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Typologie temporelle et aspectuelle des ´etats

3.3. Typologie aspectuelle : ´etats (( purs )) versus (( ´etats endo-actionnels ))endo-actionnels ))

3.3.8. Relation temporelle entre e et s

Dans cette section, je vais d´efinir plus pr´ecis´ement la nature du rapport temporel entre l’´etat s que d´ecrit l’adjectif et l’action e `a travers laquelle il se manifeste (jusqu’ici simplement d´efinie comme un rapport de simultan´eit´e). Cette relation varie en fonction de divers facteurs. Elle n’est pas la mˆeme selon que l’´enonc´e se voit attribuer la lecture-d ou la lecture-m. Sous la lecture-m, elle varie encore suivant le type d’adjectif en jeu.

Lecture-d versus lecture-m

Lecture-d. Voyons les ´enonc´es suivants :

(3.98) Marie a fait une sieste. Elle a ´et´e intelligenteS. (lecture-d) 6→ Marie a ´et´e intelligente pendant sa sieste.

→ Marie a ´et´e intelligente au moment de d´ecider de faire une sieste. Lorsqu’un individu est dans un ´etat s parce qu’il a d´ecid´e d’effectuer une action e, s ne doit pas se manifester au cours de e. Si Marie est intelligente de faire une sieste, elle ne doit pas n´ecessairement ˆetre intelligente pendant sa sieste. A vrai dire, on peut dire qu’il est vrai qu’elle a ´et´e intelligente de faire une sieste, alors mˆeme qu’on est sans doute dans l’incapacit´e de savoir si elle ´etait bˆete ou intelligente pendant sa sieste. Cela prouve que sous la lecture-d, la description stative peut ˆetre vraie alors mˆeme que l’´etat s ne prend pas place durant l’´ev´enement e. Ce qui est requis, c’est que l’Agent soit dans un ´etat s d’un certain type au moment de prendre sa d´ecision e’. C’est alors cette action qui g´en`ere s.

Lecture-m. Sous la lecture-m, en revanche, il apparaˆıt que l’´etat s doit prendre place au moment o`u se d´eroule l’action e que d´ecrit le pr´edicat d’action. Com-ment pourrait-on ˆetre intelligent dans la mani`ere d’effectuer une action, si notre intelligence ne se manifeste pas au cours de cette action ?

(3.118) Pierre a donn´e des bonbons `a Jean. Il a ´et´e g´en´ereuxS. i. Il a ´et´e g´en´ereux de donner des bonbons.

6→ Il a ´et´e g´en´ereux au cours de la distribution

ii. Il a ´et´e g´en´ereuxS dans la mani`ere dont il a donn´e des bonbons.

→ Il a ´et´e g´en´ereux au cours de la distribution de bonbons. En r´esum´e, sous la lecture-d, l’´etat s a lieu au moment o`u se prend la d´ecision e d’effectuer l’action e’ que d´ecrit la phrase d’action Si, alors que sous la lecture-m, l’´etat s prend place au moment o`u s’effectue cette action e’.

Des pr´edicats d’´etat (dis-)continu : blond versus bruyant

Au plan temporel, il y a une diff´erence int´eressante entre les pr´edicats d’´etat pur, et les pr´edicats d’´etat endo-actionnel sous leur lecture-m. G´en´eralement, lorsqu’un individu est tout rouge ou malade pendant qu’il effectue une certaine action, il est tout rouge ou malade de mani`ere continue durant cette action. On est rarement malade, puis en bonne sant´e, puis malade, puis en bonne sant´e au cours d’une seule

action. En ce sens, ces adjectifs sont des pr´edicats d’´etat occurrentiel continu. En revanche, il est banal qu’un individu soit discontinˆument bruyant durant le d´eroulement d’une seule action. Pierre peut ˆetre bruyant, puis silencieux, puis bruyant, puis `a nouveau silencieux dans le cadre d’une seule action.

La description stative est donc diff´eremment interpr´et´ee selon que l’adjectif est un pr´edicat d’´etat continu (blond, beau), ou discontinu (bruyant, bavard ) :28

(3.191) Si Q est un pr´edicat d’´etatS continu, alors ∀s, ∀s’ [Q(s) & s’ <s → P(Q(s’ ))=1]

(3.192) Si Q est un pr´edicat d’´etatS discontinu, alors ∀s, ∀s’ [Q(s) & s’ <s → P(Q(s’ ) > P(¬Q(s’ ))]

Ce qui est ainsi pr´ecis´e, c’est que lorsqu’un ´etat v´erifie le pr´edicat occurrentiel blondS (par exemple), alors la probabilit´e que tout sous-´etat de cet ´etat occurren-tiel satisfait ´egalement Blond est ´egale `a 1. En revanche, lorsqu’un ´etat v´erifie le pr´edicat occurrentiel bruyantS (par exemple), alors pour chaque sous-´etat s’ . . . de cet ´etat occurrentiel s, la probabilit´e que s’ satisfasse ´egalement bruyant est tout au plus sup´erieure `a la probabilit´e qu’il ne la v´erifie pas.

Les exemples ci-dessous illustrent cette id´ee (s symbolise l’´etat que d´ecrit la description stative de ces ´enonc´es) :

(3.199) Pierre a ´et´e blond pendant une semaine. → ∀ s’ [s’ < s → P(Blond(s’ ))=1]

(3.197) Pierre a ´et´e bruyant pendant deux heures.

→ ∀ s’ [s’ < s → P(Bruyant(s’ )) >P (¬Bruyant(s’ ))]

La diff´erence entre pr´edicats d’´etat continu ((( sans trou ))) ou discontinu ((( `a trous ))) se traduit au plan de l’utilisation des adverbes. Une locution adverbiale comme la plupart du temps est plus naturel avec un pr´edicat d’´etat discontinu parce qu’il pr´esuppose que la pr´edication est susceptible d’ˆetre vraie, puis fausse, puis vraie, etc. au cours de l’intervalle que d´enote le GN le temps de la locution adverbiale la plupart du temps. De mˆeme, tout le temps n’est pleinement appropri´e que lorsque l’´etat pourrait n’avoir eu lieu qu’en un certain sous-intervalle du temps consid´er´e :

(3.193) Quand les enfants ont jou´e, ils ´etaient bruyantsS.

(3.194) Quand les enfants ont jou´e, ils ´etaient bruyantsS la plupart du temps.

(3.195) Quand Marie s’est promen´ee dans le parc, elle ´etait maquill´eeS. (3.196) # Quand Marie s’est promen´ee dans le parc, elle ´etait maquill´eeS

la plupart du temps.

(3.197) Quand Pierre est venu manger, il ´etait bavardS.

(3.198) Quand Pierre est venu manger, il ´etait bavardS tout le temps. (3.199) Quand Pierre est venu manger, il ´etait blondS.

(3.200) # Quand Pierre est venu manger, il ´etait blondS tout le temps.

28

Bavard pose un probl`eme suppl´ementaire dans la mesure o`u l’on ne peut ˆetre dit bavard lors d’un ´ev´enement au tout d´ebut de cet ´ev´enement : il faut avoir d´ej`a avoir parl´e un certain temps. Je vais ignorer ce probl`eme ici.

Dans ces ´enonc´es, l’intervalle auquel renvoie le GN le temps correspond `a l’inter-valle de l’action e que d´ecrit la subordonn´ee en quand. Lorsque l’adjectif (d´enotant la propri´et´e d’´etat Q) est ainsi modifi´e par la plupart du temps ou tout le temps, la phrase stative d´ecrit une s´erie d’´etats s’, s”. . . occurrentiels de type Q, qui prennent respectivement place lors de parties propres e’, e”. . . de l’action e que d´ecrit la phrase d’action Si.29Avec la plupart du temps, l’´enonc´e implique en outre que la majorit´e, mais pas la totalit´e des ´etats s’, s”. . . qui prennent place durant e sont de type Q.

L’adverbe tr`es permet ´egalement de distinguer entre les pr´edicats d’´etat continu et les pr´edicats d’´etat discontinu :

(3.201) Les enfants ont jou´e dehors. Ils ´etaient tr`es bruyantsS. i. Ils ´etaient bruyants `a un haut degr´e.

ii. Ils ´etaient bruyants `a un degr´e normal, mais `a de nombreux sous-intervalles de l’intervalle consid´er´e I.

(3.202) Marie ´epluchait les pommes de terre. Elle ´etait tr`es blondeS. i. Elle ´etait blonde `a un haut degr´e.

ii. # Elle ´etait blonde `a un degr´e normal, mais `a de nombreux sous-intervalles de l’intervalle consid´er´e I.

Avec un pr´edicat d’´etat discontinu, tr`es peut avoir une interpr´etation temporelle comparable `a celle que d´eclenche souvent : ˆetre tr`es bruyant, cela peut signifier ˆetre souvent bruyant dans l’intervalle consid´er´e. Cette interpr´etation temporelle est exclue avec les pr´edicats d’´etat continu, car l’´etat d´ecrit est de toutes fa¸cons suppos´e v´erifi´e `a chaque sous-intervalle de l’intervalle entier consid´er´e.

Des pr´edicats d’´etat holistiques : g´en´ereuxS versus bruyantS

Introduction. Au plan temporel, il y a une diff´erence entre la lecture-m des pr´e-dicats d’´etat endo-actionnel de type 1 (g´en´ereux, intelligent), et la lecture-m des pr´edicats d’´etat endo-actionnel de type 2 (bruyant, bavard ) :

(3.94) Pierre m’a vendu sa moto. Il a ´et´e honnˆeteS. (lecture-m) (3.203) Pierre a d´em´enag´e le piano. Il a ´et´e bruyantS. (lecture-m)

La diff´erence touche `a la question de savoir si les parties propres s’, s” . . . non finales de l’´etat int´egral s que d´ecrit la phrase stative v´erifient aussi ce pr´edicat.

Rappelons que par d´efinition, les ´etats que d´ecrivent les pr´edicats d’´etat endo-actionnel sont g´en´er´es par une action e d’un type ad´equat ; par ailleurs, l’action g´en´erante et l’´etat g´en´er´e ont les mˆemes fronti`eres temporelles, i.e. τ (e) = τ (s).30

Pour qu’une partie propre s’ de ce genre d’´etat s satisfasse aussi le pr´edicat d’´etat endo-actionnel, il faut que lui aussi se manifeste `a travers une action e’, telle que τ (s’ )= τ (e’ ).

Ce qu’on observe, c’est que cette condition est imm´ediatement satisfaite avec

29

Rappelons que Si symbolise la premi`ere phrase du discours (une phrase d’action dans nos exemples) et Sj la phrase suivante (une phrase d’´etat dans ces mˆemes exemples).

30

Rappelons que dans le cas de la g´en´eration causale uniquement, le proc`es g´en´erant et le proc`es g´en´er´e n’ont pas les mˆemes fronti`eres temporelles. Voir section (1.5.2) pour les d´etails.

un pr´edicat de type 2, mais pas avec un pr´edicat de type 1. Lorsque Pierre est bruyant lors d’un d´em´enagement, il manifeste son cˆot´e bruyant `a travers au moins une partie propre de ce d´em´enagement. En revanche, si Pierre est honnˆete lors d’une vente, il ne manifeste pas n´ecessairement son honnˆetet´e `a travers une partie propre non finale de cette vente. Il ne le peut, ´eventuellement, que si la vente est compos´ee de sous-transactions, qui donneraient `a Pierre l’occasion d’ˆetre honnˆete. Hormis ce cas pr´ecis, Pierre ne peut manifester son honnˆetet´e qu’`a l’occasion de la vente prise dans son int´egralit´e.

Cette diff´erence ne rel`eve pas de la co¨ıncidence. Tous les pr´edicats d’´etat endo-actionnel qui posent probl`eme `a l’imparfait (de type 1) s’alignent sur honnˆete, et ceux qui prennent l’imparfait sans aucune difficult´e (de type 2) se comportent comme bruyant :

(3.204) Pierre m’a donn´e un bonbon. Il a ´et´e g´en´ereuxS. (type 1, lecture-m) 6→ Pierre a l’occasion d’ˆetre g´en´ereux avant d’avoir fini de donner le bonbon.

(3.205) Pierre a donn´e une conf´erence. Il a ´et´e soporifiqueS. (type 2, lecture-m)

→ Pierre a l’occasion d’ˆetre soporifique avant la fin de la conf´erence.

Les pr´edicats d’´etat endo-actionnel de type 1 sont donc bien souvent inapplicables aux parties propres non finales de l’´etat s, parce que les parties propres e’, e”. . . de l’action qui sert d’Occasion `a s (l’´etat int´egral d´ecrit par Sj) ne donnent pas toujours l’Occasion `a des parties propres s’, s” . . . de s de prendre place.

L’utilisation de l’adverbe la plupart du temps permet d’illustrer cette diff´erence entre les pr´edicats d’´etat endo-actionnel de type 1 et de type 2 :

(3.206) Pierre a d´em´enag´e le piano. Il a ´et´e bruyantS la plupart du temps. (3.207) # Pierre m’a vendu sa moto. Il a ´et´e honnˆeteS la plupart du temps. L’´enonc´e (3.207) est marqu´e parce qu’en pr´esence de l’adverbe la plupart du temps, la phrase stative d´ecrit, comme on l’a vu plus haut, une s´erie d’´etats s’, s”. . . occurrentiels qui v´erifient tous le pr´edicat statif, et qui prennent respectivement place lors de parties propres e’, e”. . . de l’action e que d´ecrit Si. Dans cet exemple (3.207), il faudrait donc, pour bien faire, que plusieurs sous-parties de la vente d’une moto permettent `a l’Agent de manifester son honnˆetet´e. Mais ce n’est pas l’interpr´etation obtenue par d´efaut. Cela dit, la phrase devient meilleure si l’on suppose que le contrat de vente de la moto est compos´e de plusieurs sous-contrats, susceptibles chacun de servir d’Occasion `a un ´etat d’honnˆetet´e local.31

31Remarquons que le probl`eme que provoque l’adverbe la plupart du temps n’est pas du mˆeme ordre lorsqu’il est appliqu´e `a un pr´edicat holistiquetps(comme honnˆete) ou `a un pr´edicat d’´etat pur (comme blonde) :

(3.208) # Lors de la promenade, Marie ´etait blonde la plupart du temps.

Le probl`eme que pose (3.208) est que, d’une part, l’adverbe la plupart du temps sugg`ere que l’individu peut ˆetre dans le type d’´etat que d´enote l’adjectif de mani`ere discontinue, alors que, d’autre part, un individu n’est pas, typiquement, dans un ´etat de blondeur discontinument. En revanche, un individu peut probablement ˆetre dans un ´etat d’honnˆetet´e de mani`ere discontinue (on peut imaginer qu’il h´esite entre l’honnˆetet´e et la malhonnˆetet´e). Si (3.207) n’est quand mˆeme pas acceptable, c’est parce qu’un individu ne peut g´en´eralement pas manifester son honnˆetet´e avant la fin de l’action que d´ecrit Si.

Je propose d’appeler les pr´edicats comme honnˆete des pr´edicats holistiquestps. Rappelons la d´efinition de la r´ef´erence holistique fournie dans la section (2.2.2) (o`u il ´etait question de pr´edicats holistiques dans l’espace, et non dand le temps comme ici) :

(2.21) ∀P [HOL(P ) ↔ ∀x[P (x) → ¬2∃y[P (y) ∧ y < x] ∧

3∃y[P (y) ∧ y < x]]]

Sous cette d´efinition, les pr´edicats comme intelligentS sont bien holistiquestps

puisque (i.) ils s’appliquent `a l’´etat endo-actionnel dans son int´egralit´e, (ii.) il n’est pas n´ecessaire qu’ils s’appliquent `a une partie propre temporelle de cet ´etat, et (iii.) il est n´eanmoins possible qu’ils s’appliquent `a une telle partie propre de cet ´etat. Notons que l’existence de pr´edicats holistiques dans le temps remet en ques-tion l’id´ee que tous les pr´edicats d’´etat sont toujours distributifs dans le temps.

En revanche, les pr´edicats comme bruyantS sont non holistiques, puisque, pour tout ´etat s satisfaisant un pr´edicat de ce genre, il existe n´ecessairement une partie propre s’ de s qui satisfait aussi le pr´edicat en cause. N´eanmoins, en tant que pr´e-dicats d’´etat discontinu, de tels pr´epr´e-dicats ne sont pas non plus micro-distributifs dans le temps, au contraire des pr´edicats d’´etat continu comme blondS.

Evaluation a posteriori versus ´evaluation in medias res. Remarquons que l’on ne per-¸coit pas de la mˆeme fa¸con l’´etat que d´enotent les pr´edicats holistiquestps(honnˆete) et non holistiquestps (soporifique) :

(3.94) Pierre m’a vendu sa moto. Il a ´et´e honnˆeteS. (lecture-m)

6→ Il est possible de savoir avant la fin de la transaction si Pierre a ´et´e honnˆete ou pas.

(3.209) Pierre a donn´e une conf´erence. Il a ´et´e soporifiqueS. (lecture-m) → Il est possible de savoir avant la fin de la conf´erence si Pierre a ´et´e soporifique ou pas.

Lorsque l’´etat trouve `a se manifester occurrentiellement avant la fin de l’action, elle peut, du coup, ˆetre observ´ee pendant son d´eroulement. Mais si la disposition n’a pas l’occasion de se manifester avant que ne se termine l’action, il est plus difficile de savoir si l’individu est bien dans cette disposition.

Disons que lorsque l’Evaluateur peut identifier le type d’´etat s dans lequel est l’Agent au cours de l’action, il y a ´evaluation in medias res. Lorsque, au contraire, l’Evaluateur ne peut identifier le type d’´etat s dans lequel est l’Agent qu’`a la fin de l’action, il y a, au contraire, ´evaluation a posteriori.

On peut alors reformuler les choses comme suit. En g´en´eral, les pr´edicats d’´etat endo-actionnel de type 1 imposent l’´evaluation a posteriori, alors que les pr´edicats d’´etat endo-actionnel de type 2 permettent aussi l’´evaluation in medias res.

Conclusion. En r´esum´e, les pr´edicats d’´etat endo-actionnel de type 2 comme bruyantS sont non holistiques parce qu’ils doivent s’appliquer non seulement `a l’´etat endo-actionnel entier, mais aussi `a au moins une de ses sous-parties tempo-relles. En revanche, les pr´edicats d’´etat endo-actionnel de type 1 comme honnˆeteS sont holistiques parce qu’ils ne s’appliquent pas n´ecessairement `a une partie propre de l’´etat endo-actionnel int´egral ; cela est possible, mais pas n´ecessaire.