un nouveau sens, plus ou moins opaque par rapport au sens original du verbe et de la particule. Cet examen des verbes à particule est succinct et manque de détails, car ils constituent un sujet très vaste, qui se trouve hors de portée de la présente thèse26.

3.8. Conclusions

La notion de la spatialité étant fondamentale pour l'être humain, les moyens de l'encoder linguistiquement sont importants et fréquents. En suédois, ces moyens se divisent en verbes positionnellement neutres et verbes de position, dont le sens prototypique des derniers repose sur l'être humain et ses postures corporelles. En prenant le corps humain comme point de départ, ces verbes encodent l'emplacement statique et provoqué d'une façon concrète et abstraite. Une utilisation très riche des métaphores comprenant ces verbes est également légion. En outre, en combinaison d'une particule, les possibilités d'utilisation des verbes de position se multiplient en nombre presque infini. Ces diverses utilisations et possibilités expliquent la fréquence élevée de ces verbes dans la langue de tous les jours. Comme nous venons de le mentionner, parmi les sens élargis des verbes de position se trouve l'utilisation locative, qui désigne la localisation statique et dynamique d'un objet concret dans un endroit concret. Cette utilisation, avec celle appelée prototypique, sont les points qui nous intéressent dans ces travaux de recherche.

Dans la disposition de ce chapitre, nous avons séparé les comptes rendus du sémantisme des contextes d'usage des verbes. Il est évident que l'un ne peut être détaché de l'autre, mais dans un souci de clarté, nous avons choisi de les distinguer le temps de la présentation. Dans ce qui suit, il sera démontré que le contexte spatial influe sur le choix de verbe, phénomène qui, en bref, constitue le sujet de notre étude. En effet, les constructions rencontrées par les locuteurs (et les apprenants) composent des exemples, à partir desquels celui-ci se crée un exemple d'usage à stocker dans la mémoire. Si ces exemples sont fréquents, ils deviennent forts et aident le locuteur / l'apprenant à comprendre la langue (cf. Bybee, 2006:717). Par exemple, si le verbe ligga se trouve dans le même type de contexte, la

compréhension de sa signification et de son usage est facilitée. Cependant, lorsque le même verbe se produit dans deux contextes différents, le locuteur schématise l'usage verbal en le rapprochant de son prototype et ses schémas d'image. C'est seulement en utilisant la langue que le locuteur peut tirer de telles conclusions. C'est pourquoi nous avons élaboré nos stimuli à partir des paramètres sémantiques présentés dans ce chapitre.