• Aucun résultat trouvé

Les pr´edicats d’´etat en s´emantique (n´eo) davidsonienne

2.2. Les ressemblances entre les ´etats et les activit´es

2.2.1. Cumulativit´e

Introduction

On a souvent soulign´e les analogies entre les pr´edicats d’´etat comme ˆetre rouge et les pr´edicats d’activit´e comme courir. Premi`erement, les pr´edicats des deux classes sont cumulatifs. L’id´ee de r´ef´erence cumulative remonte `a Quine (1960), qui op-pose les expressions comme vin/ des pommes aux expressions comme un verre de vin/ deux pommes. Un pr´edicat P est cumulatif lorsque, pour toute entit´e x et y qui satisfont P, la somme de x et y satisfait n´ecessairement P aussi. Du vin plus du vin, c’est du vin ; un verre de vin plus un verre de vin, ¸ca n’est pas n´ecessairement un verre de vin. Les noms massifs singuliers (construits avec l’article ind´efini du/de la) comme vin ou mobilier sont r´eput´es cumulatifs, alors que les noms comptables singuliers (construits avec l’article ind´efini un/ une) comme couteau ou troupeau sont tenus pour non cumulatifs.

L’hypoth`ese suivant laquelle les pr´edicats d’activit´e ou d’´etat comme courir ou ˆetre rouge sont de r´ef´erence cumulative comme les noms de masse a ´et´e soutenue entre autres par Quine (1960)2, Taylor (1977), Mourelatos (1978), Brinton (1991) et Krifka (1992, 1998). Krifka (1992, 1998) ´etend la notion de r´ef´erence cumulative au domaine des proc`es. Dans le cadre th´eorique que d´eveloppe Krifka, un pr´edicat peut donc ˆetre cumulatif dans les domaines des objets O, des proc`es E (et aussi des intervalles temporels T). Dans cette perspective, on peut distinguer les pr´edicats i-cumulatifs (cumulatifs dans le domaine des individus) des pr´edicats e-cumulatifs (cumulatifs dans le domaine des proc`es). Ici, c’est essentiellement la e-cumulativit´e qui va nous int´eresser, puisque l’on a adopt´e la pr´emisse n´eo-davidsonienne suivant laquelle un pr´edicat verbal ou adjectival d´enote un ´ev´enement ou un ´etat.

Krifka oppose la notion de r´ef´erence cumulative `a la notion de r´ef´erence quan-tis´ee (quantized reference). Un pr´edicat est de r´ef´erence quanquan-tis´ee lorsque son r´ef´e-rent ne compte aucune partie de mˆeme nature que lui.3 Sa d´efinition des pr´edicats

2(( So-called mass terms like ”water”, ”footwear”, and ”red” have the semantical property of referring cumulatively : any sum of parts which are water are water )) (Quine (1960), p. 91, cit´e par Bunt (1985), p. 16.

3

M. Dominicy (c.p.) me rappelle que cette d´efinition soul`eve un probl`eme bien connu. Ad-mettons que femme soit un pr´edicat quantis´e, ce qui semble raisonnable. Si x est une femme et se fait par malheur amputer d’un doigt, cette d´efinition pr´edit, prise au pied de la lettre, que x ne peut plus, apr`es amputation, satisfaire le pr´edicat femme. Je ne vais pas discuter de cette objection ici ; je me contenterai d’utiliser la th´eorie de Krifka, sans chercher `a l’am´eliorer.

cumulatifs et quantis´es est reprise ci-dessous. Les variables x et y peuvent prendre leur valeur dans les trois domaines E, O et T.

(2.1) ∀P [CUM (P) ↔ ∀ x, y [P(x ) ∧ P(y) → P (x ⊔ y)]] (r´ef´erence cumulative)

(2.2) ∀P [QUA (P) ↔ ∀ x, y [P(x ) ∧ P(y) → (x 6< y)]] (r´ef´erence quantis´ee)

x < y implique que x est une partie propre d’y. L’op´eration de sommation ⊔ est l’´equivalent de l’op´eration Union dans la th´eorie des ensembles. Il est important de souligner que l’op´eration de sommation se distingue de l’op´eration constitutive, qu’on pourrait symboliser par un autre op´erateur ⊎. Appliqu´e aux objets x et y, l’op´erateur⊎ organise x et y en un tout structur´e. L’orteil de Cl´eopˆatre, un nuage et un sachet de th´e peuvent ˆetre somm´es par l’op´eration⊔. Mais comme ces trois objets ne peuvent vraisemblablement pas constituer ensemble un tout structur´e, l’op´erateur⊔ rendrait une valeur nulle s’il prenait ces trois objets pour arguments. La sommation ne fait que permettre la (( constitution )), mais ne se confond pas avec elle. Ainsi, deux tableaux peuvent ˆetre somm´es, sans pour autant constituer ensemble une nouvelle entit´e (en formant ensemble un dyptique, par exemple).

Comme le remarque Verkuyl (2000) (p. 48) apr`es Naumann (1996), la d´efini-tion de la cumulativit´e de Krifka fait de n’importe quel verbe un verbe e-cumulatif. Seuls les VP sont ´eventuellement non e-cumulatifs. C’est le cas, par exemple, de manger un croissant : la somme de deux ´ev´enements satisfaisant chacun le pr´e-dicat manger un croissant ne satisfait pas n´ecessairement le pr´epr´e-dicat manger un croissant.

Rouge versus beau

L’id´ee que les pr´edicats d’´etat soient e-cumulatifs comme les pr´edicats d’activit´e est bien admise. de Swart (2000) ´ecrit par exemple :

States and processes pattern together in having [. . .] non quantized reference, just like bare plurals and mass nouns. They have [. . .] cumu-lative reference (writing plus writing is writing).

Cela semble ´evident pour les ´etats que d´ecrivent des pr´edicats d’´etat comme rouge ou malade. Tout un chacun sera prˆet `a garantir l’implication suivante :

(2.3) ∀s, ∀s’ Rouge(s) & Rouge(s’ ) =⇒ Rouge(s⊔s’ )

Mais si l’on s’´ecarte des pr´edicats d’´etat les plus souvent cit´es (comme ˆetre rouge et ˆetre malade), on h´esite parfois davantage. Pensons, par exemple, au pr´edicat ˆetre beau :

(2.4) ∀s, ∀s’ Beau(s) & Beau(s’ )

?

Tout le monde a d´ej`a remarqu´e que deux choses belles s´epar´ement peuvent de-venir laides ensemble. Par exemple, si les bˆatiments A et B se r´ev`elent beaux s´epar´ement, rien ne garantit qu’ils resteront beaux l’un `a cˆot´e de l’autre. La jux-taposition des deux bˆatiments peut rendre particuli`erement saillants certaines de leurs propri´et´es respectives qui les rendent nettement moins beaux. Supposons, par exemple, que la phrase (2.7) d´ecrive l’´etat s correspondant `a la somme des ´etats s’ et s” que d´ecrivent respectivement (2.5) et (2.6). Sous cette interpr´etation, on ne peut conclure `a la v´erit´e de (2.7) de la v´erit´e de (2.5) et de (2.6).

(2.5) La partie gauche de ce tableaui est belle. (2.6) La partie droite de ce tableaui est belle.

(2.7) =⇒ Les deux parties de ce tableau? i sont belles (consid´er´ees) ensemble.

Que conclure de l’absence d’implication sous l’interpr´etation vis´ee ? Tout d´epend de la mani`ere dont est interpr´et´ee l’op´eration ⊔.

Suivant une premi`ere interpr´etation, que je n’adopterai pas, l’op´eration⊔ ayant pour argument deux ´etats s’ et s” donne pour r´esultat un ´etat s correspondant `a la somme de ces ´etats s’ et s” consid´er´es ensemble. Certaines mani`eres de formuler la d´efinition de la r´ef´erence cumulative invitent `a interpr´eter le r´esultat de l’op´eration ⊔ de cette fa¸con :4

(2.8) Un nom r´ef`ere cumulativement si, `a chaque fois qu’il s’applique s´epar´ement `a chacune de deux entit´es, il s’applique aussi `a ces deux entit´es consid´er´ees ensemble. (Nicolas (2002), p. 7, je souligne) En formulant les choses de cette mani`ere, on invite quelque peu `a conclure du fait qu’illustrent (2.5)-(2.7) que le pr´edicat d’´etat beau n’est pas e-cumulatif : deux ´etats de beaut´e ne forment pas n´ecessairement un ´etat de beaut´e consid´er´es en-semble.

Suivant une seconde interpr´etation, que je fais mienne, l’op´eration⊔ ne requiert pas que les deux proc`es somm´es soient (envisag´es) ensemble. Op´erant sur deux ´etats s’ et s”, elle rend pour valeur un ´etat s correspondant `a la somme de ces ´etats s’ et s”, sans plus. Le fait que l’on ne puisse pas d´eriver la v´erit´e de (2.7) de la v´erit´e de (2.5) et de celle de (2.6) ne montre en rien que le pr´edicat ˆetre beau n’est pas cumulatif. Pour ˆetre cumulatif, il faut simplement que sous l’interpr´etation vis´ee, la conjonction de (2.5)-(2.6) implique non pas (2.7), mais (2.9) ci-dessous : (2.5) La partie gauche de ce tableaui est belle.

(2.6) La partie droite de ce tableaui est belle.

(2.9) =⇒ Les deux parties de ce tableau? i sont belles. Et cette fois, il y a bel et bien implication.

On peut rendre compte comme suit de l’absence d’implication vers (2.7) mˆeme lorsque ce tableau renvoie au mˆeme tableau dans les trois phrases (Rappelons que pour les tenants de la premi`ere interpr´etation de l’op´eration ⊔, cela s’explique

4Je souligne que Nicolas se centre sur les noms et non sur les adjectifs ou les verbes. Par ailleurs, je n’attribue pas `a Nicolas cette interpr´etation de l’op´erateur⊔ ; je souligne simplement que cette mani`ere de formuler les choses peut inviter `a l’adopter.

simplement en disant que ˆetre beau n’est pas cumulatif). L’id´ee est de dire que le pr´edicat de l’´enonc´e (2.7) et celui des ´enonc´es (2.5) et (2.6) n’est pas le mˆeme : ˆetre beau n’a pas le mˆeme sens que ˆetre beau (consid´er´e) ensemble :5 le premier d´ecrit un ´etat de beaut´e (( intrins`eque )) et le second un ´etat de beaut´e (( relationnel )). Une fois ce d´ecouplage op´er´e, on n’a ´evidemment plus aucun mal `a rendre compte de l’absence d’implication : ˆetre beau dans un sens n’implique pas ˆetre beau dans l’autre.

Le cas de ˆetre beau n’est pas isol´e. Il n’y a pas d’implication non plus entre x est l´eger et y est l´eger vers vers x et y sont l´egers (consid´er´es) ensemble, comme l’illustrent les exemples suivants :

(2.10) Pierre est l´eger. (2.11) Marie est l´eg`ere.

(2.12) 6=⇒ Pierre et Marie sont l´egers (consid´er´es) ensemble.

Moravcsik (1973) discute d´ej`a de l´eger et de petit.6 Selon lui, ces adjectifs ne sont pas de r´ef´erence cumulative, parce qu’il a une interpr´etation plus riche de la r´ef´e-rence cumulative que celle qui est adopt´ee ici.

Les pr´edicats ˆetre avare ou ˆetre intelligent sont ´egalement comparables `a ˆetre beau. On peut juger plusieurs individus avares s´epar´ement, mais les juger g´en´e-reux (consid´er´es) ensemble. De mˆeme, on peut juger chaque fourmi composant une fourmili`ere comme ´etant d´epourvue d’intelligence prise individuellement, tout en consid´erant que ces mˆemes fourmis sont intelligentes (consid´er´ees) ensemble.7

En conclusion, le fait que pour certains pr´edicats d’´etat P comme ˆetre beau, la conjonction de x est P et de y est P n’implique pas n´ecessairement x et y sont P consid´er´es ensemble n’obligent pas `a remettre en question l’id´ee classiquement soutenue que tous les pr´edicats d’´etat sont e-cumulatifs. On peut en rendre compte en admettant que pour ces pr´edicats P, x et y sont P et x et y sont P consid´e-r´es ensemble ne d´ecrivent pas le mˆeme type d’´etat ; les phrases du premier type d´ecrivent un ´etat (( individuel )), et les phrases du second type d´ecrivent un ´etat (( relationnel )).

2.2.2. Distributivit´e

La distributivit´e (ou divisibilit´e) est la seconde propri´et´e que les pr´edicats d’´etat et d’activit´e sont r´eput´es partager avec les noms de masse.8 Link (1983) la d´efinit comme suit :

5

Solution que je dois `a C. Pi˜n´on.

6

Moravcsik est cit´e sur ce point par Bunt (1985), pp. 16-17. Merci `a Maria Asnes d’avoir attir´e mon attention sur les passages pertinents de Bunt.

7(( [...] dans les soci´et´es d’insectes, le ”projet” global n’est [...] pas programm´e explicitement chez les individus, mais ´emerge de l’enchaˆınement d’un grand nombre d’interactions ´el´ementaires entre individus, ou entre individus et environnement. Il y a en fait intelligence collective construite `

a partir de nombreuses simplicit´es individuelles. )) (Deneubourg (1995)).

8Le terme cumulativit´e est standard, mais certains auteurs appellent r´ef´erence divisive la pro-pri´et´e que d’autres appellent r´ef´erence distributive. J’utiliserai indiff´eremment ces deux termes. Les termes anglais les plus souvent employ´es par les aspectualistes sont divisive predicates et divisive reference.

Gare

.

. a

b

Fig. 2.1 – Evenement non-quantis´e non-distributif

(2.13) ∀ x, y, z ∈ X [P(z ) ∧ x ⊔ y = z → P(x ) ∧ P(y)]

Intuitivement, si l’on divise une quantit´e d’eau, on obtient deux quantit´es d’eau, au moins jusqu’`a un certain point.9 Si Pierre a ´et´e malade ou a cuisin´e toute l’apr`es-midi, alors on peut aussi dire de lui qu’il a ´et´e malade ou a cuisin´e `a tout intervalle I de l’apr`es-midi, du moment que I soit suffisamment long pour que l’activit´e puisse avoir eu lieu.10

Plusieurs auteurs appellent pr´edicats homog`enes les pr´edicats qui sont `a la fois de r´ef´erence cumulative et de r´ef´erence distributive (Bunt (1985), L¨onning (1987), de Swart (2000) e.a.). C’est la convention qu’on va adopter ici. Pour d’autres, les pr´edicats homog`enes sont les pr´edicats de r´ef´erence distributive (cf. Vendler (1957), Recanati et Recanati (1999) e.a.).

Il faut souligner que la classe des pr´edicats distributifs telle qu’on vient de la d´efinir ne fait pas double emploi avec la classe des pr´edicats non quantis´es de Krifka. Un pr´edicat est distributif si toutes les parties propres du r´ef´erent sont de mˆeme nature que le r´ef´erent. Un pr´edicat est non quantis´e d`es lors qu’au moins une partie propre du r´ef´erent est du mˆeme type que le r´ef´erent. Le VP aller `a la gare permet de faire la diff´erence entre les deux classes. Zwarts (2004) montre `a l’aide d’un sch´ema similaire `a celui qu’on trouve en (2.1) que aller `a la gare n’est pas de r´ef´erence distributive.

Ainsi, l’´ev´enement qui consiste `a parcourir le segment qui va du point a. au point b. sur le sch´ema (2.1) ne satisfait pas le pr´edicat aller `a la gare. En revanche, ce mˆeme VP est de r´ef´erence non quantis´ee, puisqu’au moins une partie propre de l’´ev´enement int´egral satisfait aussi ce VP (comme le souligne aussi Krifka (1992) (p. 36)).11

9

Comme l’ont soulign´e de nombreux auteurs apr`es Quine, les pr´edicats ne sont pas (( infi-niment )) distributifs (voir Nicolas (1997) pour un ´etat de cette question). Pass´ee une certaine fronti`ere, on obtient plus de l’eau en divisant une quantit´e d’eau. La r´eponse classique est que ce probl`eme des (( parties minimales )) n’a pas d’impact sur la structure des langues naturelles : (( as far as natural language is concerned, any part of something which is gold is also gold [. . .] identification of the smallest parts is not a problem that belongs to linguistic semantics )) (Filip (1999), p. 44). Un probl`eme plus s´erieux est que seuls certains noms de masse sont de r´ef´erence distributive. Les noms massifs collectifs comme (( mobilier )) ne le sont pas. Par exemple, une chaise satisfait le pr´edicat (( mobilier )), et pourtant, une partie de chaise n’est pas du mobilier (Nicolas (2002)).

10Soulignons, apr`es Katz (1995), que la distributivit´e ainsi axiomatis´ee permet qu’un pr´edicat soit de r´ef´erence distributive mˆeme s’il compte, dans son extension, des individus atomiques (des individus qui n’ont pas de partie propre). L’axiome dit uniquement que lorsqu’une entit´e est form´ee de deux autres entit´es et v´erifie un certain pr´edicat, alors ces deux autres entit´es le v´erifient aussi. Il ne dit rien du cas o`u l’entit´e n’a pas de partie propre.

11

Ce VP est int´eressant pour une autre raison puisqu’il fait aussi exception `a la r`egle qui veut que g´en´eralement, les pr´edicats t´eliques soient de r´ef´erence quantis´ee (Krifka (1998)).

L’id´ee que les pr´edicats d’´etat et d’activit´e sont de r´ef´erence distributive dans le domaine des proc`es (ou e-distributifs) est ´egalement classique :

If x knows y during a certain interval, then it is also true that x knows y at every instant within that interval. (Zucchi (1998), p. 354)

States and processes pattern together in having [. . .] divisive reference (parts of being sick qualify as being sick). (de Swart (2000))

Mais `a nouveau se pose la question de savoir ce qu’implique exactement l’id´ee que les pr´edicats sont de r´ef´erence distributive.

La plupart du temps, lorsque les auteurs discutent de la r´ef´erence distributive des pr´edicats d’´etat et d’activit´e, ils n’envisagent cette propri´et´e que dans le do-maine du temps. Recanati & Recanati ainsi que Zucchi ne vont clairement pas plus loin. Sur ce plan, pr´edicats d’´etat et d’activit´e sont effectivement analogues dans les grandes lignes, mais sans doute pas dans le d´etail. On reviendra sur la distributivit´e dans le temps au moment d’aborder les diff´erences entre les pr´edicats d’´etat et les pr´edicats d’activit´e.

La question de la distributivit´e des ´etats et des activit´es dans l’espace est peu abord´ee par les aspectualistes. Deux raisons contribuent `a expliquer pourquoi les aspectualistes se sont moins int´eress´es `a la r´ef´erence distributive au plan spatial. Tout d’abord, cette propri´et´e des pr´edicats ne rel`eve plus `a proprement parler de l’aspect du verbe, c’est-`a-dire de l’´etude de la structure temporelle de l’´eventualit´e que d´ecrit ce verbe. Deuxi`emement, il est souvent consid´er´e, au moins implicite-ment, que les parties pertinentes des proc`es sont leurs parties temporelles, alors que les parties pertinentes des individus sont leurs parties spatiales :

[. . .] when we analyze individuals, we consider their spatial parts, when we analyze eventualities, we consider their temporal parts [. . .] (Filip (1999), p. 42)

Il existe plusieurs travaux qui traitent de la question de savoir, pour une phrase du type x est P, quelles parties (spatiales) de l’individu x doivent aussi satisfaire le pr´edicat P (Jackendoff (1990), Kamp et Rossdeutscher (1994b), Yoon (1996), Dowty (2001), Corblin (2002)). Mais comme une ´eventualit´e v est ontologique-ment constitu´ee de ses participants, ces travaux traitent aussi indirecteontologique-ment de la question de savoir quelles parties de v doit aussi satisfaire P. Dans les deux sec-tions suivantes, j’esquisse une petite typologie des pr´edicats at´eliques `a partir de leurs propri´et´es distributives dans l’espace. Cette typologie est surtout descriptive et assez grossi`ere, mais les distinctions ainsi op´er´ees seront utiles dans la suite.

Les pr´edicats non distributifs dans l’espace

Je propose de dire qu’un pr´edicat P d´ecrivant un proc`es v est distributif dans l’espace (ou distributifesp) lorsque toutes les parties spatiales (propres) du proc`es v satisfont n´ecessairement P aussi. Lorsqu’au moins une partie spatiale (propre) de v satisfait aussi P, le pr´edicat est non quantis´eesp. Lorsqu’aucune des parties

spatiales (propres) de v ne satisfait P, le pr´edicat est quantis´eesp. Un pr´edicat non distributifesp peut donc ˆetre quantis´eesp ou non quantis´eesp.

Pr´edicats holistiquesesp. Les pr´edicats holistiquesespconstituent une premi`ere classe de pr´edicats non distributifsesp. Je propose d’appeler ainsi les pr´edicats tels que, pour toute entit´e x satisfaisant ce genre de pr´edicat P, alors il n’est pas n´ecessaire qu’une partie de x satisfasse P, quoiqu’il soit possible qu’une partie de x satisfasse P :12

(2.14) ∀P [HOL(P ) ↔ ∀x[P (x) → ¬2∃y[P (y) ∧ y < x] ∧

3∃y[P (y) ∧ y < x]]]

Les adjectifs lourd et grand sont holistiques sous la d´efinition (2.14). Si une table est grande, il est possible, mais pas n´ecessaire, qu’une partie propre de la table soit grande.

Les pr´edicats d’´etat ´evaluatifs comme beau, laid, ´el´egant etc., qui caract´e-risent un aspect esth´etique de l’entit´e, sont vraisemblablement aussi des pr´edicats holistiquesesp. En effet, une partie propre d’un objet beau peut aussi ˆetre belle. En outre, il n’est pas contradictoire de dire qu’un objet est beau, tout en disant qu’aucune de ses parties ne l’est. Il n’est donc pas n´ecessaire qu’une partie propre d’un objet beau soit belle :

(2.15) Ce bˆatiment est beau, et pourtant, aucune de ses parties ne l’est. (2.16) Ce tableau est laid, et pourtant, ses diff´erentes parties sont belles. Les pr´edicats dynamiques comptent ´egalement des pr´edicats holistiquesesp. C’est le cas, par exemple, du verbe entourer :13

(2.17) Les policiers ont entour´e la maison.

6→ Une partie des policiers a entour´e la maison.

Dans la classe des pr´edicats non distributifs, la classe des pr´edicats holistiquesesp

ne se confond pas avec la classe des pr´edicats non quantis´esesp. Sale est un exemple de pr´edicat non quantis´eesp et non holistiqueesp. Si une table est sale, alors il existe une partie de la table qui est sale (Sale est non quantis´e). En fait, il est mˆeme n´ecessaire qu’une partie de la table soit sale (sale est non holistiqueesp.) :

(2.18) #Cette table est sale, et pourtant, aucune de ses parties ne l’est. Corblin (2003) donne des exemples de pr´edicats verbaux que l’on peut ´egalement classer parmi les pr´edicats non distributifs, non quantis´esesp et non holistiquesesp : (2.19) Les ´etudiants ont tagu´e le hall.

→ Au moins une partie des ´etudiants ont tagu´e le hall. 6→ Tous les ´etudiants ont tagu´e le hall.

12Je suppose que les variables x et y peuvent prendre leur valeur dans le domaine des individus ou des proc`es.

13Entourer est class´e parmi les verbes dynamiques parce qu’il passe le test de la pseudo-cliv´ee et du progressif (cf. ce qu’ils font, c’est entourer la maison et ils sont en train d’entourer la maison).

(2.20) Les sovi´etiques ont envoy´e Gagarine dans l’espace.