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L'hypothèse sur la période critique

4. L'acquisition des langues

4.2. Acquisition d'une langue seconde

4.2.2. L'hypothèse sur la période critique

Emise par Lenneberg (1967)32, l'hypothèse sur la période critique se base sur l'évolution humaine et animale, chez qui il existe des périodes critiques concernant certains modèles d'apprentissage. Une fois cette période passé, ce type d'apprentissage ne peut plus être réalisé, car la plasticité organisationnelle, jouant un rôle important lors de la latéralisation des fonctions dans le cerveau, cesse d'être actionnée (1967:179). La conséquence est une perte de la capacité d'adapter et de réorganiser le cerveau, et les diverses fonctions sont localisées d'une façon fixe. Ainsi, l'acquisition d'une deuxième langue est différente de celle d'une langue maternelle. Cependant, elle reste possible, car en tant qu'adulte, selon Lenneberg, on peut faire appel au matrix for language skills mental, toujours présent dans le cerveau, puisqu'on a déjà appris une langue étant enfant (ibid). Ce postulat cerne la discussion chez les

32 Se basant sur les travaux de Penfield (Penfield & Roberts, 1959. Speech and brain mechanisms. Princeton : Princeton University Press.

formalistes sur l'accessibilité de la présumée grammaire universelle à l'âge adulte (cf. notamment Chomsky, 1972 ; Eubank, 1994 ; Pinker, 1995). Si la connaissance universelle de la grammaire reste la même chez l'apprenant adulte, il peut acquérir une deuxième langue en maîtrisant la grammaire nucléaire de celle-ci. Si la grammaire universelle n'est disponible qu'aux jeunes enfants, il est impossible pour une personne de réussir une acquisition post-pubertaire d'une langue de façon conforme à la langue cible. Selon Pinker, le language

acquisition device n'est plus nécessaire à l'être humain après les premières années de

l'enfance. Par conséquent, il est supprimé par le cerveau et ne peut plus être activé (1995:292). D'autres chercheurs soutiennent qu'il existe des contraintes liées à la maturité biologique qui influencent l'acquisition langagière, sans pour autant parler de l'accès à une grammaire universelle, mais plutôt de la présence d'une période sensible (cf. notamment Birdsong, 1999 ; Eubank & Gregg, 1999 ; Hyltenstam & Abrahamsson, 2003 ; Singleton, 2012). Ce postulat se base sur plusieurs constats : même de très jeunes apprenants L2 n'atteignent pas forcément un état final parfaitement conforme à celui des natifs; même les apprenants adultes quasi-natifs présentent des aspects divergeants dans leur utilisation de la L2 (Bartning, 1997a:17 ; Hyltenstam & Abrahamsson, 2003:569). Ces divergences se trouvent surtout dans des aspects cognitifs et fonctionnels, par exemple concernant l'intuition grammaticale (cf. Coppieters, 1987:565), ou dans l'organisation du discours (cf. notamment Perdue, 1993 ; Carroll & von Stutterheim, 1997 ; Lambert, 1997 ; Hendriks et al, 2004). Avec l'âge, les contraintes maturationnelles jouent un rôle de moins en moins important, mais la variabilité de l'état final des apprenants L2 adultes reflètent d'autres facteurs (cf. Hyltenstam & Abrahamsson, 2003:570), par exemple les attitudes envers la L2 et la volonté d'être intégré socialement, déjà relevé ci-dessus (cf. Klein, 1989). Ces raisons sont proposées comme les plus importantes lorsque des apprenants réussissent à parler une langue étrangère sans accent. En outre, ces apprenants doivent avoir un accès intense à de l'input authentique ainsi qu'à une formation institutionnalisée avec de l'entrainement à la prononciation par le biais des cours de phonétique détaillés (cf. Palmen et al, 1997 ; Bongaerts, 1999). Selon certains chercheurs, l'existence d'apprenants L2 avec un langage parfaitement conforme à la langue cible est si rare que ces personnes semblent presque pathologiques (cf. notamment Bley-Vroman, 1989:44, cité dans Birdsong, 1999:12) et doivent être vues comme des exemples de peu d'importance. D'autres chercheurs font valoir qu'un seul cas d'un tel apprenant invalide toute l'hypothèse sur la période critique (cf. Long, 1990:274, cité dans Birdsong, ibid). Birdsong, auparavant partisan de la théorie sur la période critique, affirme que même un petit nombre d'apprenants L2 atteignant un niveau parfaitement conforme à la langue cible ne peut être considéré

comme périphérique (1999:15). L'auteur semble ainsi d'accord avec Long (op.cit.) dans l'invalidité de ladite période critique.

Il existe très probablement une interaction entre les facteurs liés à la maturation et ceux non-liés à celle-ci, où ces derniers peuvent être combinés entre eux afin de compenser le désavantage d'avoir commencé l'apprentissage tardivement. La maturité biologique porte sans doute la responsabilité des dégradations générales du potentiel d'apprentissage liées à l'âge (concernant les apprenants L1 tardifs (notamment des cas pathologiques) et les apprenants L2 tout venant). En revanche, les facteurs non-liés à la maturation peuvent avoir eu une influence plus importante sur les apprenants L2 avec une réussite exceptionnelle qui ont commencé au même âge que les apprenants L2 « normaux » (Hyltenstam & Abrahamsson, 2003:564). En outre, la motivation influence certainement sur la réussite, mais la réussite d'apprentissage à son tour peut sans doute influencer la motivation (cf. Ellis, 1994:472ff). Slobin (2012:253), quant à lui, fait valoir que dans la mesure où une période critique existe, il s'agit plutôt des phases développementales générales dans les procès cognitifs que d'une faculté langagière biologiquement préprogrammée. Il existe des études démontrant les avantages d'un apprentissage précoce d'une deuxième langue, à savoir avant l'âge de sept ans avec un déclin dans les résultats obtenus après cet âge (cf. notamment Johnson & Newport, 1989). Dans d'autres études, les résultats montrent un apprentissage plus rapide et plus correct par les adultes que par les enfants, où ces derniers régularisent l'input irrégulier, tandis que les adultes appliquent les règles fournies par les expérimentateurs (cf. notamment Saffran, 2001 ; Hudson Kam & Newport, 2005). Cependant, dans l'étude de Johnson & Newport (1989), il s'agit d'apprenants dans un milieu naturel, alors que les deux dernières études concernent l'acquisition d'une langue artificielle dans une expérimentation. Cela nous conforte dans l'idée que la réussite de l'acquisition d'une langue étrangère est due à plusieurs facteurs – où l'âge joue un certain rôle – et surtout à la motivation, incarnée par les besoins communicatifs et la volonté d'obtenir une intégration sociale (cf. Klein, 1989). Ce point de vue place nos travaux dans le courant fonctionnaliste / interactionniste, où l'explication de la réussite se trouve dans la socialisation, et où la mesure de cette réussite se fait par la description de la variété d'apprenant (cf. Matthey & Véronique, 2004).