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Les pr´edicats d’´etat d´epictifs et dans les subordonn´ees en quand

4.2. Etat de la question

McNally (1993) admet, avec Rapoport, que les slp peuvent toujours entrer dans les constructions `a pr´edicat second descriptif. Mais elle rejette l’explication s´e-mantique bas´ee sur la pr´esence d’un argument davidsonien dans la repr´esenta-tion s´emantique des slp uniquement. Par ailleurs, elle observe correctement que certains ilp peuvent aussi entrer dans ces constructions `a l’int´erieur de certains contextes. Par exemple, (4.17), qui contient un ilp, est, (( sinon compl`etement ac-ceptable )), meilleur que (4.16) ; et (4.18), qui contient ´egalement un ilp, est tout `a fait grammatical.

(4.16) ? ?Fleisher played the piano talented. (McNally (1993)) ? ?Fleisher a jou´e du piano dou´e.

(4.17) Bill has been playing the saxophone for years on Pacific Avenue. His secret wish has always been to play the saxophone like John Coltrane, but as everyone knows, he’s got no talent whatsoever. Yet miracles do happen : the ghost of John Coltrane appeared before him last night and for a small price offered to endow him with that famous inspiration and skill. And today, Bill is playing the saxophone talented. (id.)

Bill a jou´e du saxophone pendant des ann´ees sur la Pacific Avenue. Son d´esir secret a toujours ´et´e de jouer comme John Coltrane, mais comme chacun sait, il n’a aucun talent. Cependant, les miracles arrivent parfois : le fantˆome de John Coltrane lui est apparu la nuit derni`ere, et lui a offert de le doter pour un petit prix de l’inspiration et du talent qui ont faire sa gloire. Et aujourd’hui, Bill joue du saxophone dou´e.

(4.18) The neighbor’s girls entered the Army enthusiastic advocates of U.S. interventionism. (id.)

Les filles du voisin ont incorpor´e l’arm´ee de terre ferventes avocates de l’interventionnisme am´ericain.

D’apr`es McNally, le probl`eme des ilp en pr´edication seconde descriptive est es-sentiellement de nature pragmatique. Pour en rendre compte, elle abandonne l’hy-poth`ese s´emantique de Kratzer et de Rapoport e.a., suivant laquelle seuls les slp ont un argument d’´etat, et part de la red´efinition que propose Condoravdi (1992).

D´efinition 6 (D´efinition des ilp/slp (Condoravdi)) Au contraire des SLP, les ILP sont associ´es `a une inf´erence de persistance temporelle. Cette inf´erence sp´ecifie la chose suivante : si un proc`es prend cours au temps t et que vous ne disposez pas d’une information suivant laquelle ce proc`es ne va pas perdurer `a un temps ult´erieur t’,

alors inf´erez qu’il perdure en t’. Il ne s’agit l`a que d’une inf´erence par d´efaut, qui ne fait surface qu’en l’absence d’information contraire.4

McNally suppose en outre que l’inf´erence vaut aussi `a gauche, c’est-`a-dire que par d´efaut, on inf`ere que le proc`es perdure depuis le d´ebut de la vie de l’individu.

L’hypoth`ese cl´e de McNally est que le pr´edicat second descriptif fonctionne dans la construction `a l’instar d’un modifieur temporel, qui doit situer le moment o`u a lieu le proc`es que d´ecrit le verbe principal. Le d´epictif est ainsi comparable `a une phrase en quand :

(4.19) Le soleil s’est couch´e sale.

≃ Le soleil s’est couch´e quand il ´etait sale.

Emerge alors un probl`eme pragmatique lorsque la pr´edication adjectivale est sup-pos´ee ˆetre v´erifi´ee `a tout moment de la vie de l’individu. En effet, il est trivial qu’une action de x ait lieu pendant la dur´ee de vie de x. L’adjectif remplit alors assez mal son rˆole d’ancrage temporel. McNally propose ainsi de voir un lien entre l’agrammaticalit´e de (4.16) et celle des phrases comme (4.20) et (4.21), o`u la pr´edication adjectivale sert ouvertement `a situer temporellement la pr´edication verbale :

(4.20) ? ?When Fleisher was intelligent, he played the piano. (McNally (1993))

Quand Fleisher ´etait intelligent, il a jou´e du piano.

(4.21) ? ?When Fleisher played the piano, he was intelligent. (id.) Quand Fleisher a jou´e du piano, il ´etait intelligent.5

En revanche, si (4.18) et `a la rigueur (4.17) sont bons, c’est parce que le contexte d´efait pr´ecis´ement l’inf´erence par d´efaut associ´ee aux pr´edicats dou´e ou avocate de l’interventionnisme : il est clair en (4.17) que Bill n’a pas toujours ´et´e dou´e et en (4.18), on inf`ere que les filles du voisin ne sont pas rest´ees ferventes avocates de l’interventionnisme apr`es leur entr´ee dans l’arm´ee (ou qu’elles ne l’avaient pas toujours ´et´e avant). Le d´epictif peut donc de nouveau jouer son rˆole de modifieur temporel parce que le contexte ´etablit clairement que la propri´et´e n’est pas v´erifi´ee `a tout moment de la vie de l’individu.

L’analyse de McNally est tr`es int´eressante, notamment parce qu’elle lie l’ac-ceptabilit´e de l’adjectif dans les constructions `a pr´edicat second descriptif `a ce qui se passe dans les phrases en quand, direction qu’on va suivre plus bas.

4(Condoravdi (1992), p.9, cit´ee par McNally, je traduis).

5En r´ealit´e, dans la litt´erature sur les phrases en quand, on suppose g´en´eralement que le proc`es que d´enote la subordonn´ee temporelle situe temporellement le proc`es que d´enote la principale, mais pas l’inverse, comme le sugg`ere McNally elle-mˆeme en comparant les pr´edications secondes aussi bien avec les subordonn´ees temporelles (cf. (4.20)) qu’avec les phrases principales accueillant une subordonn´ee temporelle (cf. (4.21)). Cependant, l’assimilation op´er´ee par McNally se justifie tout de mˆeme lorsque la principale d´ecrit un ´etat beaucoup plus long que le proc`es que d´ecrit la subordonn´ee. En effet, il semble alors correct de dire que le premier proc`es situe le second (et que donc la principale ancre temporellement la subordonn´ee plutˆot que l’inverse, comme c’est habituellement le cas). Ainsi, dans un ´enonc´e comme J’´etais tr`es jeune quand ils ont construit ce pont, il semble que ce soit la principale qui situe temporellement la subordonn´ee, et non l’inverse. Sur ces subordonn´ees temporelles en quand (( inverses )), voir e.a. Olsson (1971), Borillo (1988), Le Draoulec (1997), Vogeleer (1998).

Mais elle laisse plusieurs probl`emes ouverts. Premi`erement, je ne vois pas tr`es bien comment McNally peut rendre compte des exemples du type suivant, tout `a fait acceptables, comme elle l’observe elle-mˆeme :

(4.22) My dad was born compulsive and will die compulsive. (McNally (1993))

Mon p`ere est n´e compulsif et mourra compulsif. (4.23) My dad was born talented and will die talented.

Mon p`ere est n´e dou´e et mourra dou´e.

La situation temporelle est exactement la mˆeme qu’en (4.16) (par d´efaut, il est suppos´e que l’individu est rest´e toute sa vie dans l’´etat que d´enote le pr´edicat). Suivant l’analyse de McNally, on s’attendrait `a ce que le d´epictif pose les mˆemes probl`emes qu’en (4.20).

Le deuxi`eme probl`eme, qui n’est pas propre `a cette analyse, c’est qu’elle ne rend pas compte du fait que, toutes choses ´egales par ailleurs, les pr´edicats ´evaluatifs sont moins bons dans les constructions `a d´epictif que les pr´edicats factuels : (4.24) Je l’ai rencontr´ee rousse. Il a toujours ´et´e rousse.

(4.25) ? ?Je l’ai rencontr´ee g´en´ereuse. Il a toujours ´et´e g´en´ereuse.

A priori, dans le contexte de ces ´enonc´es, tous ces pr´edicats satisfont de la mˆeme mani`ere la d´efinition 6 des ilp, et devraient donc soulever la mˆeme anomalie prag-matique.

Le troisi`eme probl`eme de cette analyse, c’est que la corr´elation sugg´er´ee entre l’agrammaticalit´e des phrases avec subordonn´ees en quand et celles des construc-tions `a pr´edicat second n’est pas toujours v´erifi´ee. Mˆeme si les adjectifs qui font de mauvais d´epictifs posent effectivement probl`eme dans la subordonn´ee en quand, ils sont parfois bons dans la principale qui accueille cette subordonn´ee temporelle. Cela sugg`ere que le probl`eme que posent les pr´edicats comme intelligent en (4.20) et (4.21) est peut-ˆetre de nature diff´erente.

Par exemple, contrairement `a intelligent, clever et arrogant sont acceptables dans la phrase principale, mais inacceptables `a l’instar de intelligent dans la su-bordonn´ee en quand.

(4.26) ? ?Fleisher moved the piano clever.

(4.27) ? ?Fleisher moved the piano when he was clever. (4.28) Fleisher was clever, when he moved the piano. (4.29) ? ?He talked to me arrogant.

(4.30) ? ?He talked to me when he was arrogant. (4.31) He was arrogant, when he talked to me.

Il ne semble donc y avoir une corr´elation syst´ematique qu’entre l’inacceptabilit´e du d´epictif et l’inacceptabilit´e de la phrase en quand correspondante. Les donn´ees sont globalement les mˆemes en fran¸cais :

(4.32) ? ?Il m’a parl´e arrogant.

(4.33) ? ?Il m’a parl´e quand il ´etait arrogant. (4.34) Il ´etait arrogant, quand il m’a parl´e.

Le quatri`eme probl`eme li´e `a cette approche, c’est qu’elle ne rend pas explicitement compte de la raison pour laquelle certains verbes, comme naˆıtre, mourir, entrer dans, sortir de. . . acceptent, sans contexte particulier, les ilp les plus r´ecalcitrants, alors que les verbes d’action, comme jouer ou manger, exigent un contexte assez complexe, comme celui qu’invente McNally en (4.17), pour que ces mˆemes pr´edi-cats deviennent plus ou moins acceptables (comparer (4.17) et (4.18) ainsi que les phrases ci-dessous) :

(4.35) Il est n´e dou´e.

(4.36) Il est entr´e en prison honnˆete. (4.37) ? ?Il a jou´e du piano dou´e.

(4.38) ? ?Il me l’a vendu malhonnˆete, sa moto.

(4.39) ( ?)Depuis hier, il est dou´e. Donc s’il a jou´e du piano aujourd’hui, alors il a jou´e du piano dou´e.

(4.40) ( ?)Il est vraiment devenu malhonnˆete depuis qu’il fricote avec Jean-Charles. Donc s’il t’a vendu sa moto hier, alors il te l’a vendue malhonnˆete.

Le cinqui`eme probl`eme est que certains pr´edicats qui peuvent sans conteste fonc-tionner comme slp ne sont pas acceptables dans les constructions `a pr´edicat se-cond :

(4.41) ? ? Ils ont jou´e dans le jardin bruyants. ? ?They played in the garden noisy.

Cela signifie qu’il est faux que les slp soient toujours bons en pr´edication seconde descriptive, comme le supposent Rapoport et McNally parmi d’autres.

La th`ese d´efendue ici repose sur la pr´emisse que le probl`eme que soul`event les pr´edicats d’´etat dans les constructions ´etudi´ees peut ˆetre de deux natures diff´e-rentes.

1. – D’une part, je propose de voir une source commune au probl`eme que sou-l`eve (4.41), et `a la difficult´e qu’illustrent les exemples comme celui qu’on trouve en (4.42) ou en (4.43) sous la lecture occurrentielle du pr´edicat. Rappelons qu’au chapitre (3), on a vu que les pr´edicats comme intelligent peuvent tr`es bien d´enoter un ´etat occurrentiel.

(4.42) ? ?Il a r´epondu aux questions intelligentSLP. (4.43) ? ?Il m’a vendu sa moto honnˆeteSLP

L’id´ee est que la difficult´e qu’illustrent les ´enonc´es (4.42) et (4.41) est de nature s´emantique – de l`a les points d’interrogation – et tient au fait que les adjectifs en cause sont des pr´edicats d’´etat endo-actionnel, c’est-`a-dire d´enotent un ´etat qui se manifeste `a travers une action (cf. chapitre (3)). Bien souvent, l’action d´eno-t´ee par le verbe est identifi´ee avec l’action dont d´epend l’´etat. Par exemple, en (4.43), l’interpr´etant identifie par d´efaut la vente de la moto comme l’´ev´enement `a travers lequel l’entit´e sujet a manifest´e son honnˆetet´e. Or, selon l’hypoth`ese d´e-velopp´ee section 4.4.1, les constructions `a pr´edicat second descriptif ne tol`erent pas ce genre de relations entre les deux proc`es. La relation probl´ematique que ces pr´edicats tendent `a instaurer peut ˆetre une relation causale1, c’est-`a-dire telle que l’´ev´enement caus´e commence avant l’´ev´enement causant (cf. Il m’a pouss´e, et

je suis tomb´e), ou une relation causale2, c’est-`a-dire une g´en´eration (( `a la Gold-man )), qui s’instaure entre deux proc`es prenant place exactement en mˆeme temps (cf. en levant la main, il m’a fait signe).

2.– Ind´eniablement, les pr´edicats comme intelligent ou g´en´ereux peuvent aussi s’interpr´eter comme des ilp au sens de la d´efinition (6). Dans la section (4.4.3), je montre qu’en modifiant l´eg`erement la solution pragmatique de McNally, il est possible de rendre compte des contre-exemples expos´es plus haut.