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Les pr´edicats d’´etat d´epictifs et dans les subordonn´ees en quand

4.3. Propri´et´es s´emantiques des d´epictifs

4.3.2. Crit`ere 3 : la simultan´eit´e

Plusieurs auteurs s’accordent `a dire que le proc`es qu’exprime le d´epictif doit avoir lieu en mˆeme temps que celui qu’exprime le pr´edicat principal. C’est ce qu’on a appel´e plus haut la Condition de Simultan´eit´e.

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Seules les phrases non g´en´eriques sont concern´ees par ce crit`ere : (4.49) Marie boit son caf´e chaud. (phrase g´en´erique)

6→ Marie boit son caf´e.

S’il n’y a pas d’entailment, c’est parce que les phrases `a pr´edicat second g´en´eriques ´equivalent `

a une conditionnelle : (4.49) ´equivaut `a (( {quand/ si} Marie boit son caf´e, il est {g´en´erale-ment/toujours} chaud. Et il n’y a pas d’entailment entre une phrase conditionnelle Si P, Q et sa protase P.

Schultze-Berndt et Himmelmann (2004) ne donnent pas vraiment d’argument empirique pour appuyer cette relation temporelle. Mais McNally (1993) en fournit un (ainsi que Rothstein (2004), cf. infra).

(4.53) Max put on the shirt unbuttoned. #When he was finished putting it on, it was fully buttoned. (McNally (1993))

Max a mis sa chemise non boutonn´ee. Quand il a eu fini de la mettre, elle ´etait tout `a fait boutonn´ee.

Suivant McNally, le discours (4.53) est ou bien contradictoire, ou bien acceptable dans un contexte magique o`u la chemise est instantan´ement boutonn´ee au moment mˆeme o`u culmine l’´ev´enement. Ces jugements s’expliquent si, comme McNally le suppose, l’´etat s que d´ecrit le pr´edicat second doit prendre place durant toute la dur´ee de l’´ev´enement e que d´ecrit le verbe principal.

Je ne suis pas d’accord avec ces jugements. A mon sens, pour rendre l’´enonc´e (4.53) acceptable, il suffit qu’il y ait simultan´eit´e entre l’´etat s et une premi`ere phase de l’´ev´enement e. Il se peut que s s’arrˆete avant la fin de e. Par exemple, cette phrase me semble acceptable si Max est clown et r´eussit `a boutonner sa chemise pendant qu’il la met. Mais s ne peut pas commencer apr`es que ne commence e (en (4.53), la chemise ne peut pas ˆetre boutonn´ee au moment o`u Max commence `a la mettre).

McNally donne en note un contre-exemple `a son hypoth`ese (cf. (4.54)), qui confirme encore que s ne doit pas prendre place toute la dur´ee de e. Geuder (2004) en donne un autre du mˆeme genre :

(4.54) We cooked the meat frozen.

(4.55) They dissected the frog alive. (Geuder (2004), p. 139)

Reformulons donc la Condition de Simultan´eit´e de mani`ere `a rendre compte de ces contre-exemples :

D´efinition 7 (Condition de simultan´eit´e (d´epictif) Supposons que v1 est le proc`es d´enot´e par le pr´edicat principal et v2 le proc`es d´enot´e par le pr´edicat second, il existe alors v’1 une partie initiale (propre ou non) quelconque de v1, telle que τ (v2)=τ (v’1)

L’exemple (4.54) satisfait la d´efinition (7), puisque la viande ´etait certainement surgel´ee durant la premi`ere partie de la pr´eparation.

A cause de cette restriction temporelle, le proc`es v1 que d´enote le pr´edicat principal ne peut pas causer1 (classiquement) le proc`es v2 que d´enote le pr´edicat second. En effet, si c’´etait le cas, alors le proc`es caus´e v2 commencerait apr`es v1, ce qu’interdit (7).

Cette impossibilit´e peut s’observer lorsque le d´epictif contient un verbe, comme dans les phrases suivantes :9

(4.56) Je l’ai retrouv´e qui ennuyait son fr`ere. (4.57) Je l’ai retrouv´e qui me photographiait. (4.58) #Je l’ai retrouv´e qui m’ennuyait.

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Sur les relatives comme pr´edicat second, voir Furukawa (2000) et Lambrecht (2000) entre autres. Ha¨ık (1985) analyse aussi comme une sorte de pr´edicat second la relative modifiant l’objet d’un verbe de perception (Je le vois qui perd tout son sang (rapport´e par Labelle (1996)).

(4.59) #Je l’ai retrouv´e qui me frappait.

Le probl`eme des phrases (4.58)-(4.59) peut s’expliquer comme suit. Il est invrai-semblable que x commence `a ennuyer ou `a frapper y `a l’instant mˆeme o`u y re-trouve x, et encore moins avant cela. Plutˆot, on suppose par d´efaut qu’une relation causale1 prend place entre la rencontre et le changement d’´etat psychologique. Or, l’´ev´enement caus´e1 ne peut commencer exactement en mˆeme temps que l’´ev´ene-ment causant1. La Condition de Simultan´eit´e associ´ee `a ce genre de constructions est donc viol´ee dans ce type d’exemples. En revanche, (4.56) et (4.57) sont ac-ceptables, parce qu’on n’y suppose pas qu’une relation causale1 prend place entre l’´ev´enement que d´ecrit le verbe principal et celui que d´ecrit la relative. Il est donc possible que ces deux ´ev´enements aient lieu simultan´ement.

Ce type de donn´ees se retrouvent avec un infinitif enchˆass´e sous voir, ce qui sugg`ere que la Condition de Simultan´eit´e vaut aussi pour ces constructions. (4.60) Hier, je l’ai vu ennuyer son fr`ere.

(4.61) Hier, je l’ai vu me photographier. (4.62) #Hier, je l’ai vu m’ennuyer.

L’´enonc´e (4.62) pose le mˆeme probl`eme que (4.58).10

Cette condition est int´eressante parce qu’elle permet de distinguer clairement les d´epictifs de plusieurs autres constituants similaires.

Premi`erement, comme j’y ai d´ej`a fait allusion au d´ebut du chapitre, elle les distingue des pr´edicats seconds r´esultatifs (Rothstein (2001, 2004)), qu’on trouve dans les exemples suivants.

(4.63) Je l’ai faite moche.

(4.2) Il nous a cr´e´es intelligents et libres, disent-ils.

Ces ´enonc´es diff`erent des pr´ec´edents parce que l’´etat que d´enote l’adjectif r´esulte du processus que d´enote le verbe principal. La Condition de simultan´eit´e ne carac-t´erise ´evidemment pas ces pr´edicats, car un ´etat r´esultant s ne prend place qu’`a la fin de l’´ev´enement qui a caus´e s.

La Condition de Simultan´eit´e distingue ´egalement les pr´edicats seconds des-criptifs des adjectifs ´epith`etes (attribute modifiers en anglais) (cf. Schultze-Berndt et Himmelmann (2004), Rothstein (2004), pp. 63 et sv.).11 En effet, l’´etat qu’ex-prime l’adjectif ´epith`ete ne doit pas n´ecessairement ˆetre v´erifi´e lors du proc`es qu’exprime le verbe. En anglais, la diff´erence entre pr´edicat second et adjectif

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Bien sˆur, l’´enonc´e Je l’ai vu m’ennuyer peut devenir parfait si l’on suppose que le r´ef´erent du sujet du verbe principal voit son double en train d’ˆetre ennuy´e par y. Mais pr´ecis´ement, sous cette interpr´etation, on n’est plus oblig´e de supposer que la perception et donc la rencontre avec y cause le changement d’´etat psychologique. Donc il redevient possible que les deux ´ev´enements prennent place simultan´ement.

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Les attribute modifiers anglais ne doivent pas ˆetre confondus avec les adjectifs attributs fran¸cais. En fran¸cais, la notion d’adjectif attribut a une histoire embrouill´ee. Goes (1999) fait le point dans sa section 3.41. La premi`ere grammaire scolaire r´eserve le terme d’attribut aux adjectifs introduits par ˆetre ou au groupe constitu´e des deux. D`es lors, un probl`eme surgit lorsque d’autres verbes — paraˆıtre, sembler, devenir — sont suivis d’un adjectif qui s’accorde avec le sujet, et qui r´epond aussi `a la question Qui ? Quoi ? La seconde grammaire scolaire pr´esentera la solution actuelle : elle r´ecup`ere les termes d’´epith`ete (terme rh´etorique) et d’attribut (terme logique) pour en faire des fonctions. L’attribut deviendra une fonction postverbale ; il y aura donc des attributs apr`es ˆetre, paraˆıtre, sembler, devenir.

´epith`ete est syntaxiquement visible, puisque seul le pr´edicat ´epith`ete peut ˆetre pr´enominal :12

(4.64) I met the drunk man again, but this time he was sober. (Rothstein (2004), p. 63)

J’ai de nouveau rencontr´e l’homme saoulae, mais cette fois il n’´etait pas ivre.

(4.65) #I met the man drunk again, but this time he was sober.

J’ai de nouveau rencontr´e l’homme saoulps, mais cette fois il n’´etait pas ivre.

Lorsque saoul est adjectif ´epith`ete (ae), la phrase est appropri´ee dans un contexte o`u l’homme dont il est question n’est pas ivre. Lorsque saoul est pr´edicat second (ps), cette lecture est rigoureusement impossible.13

De mani`ere peut-ˆetre plus surprenante, la Condition de Simultan´eit´e permet ´egalement de distinguer les d´epictifs du type de constructions adjectivales qu’on trouve en (4.67) :

(4.66) Je le vois mort. (4.67) Je le vois, mort.

Il faut souligner que certains auteurs, comme Cadiot et Furukawa (2000), consi-d`erent que les adjectifs d´etach´es (cf.(4.67)) rel`event aussi de la pr´edication se-conde.14 Pourtant, il n’est pas si clair que l’´etat s que d´enote un adjectif ainsi prosodiquement d´etach´e du verbe principal doive prendre place au moment mˆeme o`u se d´eroule la premi`ere phase du proc`es e que d´enote ce verbe. Supposons par exemple que (4.66) ou (4.67) soit ´enonc´e par le locuteur — mettons Pierre — alors qu’il aper¸coit un frelon qu’il cherche `a tuer avec une bombe insecticide. En (4.66), il semble clair que le frelon doit d´ej`a ˆetre mort au moment o`u Pierre le voit. En (4.67), en revanche, les choses sont diff´erentes. Cet ´enonc´e semble ´egalement appropri´e si Pierre voit le frelon, et puis, au moment correspondant `a la pause pho-nologique, asperge le frelon d’insectide : (( Je le vois [Pchhht], mort )). Cela montre

12Comme me le rappelle M. Dominicy, il existe des ´epith`etes postnominales en anglais, mais elles ne sont pas pertinentes ici.

13La distinction entre les d´epictifs et les adjectifs ´epith`etes se refl`ete aussi formellement : seule l’´epith`ete fait partie du GN. La syntaxe du pr´edicat second est plus complexe et plus contro-vers´ee. Elle est plus complexe parce que le pr´edicat second est impliqu´e dans deux relations syntaxiques diff´erentes (voir Schultze-Berndt et Himmelmann (2004), section 2.7). La premi`ere est une relation d’ajout entre le pr´edicat second et le pr´edicat principal. La seconde est une relation pr´edicative entre le pr´edicat second et ce que Schultze-Berndt et Himmelmann (2004) appellent le (( contrˆoleur )), c’est-`a-dire le participant qui v´erifie la propri´et´e. Plusieurs analyses ont ´et´e propos´ees pour rendre compte du statut syntaxique particulier des pr´edicats seconds, expos´ees en d´etails par Schultze-Berndt et Himmelmann (2004). En r´esum´e, une premi`ere posi-tion est celle que d´efendent Chomsky, Stowell ou Hoekstra, suivant laquelle le pr´edicat second est repr´esent´e comme une proposition s´epar´ee subordonn´ee avec une cat´egorie vide pro pour sujet, contrˆol´ee par un argument de la proposition principale. Dans d’autres analyses, le pr´edicat second est analys´e comme un simple ajout (voir p.e. Rothstein (2001)), et la relation pr´edicative qui le relie au contrˆoleur peut ˆetre simplement rendue par co-indexation. Structuralement, les premiers analysent les pr´edicats seconds comme des constituants d’une proposition, et les tenants de la seconde comme des constituants du GV.

14Section 4.1.1.1 Schultze-Berndt et Himmelmann (2004) citent trois autres auteurs qui ana-lysent les adjectifs non restrictifs (en g´en´eral prosodiquement d´etach´es) comme des pr´edicats seconds.

que ce type d’´enonc´es peut ˆetre v´erifi´e mˆeme si l’´etat s commence seulement apr`es la premi`ere phase de l’´ev´enement e. Pour l’exemple suivant, supposons qu’Anne scrute l’arriv´ee de Marie par la fenˆetre et produit l’un des ´enonc´es ci-dessous au moment de l’apercevoir de loin :

(4.68) Je l’ai aper¸cue souriante. (4.69) Je l’ai aper¸cue, souriante.

Il apparaˆıt que seul (4.68) impose, pour ˆetre vrai, que Marie soit d´ej`a en train de sourire au moment o`u Anne l’aper¸coit. En (4.69), il se peut qu’Anne ne commence `a sourire que lorsqu’elle comprend qu’elle est reconnue par Marie `a la fenˆetre (et donc ne souriait pas encore au moment o`u Anne la voit).

Si ces donn´ees sont correctement interpr´et´ees, cela veut dire que les adjectifs prosodiquement d´etach´es que l’on trouve en (4.67) et (4.69) ne rel`event pas de la pr´edication seconde descriptive, puisqu’ils ne sont pas associ´es `a la Condition de Simultan´eit´e.

La question est alors de savoir comment analyser ce genre de constituant. En fait, si l’on remplace la virgule par un point, celui-ci forme clairement une phrase averbale :

(4.70) Je le vois. Mort.

Et si l’on y r´efl´echit, il est difficile de trouver des diff´erences autres que graphiques entre le constituant d´etach´e par une virgule et le constituant ´equivalent s´epar´e par un point. On peut faire l’hypoth`ese, d`es lors, que l’adjectif d´etach´e apr`es une virgule forme lui aussi une phrase averbale, se d´emarquant ainsi du pr´edicat second, qui fait clairement partie, lui, de la mˆeme phrase que le verbe principal. Schultze-Berndt et Himmelmann (2004) fournissent un autre argument qui va dans la mˆeme direction, pr´esent´e dans la section suivante.