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Les pr´edicats d’´etat en s´emantique (n´eo) davidsonienne

2.3. Les diff´erences entre les ´etats et les activit´es

2.3.1. La dur´ee intrins`eque

D´efinitions

Une des diff´erences souvent ´evoqu´ees est le degr´e avec lequel les pr´edicats sont distributifs dans le temps. Comme on l’a rappel´e plus haut, pr´edicats d’activit´e et

16Voir aussi Corblin (2002, 2003) sur l’interpr´etation du d´efini avec les pr´edicats partiels et totaux. Suivant Rotstein et Winter (2002), l’interpr´etation des adverbes slightly, completely, almost, nearly, etc. est ´egalement sensible `a la diff´erence entre pr´edicats partiels et totaux.

17C’est pour cela qu’elle n’analyse pas le verbe poss´eder comme un pr´edicat total, alors qu’il satisfait les autres crit`eres d´efinitoires : (( (. . .) if you own a house, you own all parts of the house. (. . .) This appears to qualify own a a total predicate with respect to the object argument. However, there does not seem to be a lexicalized partial counterpart of own which satisfies the definition [of partial predicates] (Yoon (1996), p. 225). A propos de l’exemple own, M. Dominicy fait cependant observer que certaines parties d’une maison ne sont pas poss´ed´ees par son propri´etaire : le compteur de gaz, d’´electricit´e, etc. Mais faut-il vraiment consid´erer ces objets comme faisant partie de la maison ?

d’´etat sont tous distributifstps si l’on ne consid`ere que des intervalles relativement (( ´epais )). Si Pierre a couru/ ´etait malade toute l’apr`es-midi, il a ´egalement couru/ ´et´e malade `a tout sous-intervalle suffisamment ´epais de l’apr`es-midi. Mais la diff´e-rence entre courir et malade est que si l’on envisage un intervalle temporel assez fin I de l’´ev´enement courir, il n’est plus vraiment possible de savoir si le sous-´ev´enement qui prend place en I satisfait le pr´edicat courir, plutˆot, par exemple, que le pr´edicat sauter ou marcher (Taylor (1977), Dowty (1979))). Un intervalle de temps minimum I doit ˆetre pris en consid´eration pour que le sous-´ev´enement qui a lieu en I puisse satisfaire le pr´edicat d’activit´e. Dans les termes de Dowty (1979), les pr´edicats d’activit´e sont des pr´edicats d’intervalle (interval predicates) :

Un pr´edicat P est un pr´edicat d’intervalle si la propri´et´e qu’il exprime ne peut pas ˆetre v´eridiquement pr´ediqu´ee d’un objet `a un instant (cette propri´et´e ne peut ˆetre v´eridiquement attribu´ee `a un individu seulement `a des intervalles plus grands que des instants.)18

Par exemple, Dowty et `a sa suite Zucchi classent le verbe move (bouger ) parmi les pr´edicats d’intervalle, (( since for an object to move it must occupy different positions at different times, and thus no object can be truly said to move at an instant )) (p. 354).

Suivant certains auteurs (p.e. Recanati et Recanati (1999)), c’est l`a que se trouve la cl´e de la diff´erence entre les ´etats et les activit´es, car seuls les pr´edicats d’activit´e seraient des pr´edicats d’intervalle (dans leurs termes, les activit´es ont une dur´ee intrins`eque au contraire des ´etats). En revanche, mˆeme si les ´etats durent g´en´eralement le temps d’un intervalle I plus grand qu’un instant, on peut dire, pour chaque instant t de cet intervalle, que cet ´etat a pris place en t. Un ´etat de rougeur peut ˆetre instantan´e, mais (( il ne saurait y avoir de marche instantan´ee )) (Recanati et Recanati (1999), p. 178). Dans leurs termes, les pr´edicats d’´etat seraient les seuls `a ˆetre (( micro-homog`enes )) (i.e. micro-distributifstps.).

Les pr´edicats d’intervalle ne sont pas toujours dynamiques

Il semble faux, cependant, que la notion de pr´edicat d’intervalle (ou de dur´ee in-trins`eque) permette de faire la distinction entre pr´edicats d’activit´e et pr´edicats d’´etat. S’il est vrai qu’un pr´edicat d’activit´e est toujours un pr´edicat d’intervalle, il est faux qu’un pr´edicat d’intervalle ne soit jamais statif.

Un premier contre-argument est fourni par Dowty (1979). Celui-ci observe que quelques pr´edicats d’´etat ne peuvent ˆetre attribu´es `a un proc`es que pour un certain intervalle de temps minimum. C’est le cas, par exemple, des verbes lie (reposer ) et wear (porter ). Supposons, par exemple, que l’on envisage un livre sur une table seulement le temps d’un instant. Dans cette situation, on n’est pas en mesure de dire que le livre repose plutˆot qu’il ne glisse sur la table. De mˆeme, imaginons qu’un chapeau tombe sur la tˆete de Pierre et que je voie une photo de celui-ci prise au moment o`u le chapeau lui a atterri sur la tˆete. Je puis croire erron´ement que Pierre porte un chapeau. Il semble donc qu’il ne peut y avoir port de chapeau

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Pr´edicats d’activit´e Pr´edicats d’´etat imaginer avoir envie de admirer ˆetre admiratif

ni repos sur une table instantan´es. Certains pr´edicats d’´etat sont donc aussi des pr´edicats d’intervalle.

On pourrait remettre en cause la validit´e de ce contre-argument de la mani`ere suivante, par la confusion qu’il op´ererait entre les niveaux ontologique et ´epist´e-mologique :

• Un pr´edicat est un pr´edicat d’intervalle si le proc`es qu’il d´enote ne peut pas avoir lieu instantan´ement (la restriction est de nature ontologique)

• Les exemples de lie et wear montrent non pas qu’un ´etat ne peut avoir lieu instantan´ement (la restriction n’est pas de nature ontologique), mais qu’on ne peut savoir que l’´etat a bien lieu si on ne le consid`ere qu’un instant (la restriction est de nature ´epist´emologique)19

Autrement dit, on peut admettre que tout ´etat peut ˆetre instantan´e (et donc qu’il n’y a pas de pr´edicats d’intervalle statifs) tout en reconnaissant qu’il faut plus d’un instant pour savoir si un ´etat de tel ou tel type a bien eu lieu.

Il y a cependant d’autres faits qui plaident contre l’id´ee que seuls les pr´edicats d’activit´e sont des pr´edicats d’intervalle, mˆeme sous une d´efinition strictement ontologique des pr´edicats d’intervalle. Partons des couples de pr´edicats psycholo-giques repris dans le tableau ci-dessus. Le classement est op´er´e sur base de deux autres tests cens´es distinguer les pr´edicats d’activit´e des pr´edicats d’´etat, illustr´es par les contrastes suivants :

(2.39) Jean est en train d’imaginer une choucroute. (2.40) ? ?Jean est en train d’avoir envie d’une choucroute. (2.41) Je suis en train d’admirer ton tableau.

(2.42) *Je suis en train d’ˆetre admiratif devant ton tableau. (2.43) Ce que j’ai fait, c’est imaginer une choucroute. (2.44) ? ?Ce que j’ai fait, c’est avoir envie d’une choucroute. (2.45) Admirer ton tableau, je l’ai d´ej`a fait.

(2.46) ? ?Etre admiratif devant ton tableau, je l’ai d´ej`a fait.

S’il est vrai que seuls les pr´edicats d’activit´e sont des pr´edicats d’intervalle, alors on serait oblig´e de dire d’un cˆot´e que Jean peut (( avoir envie d’une choucroute `a un instant t sans que cet ´etat dure et s’´etende sur un intervalle d´epassant t )) (Recanati et Recanati (1999), p. 173), mais d’un autre cˆot´e, on devrait dire qu’imaginer une choucroute prend n´ecessairement du temps `a Jean. C’est d’autant plus difficile qu’il semble, intuitivement, que pour avoir envie d’une choucroute, il faut l’imaginer,

19Soulignons que la d´efinition formelle des pr´edicats d’intervalle de Dowty ne fait interve-nir qu’un crit`ere ontologique, mˆeme si dans l’expos´e informel, Dowty fait aussi interveinterve-nir des consid´erations ´epist´emologiques.

plus autre chose.20

De mˆeme, il semble difficile de justifier l’id´ee qu’admirer un tableau prend n´ecessairement plus d’un instant, alors qu’ˆetre admiratif devant ce tableau pas.

Dans le d´etail, il n’est donc pas si ´evident que la notion de pr´edicat d’intervalle permette de faire le d´epart entre pr´edicats statifs et dynamiques.