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Les pr´edicats d’´etat d´epictifs et dans les subordonn´ees en quand

4.7. Distribution des pr´edicats d’´etat dans les subordonn´ees en quanden quand

4.7.2. Le probl`eme des pr´edicats d’´etat ilp

Le probl`eme qu’illustrent les donn´ees suivantes est de nature diff´erente, vu que les pr´edicats en jeu ne peuvent fonctionner comme des pr´edicats d’´etat endo-actionnel :

(4.211) #J’ai rencontr´e Pierre quand il ´etait albinos.

(4.212) #On a mang´e les carottes quand elles ´etaient biologiques.

(4.213) #Conoc´ı a Juan cuando era de buena familia. (Fern´andez (2005)) J’ai rencontr´e Jean quand il ´etait de bonne famille.

Hein¨am¨aki (1974) explique l’agrammaticalit´e de ces phrases de la mani`ere sui-vante : si le proc`es vq que d´ecrit la subordonn´ee temporelle doit situer l’´ev´enement vp que d´enote la phrase principale, alors il faut que le proc`es vq n’ait pas lieu `a chaque moment o`u vp pourrait prendre place ; sinon, vq ne pourrait pas situer vp. Donc, poursuit Hein¨am¨aki, il faut que l’individu d´enot´e par le sujet change effectivement d’´etat avant la fin de sa vie. C’est parce que ce changement doit ˆetre effectif qu’un ´enonc´e comme (4.214) n’est acceptable, sugg`ere Hein¨am¨aki, que si le locuteur sait qu’au moment de l’´enonciation, Pierre n’est plus mari´e :

(4.214) J’ai rencontr´e Pierre quand il ´etait mari´e.

Comme on le voit, l’explication est proche de celle par laquelle McNally (1993) rend compte de l’inacceptabilit´e des pr´edicats ilp dans les constructions `a d´epictif (cf. (4.151) repris ci-dessous) :

(4.151) #Pierre a bu un verre d’eau intelligentILP.

N´eanmoins, comme l’observe Hein¨am¨aki elle-mˆeme, cette hypoth`ese ne permet pas d’expliquer pourquoi les exemples suivants sont acceptables :

(4.215) Tom died when he was very young. (Hein¨am¨aki (1974), p. 48) (4.216) On a mang´e les carottes quand elles ´etaient crues.

De fait, l’individu que d´enote le sujet de la subordonn´ee a vraisemblablement ´et´e dans l’´etat que d´enote la subordonn´ee toute sa vie.

Je propose de r´egler le probl`eme de la mˆeme fa¸con que pour les d´epictifs, en disant que la subordonn´ee en quand a une valeur contrastive similaire `a celle des d´epictifs (cf. d´efinition 9). Ainsi, je dirais que pour que la subordonn´ee soit acceptable, il faut non pas que l’´etat v´erifiant le pr´edicat Q de cette subordonn´ee trouve sa borne droite avant la fin de la vie de l’individu x, mais plutˆot qu’il soit plausible que l’´ev´enement que d´ecrit la principale aurait pu avoir lieu alors que x ´etait dans un ´etat v´erifiant ¬Q. Ainsi, si (4.216) est acceptable, c’est parce qu’il aurait ´et´e possible, dans d’autres circonstances du monde actuel, qu’on mange les carottes cuites plutˆot que crues. De mˆeme, (4.214) est acceptable parce que dans d’autres circonstances du monde actuel, j’aurais pu rencontrer Pierre alors qu’il n’´etait pas encore mari´e. En revanche, si (4.211) est bizarre, c’est parce qu’il n’´etait pas vraiment possible, dans d’autres circonstances du monde actuel, que j’aie rencontr´e Pierre alors qu’il n’´etait pas albinos. Cette proposition va dans le mˆeme sens que celle de Fern´andez (2005), pour qui il suffit que le changement d’´etat soit virtuel.43

La tendance `a inf´erer qu’il y a eu changement d’´etat effectif en l’absence d’in-formation contraire peut alors s’expliquer comme la fa¸con la plus ´economique de satisfaire la valeur contrastive des phrases en quand.

43

L’analyse de Fern´andez (2005), beaucoup plus d´etaill´ee que celle qui est propos´ee ici, fait ´egalement le point sur le rˆole des adverbes encore et d´ej`a dans la subordonn´ee. Je ne m’attarderai pas sur ce probl`eme ici.

4.7.3. Le probl`eme des pr´edicats ´evaluatifs dans les constructions

pr´e-suppositionnelles

Comparaison avec le probl`eme des pr´edicats ´evaluatifs dans les GN d´efinis

Jusqu’`a pr´esent, je n’ai pas encore expliqu´e pourquoi un pr´edicat a d’autant plus de chances de soulever une difficult´e dans une subordonn´ee temporelle qu’il est ´evaluatif. Par exemple, intelligent et ´epoustouflant sont plus ´evaluatifs que blond et que gant´e de noir, respectivement.44

(4.218) a. Je l’ai pris en photo quand il ´etait fran¸cais/blond. b. ?Je l’ai pris en photo quand il ´etait intelligent/g´en´ereux. (4.219) a. Je l’ai aper¸cue quand elle ´etait gant´ee de noir.

b. ?Je l’ai aper¸cue quand elle ´etait ´epoustouflante.

Remarquons que dans les exemples (4.218b) ou (4.219b), il n’est pas plausible que l’action que d´ecrit la principale soit l’occasion pour l’´etat de se manifester (auquel cas le probl`eme serait similaire `a celui qu’illustraient les exemples (4.205) et (4.209)). De fait, il est peu probable, par exemple, que x ait l’occasion d’ˆetre intelligent ou g´en´ereux en ´etant pris en photo.

A propos des contrastes (4.218)-(4.219), il est frappant que Milner (1978) fasse un constat similaire `a propos d’une autre construction pr´esuppositionnelle, `a savoir les GN d´efinis. En effet, Milner observe que les adjectifs qu’il appelle valorisants, parmi lesquels ´epoustouflant, ne peuvent pas s’utiliser de mani`ere (( restrictive ou anaphorique )). Milner suppose implicitement que l’adjectif a cette valeur lors-qu’il fait partie d’un GN d´efini et lors-qu’il est postpos´e au nom. A l’appui de cette affirmation, Milner (1978) propose l’exemple (4.220) (mon jugement).45

(4.220) ?Je n’aime pas les romans abominables.

Le probl`eme semble cependant plus palpable lorsque l’interpr´etation g´en´erique du GN est moins accessible qu’en (4.220), et qu’il n’y a par ailleurs aucun lien entre le fait que l’entit´e d´esign´ee v´erifie le contenu nominal et le fait qu’il v´erifie le contenu verbal. En (4.220), il y en a potentiellement un : je peux ne pas aimer ces romans parce qu’ ils sont abominables. Mais en (4.221), l’interpr´etation g´en´erique est quasiment impossible, et il n’y a a priori pas de lien causal entre les contenus descriptifs du GN et du GV :

(4.221) ? ?Tiens, j’ai retrouv´e les romans abominables !

En anticipant un peu sur la suite, disons que lorsque l’adjectif utilis´e dans le GN d´efini d´enote une propri´et´e qui contribue `a expliquer pourquoi l’entit´e v´erifie la pr´edication verbale, comme c’est potentiellement le cas en (4.220), le GN d´efini

44

Un crit`ere ind´ependant qui permet de le montrer est que les premiers uniquement sont compl`etement naturels avec trouver que :

(4.217) Je trouve qu’il est intelligent/´epoustouflant/ ?blond/ ? ?gant´e de noir.

est d’usage explicatif.46 Lorsque l’adjectif est choisi uniquement pour isoler l’indi-vidu d´esign´e des autres membres de la classe N, disons que le GN a une fonction purement r´ef´erentielle.

Les adjectifs comme intelligent, dont Milner ne traite pas dans ce cadre, sou-l`event ´egalement des difficult´es lorsqu’ils font partie d’un GN d´efini d’usage r´ef´e-rentiel uniquement. Comparons, par exemple, (4.222) et (4.15) :

(4.222) Un homme entra dans le bar. Il ´etait blond. Un autre homme entra peu de temps apr`es lui. L’homme blond commanda une bi`ere. (4.15) Un homme entra dans le bar. C’´etait un homme intelligent, je le

connaissais bien. Un autre homme entra peu de temps apr`es lui. #L’homme intelligent commanda une bi`ere.

Un homme entra dans le bar. Il ´etait visiblement intelligent. Un autre homme entra peu de temps apr`es lui. #L’homme intelligent commanda une bi`ere.

Les ´enonc´es (4.15) sont plus marqu´es que l’´enonc´e (4.222). Mais l’acceptabilit´e de (4.15) augmente s’il est entendu que l’homme a command´e une bi`ere parce qu’ il est intelligent, interpr´etation qu’on peut imposer par le connecteur bien sˆur : (4.223) Un homme entra dans le bar. Il ´etait visiblement intelligent. Un

autre homme entra peu de temps apr`es lui. L’homme intelligent commanda bien sˆur une bi`ere.

A nouveau, la comparaison avec les subordonn´ees en quand est frappante. En effet, le pr´edicat ´evaluatif est meilleur dans ce genre de phrases s’il est plausible que la pr´edication ´evaluative (dans la subordonn´ee) explique la pr´edication de la principale. Ainsi, (4.224) est meilleur que (4.218b) repris ci-dessous :

(4.218b) ?Je l’ai pris en photo quand il ´etait intelligent/g´en´ereux. cf. #Je l’ai pris en photo parce qu’il ´etait intelligent.47

(4.224) Il m’a s´eduit quand il ´etait intelligent.

cf. OK Il m’a s´eduit parce qu’il ´etait intelligent.

En r´esum´e, s’opposant en cela aux pr´edicats factuels, les pr´edicats ´evaluatifs sont bizarres dans les GN d´efinis et dans les subordonn´ees en quand lorsque la relation causale intra-phrastique est peu plausible, et bien plus acceptables sinon. Comment rendre compte de ces contrastes ?

L’explication de Milner (1978)

Milner compare les adjectifs qu’il appelle (( valorisants )) ou (( affectifs )) aux noms de Qualit´e. Il rattache les comportements d´eviants de ces adjectifs dans les GN d´e-finis `a ce qu’il appelle leur valeur non classifiante. Les adjectifs valorisants (qu’on propose d’appeler ici (( adjectifs de Qualit´e ))) ne peuvent, selon Milner, d´efinir une classe d’objets `a l’instar d’un adjectif factuel comme rouge, parce que la classe sup-pos´ee ne peut pas exister ind´ependamment de l’acte d’´enonciation. Il n’existe pas

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Plus bas, je compare ces GN d´efinis que je propose d’appeler explicatifs et les GN `a lecture attributive de Donnellan (1966). Je ne vais pas reprendre cette seconde ´etiquette ici, parce que g´en´eralement, on oppose les GN `a lecture attributive et les GN `a lecture r´ef´erentielle. Or, ce que j’appelle un GN d´efini explicatif peut tr`es bien avoir une lecture r´ef´erentielle (cf. infra).

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un ensemble des individus stupides comme il existe un ensemble d’objets rouges. Selon Milner, la classe d’individus stupides ne peut se d´efinir ind´ependamment d’un acte de langage (la louange ou le blˆame). Les individus stupides, ce sont ceux `a qui les locuteurs disent qu’ils sont stupides.48 Un autre trait distinctif des pr´edi-cats non classifiants (mis `a part leur incapacit´e `a d´efinir une classe d’objets), c’est qu’ils ne s’opposent pas clairement aux autres pr´edicats proches par le sens. Par exemple, dit Milner, de mˆeme qu’on ne voit pas clairement la diff´erence s´eman-tique entre imb´ecile, cr´etin ou idiot, plus ou moins interchangeables ; de mˆeme, (( d’abominable `a affreux, de divin `a extraordinaire, il n’y a ni diff´erence mesurable, ni synonymie positive )) (id., p. 301). Les pr´edicats classifiants, au contraire, sont (( pris dans un r´eseau d’opposition )) (p. 303), (( s’oppose[nt] `a d’autres )).

Dans cette optique, si les pr´edicats ´evaluatifs sont curieux dans les GN d´efinis, c’est surtout parce qu’un adjectif d’un GN d´efini est restrictif, c’est-`a-dire oppose, dans un certain contexte, le ou les N d’une certaine classe (par exemple l’homme ou les hommes intelligent(s)) aux N de la classe compl´ementaire (par exemple l’homme ou les hommes pas intelligent(s)). Les adjectifs ´evaluatifs seraient inca-pables d’effectuer ce travail classifiant, parce qu’ils sont incainca-pables de d´enoter une classe d’entit´es.

Le premier probl`eme de cette analyse, qu’on ne discutera pas en d´etails ici, c’est qu’il est concevable que les pr´edicats ´evaluatifs d´enotent une propri´et´e, et donc une classe d’individus, comme les autres.49 Le deuxi`eme probl`eme, c’est qu’on ne voit pas clairement en quoi les adjectifs de Qualit´e ne satisfont pas les autres pro-pri´et´es attribu´ees par Milner aux pr´edicats classifiants ((( s’opposer `a d’autres )), (( ˆetre pris dans un r´eseau d’oppositions ))). Est-ce que cela veut dire que les ad-jectifs de Qualit´e (r´eput´es non classifiants) n’ont pas d’antonymes ? Abominable ne s’oppose-t-il pourtant pas `a adorable, d´elicieux, charmant ? Quel est le crit`ere permettant d’´etablir que ces antonymes ne sont pas pertinents pour la d´efinition ? Le nombre limit´e d’antonymes (grand versus petit) ? L’existence de connexions fortes en m´emoire entre les pr´edicats antonymes ? Sans disposer de ces crit`eres, il est difficile d’´etablir, ind´ependamment des tests propos´es, que seuls les adjectifs factuels ont des antonymes, et donc sont classifiants.50

Enfin, le troisi`eme probl`eme, qui ne se pose que pour nous, est qu’on aime-rait disposer d’une explication qui rende compte des probl`emes que soul`event les

48(( Les idiots, ce sont ceux `a qui l’on dit : ”tu es idiot” (ou ”quel idiot !”) )) (Milner (1978), p. 296), (( Il n’y a pas de classe bien d´efinie dont les membres auraient la propri´et´e d’ˆetre ”´epoustouflants”, ”divins”, etc. [. . .] la seule propri´et´e commune qu’on puisse leur reconnaˆıtre, c’est qu’on dise `a leur ´egard ”c’est ´epoustouflant”, ”c’est divin”, etc. )) (id., p. 299).

49Comme je l’ai annonc´e dans l’introduction, cette question, qui a une longue histoire en ´ethique, est abord´ee dans le chapitre (7).

50

Une enquˆete aupr`es de quelques psycholinguistes travaillant sur les adjectifs laisse penser que l’id´ee qu’un adjectif comme rouge active ses antonymes avec plus de force en m´emoire qu’un adjectif comme ´epoustouflant n’a jamais fait l’objet de recherches. Julie Sedivy, qui a consacr´e plusieurs travaux `a la valeur contrastive des adjectifs (voir e.a. Sedivy (2002, 2003)), m’a signal´e qu’elle ne connaissait aucun travail sur la question. Mais elle partageait ´evidemment l’intuition qu’un adjectif comme blanc active davantage noir en m´emoire que ´epoustouflant n’active ses antonymes. Cela dit, il ne s’agit vraisemblablement pas l`a de l’intuition que veut saisir Milner, puisqu’il consid`ere qu’un adjectif comme grand (( s’oppose `a d’autres )) lorsqu’il est factuel, mais ne peut plus (( s’opposer `a un antonyme )) lorsqu’il est utilis´e comme adjectif de Qualit´e (p. 303). Il est difficile, `a mon sens, de justifier cette distinction, d’autant que petit s’oppose ´egalement `a grand lorsque celui-ci est valorisant.

pr´edicats ´evaluatifs dans les GN d´efinis et dans les subordonn´ees en quand. Or, l’analyse de Milner ne dit rien de l’inacceptabilit´e des pr´edicats ´evaluatifs dans les phrases en quand.

L’explication de Corblin (1987)

Corblin (1987) ne traite pas directement du probl`eme des adjectifs de Qualit´e dans les GN d´efinis, mais aborde un probl`eme comparable, `a savoir celui des noms de Qualit´e dans ces mˆemes GN. L’observation de Corblin est que sauf cas particu-lier, les noms de Qualit´e entrent assez mal dans les GN d´efinis, alors que les GN d´emonstratifs les accueillent tr`es facilement :51

(4.225) (Pierrei est venu hier). Depuis que ma sœur est amoureuse de cet imb´ecilei, il vient souvent.

(4.14) #(Pierrei est venu hier). Depuis que ma sœur est amoureuse de l’imb´ecilei, il vient souvent. (Corblin (1987), p. 230)

(4.226) Un imb´ecile vient de publier un livre sur l’´energie. Quand cet imb´ecile pr´esentera son livre, tu pourras l’interroger.

(4.227) # Un imb´ecile vient de publier un livre sur l’´energie. Quand l’imb´ecile pr´esentera son livre, tu pourras l’interroger. (Corblin (1987), p. 226)

Ces contrastes se retrouvant ais´ement avec un GN compos´e d’un Nom modifi´e par un adjectif de Qualit´e (cf. (4.228)-(4.229) ci-dessous), on peut supposer que l’expli-cation par laquelle Corblin rend compte des contrastes (4.225)-(4.227) s’applique aussi aux donn´ees qui nous occupent ici.

(4.228) Marie s’approcha du bar. Cette femme abominable commanda une bi`ere.

(4.229) Marie s’approcha du bar. #La femme abominable commanda une bi`ere.

Pour exposer l’explication de Corblin, il faut d’abord exposer bri`evement la ma-ni`ere dont il distingue le d´emonstratif du d´efini (voir p. 197 et sq.). On reviendra ensuite aux pr´edicats de Qualit´e, nominaux ou adjectivaux.

D´emonstratif versus d´efini (Corblin). Le d´efini et le d´emonstratif sont tous deux des d´esignateurs, c’est-`a-dire imposent qu’un r´ef´erent soit identifi´e ind´ependamment de la pr´edication verbale. Mais Corblin montre que le N et ce N se distinguent par le rˆole qu’ils attribuent au contenu nominal N dans l’op´eration d’identification.

Sauf exception, au d´efini, le contenu du GN doit jouer un rˆole crucial pour d´eterminer ce qui est d´esign´e. Au d´emonstratif, en revanche, le designatum est identifi´e non pas par le contenu nominal, mais par une mention ant´erieure ou par un acte d’ostension dans le contexte imm´ediat (p. 208). On pourrait dire que le d´emonstratif est (( plus paresseux )) que le d´efini, en ce sens qu’il laisse le contexte faire le travail d’identification. Mais `a quoi sert, alors, le contenu nominal du d´e-monstratif ? Avant tout, propose Corblin, `a donner une nouvelle (re-)classification

51Corblin ne signale pas le probl`eme par un marqueur d’agrammaticalit´e ; le di`ese est ajout´e par moi, ainsi que dans d’autres exemples ci-dessous.

du r´ef´erent ainsi d´ej`a rep´er´e en contexte. En ce sens, le d´emonstratif op`ere toujours une nouvelle saisie de l’objet (p. 223), qui se trouve (( consid´er´e dans un nouvel ensemble )) (Damourette et Pichon, cit´es p. 223).

Cette caract´erisation permet d’expliquer plusieurs diff´erences dans la distribu-tion du d´emonstratif et du d´efini. Premi`erement, elle rend compte du fait intrigant que contrairement au d´efini (cf. (4.230)), le d´emonstratif est ressenti comme bi-zarre dans une l´egende de tableau (cf. (4.231), exemples de Corblin (1987), p. 201) :

(4.230) Le phare d’Ouessant. (4.231) Ce phare dans la brume.

De fait, dans ce contexte, il n’y a pas d’acte d’ostension ou de premi`ere mention pr´ealable qui pourrait avoir accompli le travail d’identification `a la place du d´e-monstratif. On observe d’ailleurs que le probl`eme disparaˆıt si l’artiste renvoyait `a la l´egende du tableau pr´ec´edent comme `a une premi`ere mention :

(4.232) Un phare dans la brume. [l´egende d’un premier tableau] Ce phare dans la brume `a nouveau. [l´egende d’un second tableau] Deuxi`emement, l’analyse expos´ee permet d’expliquer pourquoi le d´efini ne permet pas aussi bien que le d´emonstratif de requalifier l’objet pr´ec´edemment mentionn´e (d’en op´erer une nouvelle saisie).

(4.233) (Pierre dormit sur le plancheri.) Jean avait refus´e de s’´etendre sur ce liti.

(4.234) #(Pierre dormit sur le plancheri.) Jean avait refus´e de s’´etendre sur le liti. (Corblin (1987), p. 232)

En effet, le lit, en tant que GN d´efini, impose que le designatum soit identifiable en contexte comme un lit (cf. supra). Or, en contexte, l’entit´e n’a pas ´et´e identifi´ee comme telle, mais seulement comme un plancher. En revanche, le d´emonstratif est sp´ecialis´e dans ces emplois (re-)qualifiants, puisque par d´efinition, il op`ere une nouvelle classification du r´ef´erent.

Les noms de Qualit´e au d´efini. Revenons alors `a la question de savoir pourquoi les noms ou adjectifs de Qualit´e posent g´en´eralement probl`eme au d´efini, et non au d´emonstratif (cf. exemples (4.225)-(4.229)). Corblin part de la pr´emisse ci-dessous (voir pp. 226 et sq. e.a.) :52

D´efinition 11 (Faible valeur identifiante des pr´edicats de Qualit´e (Corblin)) Les pr´e-dicats de Qualit´e ´etant associ´es au jugement propre du locuteur, ils sont peu aptes `a identifier, et privil´egient une utilisation qualifiante.

Concr`etement, la d´efinition (11) pr´edit qu’il est difficile de se servir des pr´edicats cr´etin ou abominable pour isoler un individu dans un surensemble, puisque que l’auditoire n’est pas cens´e savoir qui, dans le surensemble, v´erifie cette propri´et´e,

52Rappelons que Corblin ne traite explicitement que des GN avec noms de Qualit´e (l’imb´ecile). Mais comme sa solution s’applique sans difficult´e au GN comprenant un adjectif de Qualit´e (la femme abominable), j’´etends ici sa proposition `a tous les pr´edicats de Qualit´e (adjectifs ou noms).

l’identit´e de cet individu variant avec l’opinion du locuteur.53

A partir de cette pr´emisse et de la caract´erisation du d´efini et du d´emons-tratif expos´ee ci-dessus, Corblin peut expliquer les contrastes (4.225)-(4.229). En tant que d´esignateurs, d´emonstratif et d´efini contraignent l’interpr´etant `a iden-tifier le r´ef´erent ind´ependamment de la pr´edication verbale. Vu (11), lorsque le contenu nominal contient un pr´edicat de Qualit´e, il ne peut ˆetre d’aucune aide pour cette op´eration. Mais cela ne soul`eve aucune difficult´e au d´emonstratif, puisque de toutes fa¸cons, le d´emonstratif impose que l’identification op`ere ind´ependamment du contenu nominal. De l`a l’acceptabilit´e de (4.225), (4.226), et (4.228). En re-vanche, un probl`eme surgit au d´efini puisque, pour bien faire, il faut se servir du contenu nominal pour l’op´eration d’identification. Si c’est un pr´edicat de Qualit´e qui est investi de cette charge, un probl`eme va ´emerger, ´etant donn´e la faible va-leur identifiante des pr´edicats de Qualit´e. Par exemple, si (4.236) ci-dessous est bizarre, c’est parce qu’il faudrait distinguer la femme dont il est question dans l’ensemble contextuel `a l’aide du pr´edicat abominable :

(4.235) Deux femmes entr`erent dans le bar. La femme rousse commanda une bi`ere.

(4.236) Deux femmes entr`erent dans le bar. #La femme abominable commanda une bi`ere.

Cela dit, mˆeme si le designatum est clairement identifiable – parce que, par