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3. La sémantique et l'utilisation des verbes de position suédoissuédois

3.4. Un air de famille

Les définitions de dictionnaire ci-dessus nous ont bien montré que le sens d'un mot n'est pas facile à appréhender d'une manière exhaustive. Selon ces définitions, le sens primaire et premièrement mentionné des verbes de position semble être celui qui décrit la posture humaine. Cet usage porte le sens prototypique des verbes, en sachant qu'un prototype est « le meilleur exemplaire ou encore la meilleure instance, le meilleur représentant ou l'instance centrale d'une catégorie » (Kleiber, 1990:47-48). Toutes les catégories linguistiques ont une structure prototypique, comme toutes les catégories humaines (cf. Lakoff, 1987 ; Taylor, 2003). La sémasiologie, c'est-à-dire le départ d'un mot afin d'en connaître ses référents, sous-tend la notion du prototype (cf. Taylor, 2008:48). Celui-ci est l'entité (ou la sorte d'entité) la plus susceptible d'être le référent d'un mot (idem). En guise d'exemple, l'être humain en position debout serait le référent du verbe stå « être debout ». Le prototype est donc un membre de la catégorie linguistique ayant un nombre maximal des attributs inclus dans celle-ci. La plupart des membres de cette catégorie partagent ces attributs, sans pour autant tous les partager, et aucun attribut n'est commun à tous les membres (cf. Rosch & Mervis, 1975:575). Ainsi, les membres d'une catégorie ont une certaine similitude, nommée ressemblance de famille (cf. Wittgenstein, 1978 [1945], cité dans Taylor, 2003:42-43). Les mots d'une catégorie n'ont, en revanche, peu voire pas d'attributs en commun avec les membres d'une autre catégorie contrastive (cf. Rosch & Mervis, op. cit). Par conséquent, la catégorie du verbe

stå n'a pas les mêmes attributs que les catégories des verbes ligga « être couché » ou sitta

« être assis ». Chaque verbe de position constitue ainsi une catégorie, dont les membres, s'ils ne sont pas des exemplaires équivalents, se ressemblent suffisamment pour en faire partie.

Les membres de la catégorie stå sont les instances du verbe dans différents contextes d'utilisation, comme la localisation concrète et abstraite, ou encore dans les utilisations métaphoriques (voir 3.6.3 ci-dessous). Ainsi, la théorie du prototype nous intéresse pour sa flexibilité et son fonctionnement organique, sans bornes strictes entre les usages différents des membres d'une catégorie. En effet, les verbes étudiés s'organisent sémantiquement sur un continuum, et l'adhésion à la catégorie est graduelle (cf. Rosch et al., 1976:433 ; Taylor, 2003:71). La polysémie de chaque verbe n'est ainsi qu'une preuve de la ressemblance de famille (cf. Jakobsson, 1996 ; Taylor, 2003). Si la structure prototypique correspond au réseau schématique (schematic network) chez Langacker (1987:75ff), la polysémie est vue comme un ajustement (accomodation) du sens en créant une variante sémantique de l'unité linguistique. Comme nous l'avons mentionné, le prototype de la catégorie stå est l'être humain

en position debout. Parmi toutes les utilisations des verbes statiques, une partie minime fait référence à la position corporelle, à savoir 30% des occurrences de sitta, 10% des occurrences de stå et seulement 2% des occurrences de ligga (Jakobsson, 1996:15). Nous n'avons pas de chiffres pour les verbes de position dynamiques, mais le suédois se comporte très probablement en analogie avec son cousin le néerlandais, où seulement 0,8 % des usages portent sur un être humain étant placé dans une de ses postures (Lemmens, 2006:266). Par conséquent, le prototype d'une catégorie n'est pas nécessairement le plus fréquemment utilisé dans la langue courante. Malgré cela, il tient souvent une place centrale parmi les variations existantes (cf. Rosch, 1973:114).

En ce qui concerne les verbes de position, leur place centrale est due à l'importance de leurs attributs pour l'être humain, en l'occurrence son propre corps (cf. Rosch et al, 1976). Langacker fait valoir que les structures linguistiques en relation avec l'espace concret de l'être humain sont plus saillantes avec un plus grand ancrage dans l'expérience du locuteur. Un degré élevé d'ancrage détermine souvent la prototypicalité (Langacker, 1987:380). La catégorie est définie par les locuteurs comme un jeu de variations de ce prototype naturel, ou d'ajustements (idem) même lorsqu'il n'est pas central dans la catégorie, comme dans le cas des verbes de position (cf. Rosch, 1973:114). Ici, l'usage le plus central sont les sens élargis, qui prennent ainsi cette place de la catégorie (cf. Jakobsson, 1996). Selon Rosch, il est probable que les catégories dont le prototype se trouve à la place centrale soient plus faciles à apprendre que les catégories où le prototype est un membre périphérique de celle-ci. Malgré cela, le prototype a tendance à être appris en premier (idem).

Lakoff (1987:270), quant à lui, argumente que les membres d'une catégorie peuvent être reliés les uns aux autres sans qu'ils aient une propriété en commun qui définisse la catégorie, et les effets prototypiques ne sont qu'une conséquence des modèles cognitifs idéalisés, c'est-à-dire les schémas d'images (image schemata). Ces schémas construisent ainsi le caractère prototypique. Fondés sur une réécriture de la structure spatiale que les êtres humains expérimentent tous les jours, les schémas d'image sont particulièrement utiles lors de l'acquisition de différentes catégories relationelles dans la langue. Par conséquent, ces schémas d'images peuvent être considérés comme une partie très importante de notre architecture mentale (cf. Mandler, 1992:598), et ils facilitent la compréhension d'autres entités physiques du monde (cf. Svorou, 1994:95).

En s'appuyant sur les travaux de Lakoff et Johnson (Johnson, 1987 ; Lakoff & Johnson, 1985), Jakobsson (1996), dans son travail sur l'utilisation métaphorique des verbes de position statiques suédois, estime que l'explication des utilisations qui vont au-delà de la

première définition prototypique, se trouve dans les schémas d'image, c'est-à-dire dans une mentalisation de l'expérience corporelle. Toute utilisation d'un verbe de position est motivée par ces schémas d'image. Selon Johnson (1987:18ff), ce sont des structures de nos images mentales qui déterminent toute interaction humaine avec son entourage. Lakoff et Johnson (1985:129) estiment que l'homme, pour comprendre et pour parler des entités abstraites, part des entités concrètes, soit en comparant les entités abstraites aux entités concrètes, soit en les métaphorisant. Les concepts utilisés pour mieux comprendre notre entourage abstrait sont ceux qui semblent naturels dans notre existence, comme notre corps, le mouvement, l'interaction entre les gens, etc.

[…] nous tendons à structurer les concepts moins concrets et qui sont de manière inhérente les plus vagues (comme ceux qui sont liés aux émotions) au moyen de concepts plus concrets, car ces derniers sont plus clairement définis dans notre expérience. (idem:122)

La sémantique des verbes de position se fonde sur les représentations mentales, et Jakobsson (1996:17) propose que la sémantique des verbes de position statiques tourne autour des schémas d'images suivants : LOCALISATION17, CONNEXION, VERTICALITÉ et différents types de forces comme ÉQUILIBRE, CAPACITÉ, LIEN et BLOCAGE (cf. Jakobsson, 1996:23-25). Selon l'auteur, ces schémas sont présents chez presque tous les verbes de position statiques, ce qui motive leur ressemblance de famille. Les verbes dynamiques présentent approximativement les mêmes schémas que les verbes de position, en ajoutant la composante de la Causativité. Les verbes de position inter-opèrent au niveau sémantique, puisque les verbes de position dynamiques sont les équivalents causatifs lexicalisés des verbes de position statiques (Viberg, 1985 ; Lemmens, 2006 ; Gullberg & Burenhult, 2012). Comme nous avons vu ci-dessus, les définitions et les utilisations des verbes de position présentées dans les dictionnaires sont souvent très distinctes. Les verbes figurent dans un grand nombre d'expressions, non seulement pour décrire des êtres humains dans différentes postures, mais aussi pour des objets concrets et leur emplacement dans un endroit, concret ou abstrait, ainsi que dans des utilisations métaphoriques. Ainsi, nous pouvons voir que le corps est le point de départ en suédois pour décrire bien des choses et leur emplacement, aussi concrètement que métaphoriquement. C'est à cet aspect que nous allons plus précisément nous attacher ci-dessous.

17 Dans ses travaux, Jakobsson nomme ce schéma d'image POSITION, avec le sens d'un emplacement. Pour ne pas confondre les termes, nous l'avons échangé contre LOCALISATION.