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Pr´edicats d’´etat et Relations rh´etoriques

5.2. Les descriptions statives dans les th´eories du discours

5.2.2. Elaboration entre descriptions d’´etat

Pr´evot (2004) mod´elise les descriptions d’itin´eraire dialogu´es dans le cadre de la sdrt. Voici un extrait du corpus ´etudi´e :

(5.28) A1 [Tu continues], et donc `a un moment euh y’a la place des Carmes.

qui va ˆetre sur la droite.

A2 c’est un march´e couvert avec un parking au-dessus.

B. ouais ouais ouais je vois o`u c’est, c’est bon. (Pr´evot (2004), p. 196.)7

Ce genre de descriptions d’itin´eraires combinent les descriptions de rep`ere (qui correspondent au (( fond ))) et les s´equences d’instructions (qui correspondent `a la (( figure ))).

Visiblement, les deux phrases statives en italiques dans l’exemple reproduit n’ont pas la mˆeme fonction discursive. Suivant Pr´evot, elles servent de termes `a deux relations rh´etoriques de types distincts. Lorsque la phrase stative introduit un rep`ere comme en (5.28A1), c’est la relation Arri`ere-Plan qui est ´etablie entre la phrase stative et l’´enonc´e ant´erieur ((( tu continues ))). Cela est conforme `a la d´efinition de base de Arri`ere-Plan en sdrt, qui veut que cette relation soit s´elec-tionn´ee par d´efaut entre une description d’´ev´enement et une description d’´etat. En revanche, lorsque le rep`ere, d´ej`a introduit, est d´ecrit davantage comme en (5.28A2), Pr´evot suppose que la seconde phrase stative ´elabore la premi`ere (5.28A2 sert de terme `a la relation Elaboration et non `a la relation Arri`ere-Plan). La phrase en ita-liques dans le discours suivant est un autre exemple de phrase stative ´elaborante : (5.29) Pierre arriva sur une place. Il y avait une ruelle dans un coin. Elle

´etait ´etroite et pav´ee. (Pr´evot (2004), p. 192)

Cette id´ee est nouvelle parce que, traditionnellement, la sdrt ne traite que des cas o`u Elaboration s’instaure entre deux descriptions d’´ev´enement. Mais l’id´ee de Pr´e-vot est que les propri´et´es d´efinitoires de Elaboration se retrouvent aussi bien lorsque cette relation a pour termes des phrases statives. Les propri´et´es cl´es d’Elaboration sont reprises ci-dessous :

7

D´efinition 15 (Relation Elaboration)

Elaboration (Si, Sj) → Partie-de (vj, vi) Partie-de (vj, vi) → vj ⊑ vi

Si Elaboration (Si, Sj) prend place, alors Sj d´ecrit de mani`ere plus d´etaill´ee une certaine partie vj de vi

Les exemples bien connus du type (5.30) et (5.31), qui remontent `a Kamp, sont des exemples typiques d’Elaboration :

(5.30) Jean a fait un bon repas. Il a mang´e du saumon, puis du mouton, et enfin un sabayon maison.

(5.31) Pedro dined at Madame Gilbert’s. First there was an hors d’oeuvre. Then the fish. . .(Polanyi et Scha (1984), p. 417)

En sdrt, cette relation implique donc que le proc`es principal de la phrase (( ´ela-borante )) (Sj) soit une partie du proc`es d´ecrit par la phrase (( ´elabor´ee )) (Si). D’apr`es Pr´evot (p. 192), certaines versions de la sdrt imposent que vj soit une partie propre de vi, mais d’autres supposent qu’il peut aussi y avoir Elaboration lorsque vj est une partie non propre de vi.8 C’est cette seconde possibilit´e qui permet `a Pr´evot d’analyser (5.28A2) comme un exemple de phrase ´elaborante, car l’´etat que d´ecrit ˆetre un march´e couvert avec une place au-dessus n’est certaine-ment pas une partie propre de l’´etat que d´ecrit ˆetre la place des Carmes.9

5.2.3. Commentaire

La relation Commentaire est – assez laconiquement – d´efinie dans Asher (1993) (p. 301). Ensuite, Asher traite essentiellement de cette relation `a travers des exemples.10Cette relation lie un ´enonc´e d´ecrivant un certain proc`es vi et un ´enonc´e d´ecrivant (ou implicitant) le commentaire d’un agent sur ce proc`es. Asher sugg`ere qu’elle est typiquement d´eclench´ee en pr´esence de pr´edicats ´evaluatifs (cf. 5.32)),11

ou d’un verbe d’attitude propositionnelle comme croire (cf. 5.33) : (5.32) Human life expectancy gets longer and longer.

At first glance this seems like good news. (p. 340) Commentaire

(5.33) One plaintiff claimed that he had never received his full pay. [. . .] The jury didn’t believe it. (p. 338)

Commentaire

Un plaignant d´eclara qu’il n’avait jamais re¸cu l’int´egralit´e de son salaire. [. . .] Le jury ne le crut pas/ ne le croyait pas.

8Je n’ai pas trouv´e d’analyses en sdrt qui d´efinissent Elaboration de cette mani`ere. Mais suivant Kamp et Rossdeutscher (1994a) (p. 170), par exemple, Elaboration prend place lorsque Sj d´ecrit le mˆeme ´ev´enement que Si, et donc lorsque vj est une partie non propre de vi (tout ´ev´enement ´etant une partie non propre de lui-mˆeme).

9

Etre la place des Carmes n’est pas exactement le VP qui est utilis´e dans le dialogue, mais ce d´etail peut ˆetre n´eglig´e ici.

10

Voir p. 320, 332-333, 338-343, 346-347.

11(( (. . .) evaluative terminology good news [in (5.32)] suggests that [Sj] is related to [Si] (. . .) by the discourse relation Commentary. )) (Asher (1993))

Il faut souligner d’embl´ee que la possibilit´e d’avoir un imparfait dans la traduction fran¸caise du Commentaire de (5.33) (cf. ne le croyait pas) remet en question la r`egle qui veut que Arri`ere-Plan soit ´etablie par d´efaut entre une description d’´ev´enement et une description d’´etat. Il faudrait plutˆot dire qu’est ´etabli par d´efaut Arri`ere-Plan ou Commentaire, et mieux distinguer leurs s´emantiques respectives.

Comme le souligne Pr´evot, la relation Commentaire a une s´emantique complexe et n’est pas facile `a d´etecter. Le fait qu’Asher h´esite, dans plusieurs exemples, entre Commentaire et d’autres relations, comme R´esultat (`a propos de (5.34) et (5.35)) ou Arri`ere-Plan (cf. p. 353 note 25), sugg`ere qu’il serait peut-ˆetre utile de cerner mieux les propri´et´es distinctives de Commentaire.

(5.34) One plaintiff claimed that he had never received his full pay. (. . .) The jury listened politely. (Asher (1993), p. 338)

(5.35) The Ashers were predictably short of groceries the day of the party. (. . .) Because of this, the committee made sure that the Ashers never gave a party for the Society again. (id., p. 346)

Il est important de souligner que sous le label Commentaire sont rassembl´es des commentaires de nature tr`es diff´erente, `a savoir ceux qui rapportent

• une r´eaction (psychologique) d’un agent `a un proc`es dont l’existence est assert´ee par l’´enonc´e (cf. (5.34), (5.35), (5.33))

• une r´eaction (psychologique) `a un acte de langage r´ealis´e `a travers l’´enonc´e. C’est vraisemblablement le cas en (5.32), ou en (5.36) (l’´enonc´e instaurant la relation Commentaire est en italiques, cf. Pr´evot (2004) `a qui l’exemple est emprunt´e) :

(5.36) A. Tu traverses la rue de Metz l`a. B. ouais.

A. hop hop hop tu continues Esquirol tout droit. A. y’a le Classico.

B. Euh.

A. t’as pas l’air branch´ee trop bar.

En (5.36) et (5.32), le commentaire est m´etadiscursif (c’est une partie du discours lui-mˆeme qui est comment´ee), alors qu’en (5.34), le commentaire est intra-discursif (c’est une partie du contenu du discours qui est comment´ee).

Ici, je ne traiterai que de la relation Commentaire qui a pour terme un commen-taire intra-discursif. Je me propose d’aborder deux points pr´ecis de cette relation, et d’en donner ensuite une red´efinition libre `a laquelle je me tiendrai.

Propri´et´es temporelles de Commentaire. Je vais d’abord distinguer mieux les pro-pri´et´es temporelles de Commentaire et d’Arri`ere-Plan.

Dans certains cas, l’´evaluation ou l’attitude psychologique vψ d´ecrite par Sj

pr´eexiste par rapport `a l’´ev´enement d´ecrit par Si (cf. (5.37)) : (5.37) Pierrei arriva. Tout le monde lei d´etestait. Dans d’autres, vψ ne pr´ec`ede pas vi (cf.(5.38)) :

On a alors `a ce que j’ai appel´e plus haut (section 3.4.3) l’imparfait2. Cet ´etat vψ ne peut pas pr´eexister `a l’´ev´enement ei s’il r´esulte de la r´eaction de l’Exp´erienceur `a ei, ce qui est clairement le cas en (5.38).

Intuitivement, dans le premier cas de figure, il semble qu’on ait affaire `a une relation qui ressemble `a Arri`ere-Plan1. En anticipant un peu sur la suite, on peut confirmer que la relation rh´etorique n’est pas la mˆeme dans les deux cas `a l’aide du contraste suivant :

(5.39) Pierre arriva. Ah ! J’oublie le contexte : Tout le monde le d´etestait. (5.40) # Pierre exhiba son dernier chapeaui. Ah ! J’oublie le contexte :

Tout le monde lei d´etestait.

Une des hypoth`eses propos´ees ici et qui se verra encore d´evelopp´ee plus bas, c’est que pour que Ah ! J’oublie le contexte ! puisse pr´efixer l’´enonc´e sans probl`eme, il faut que celui-ci instaure Arri`ere-Plan avec l’´enonc´e pr´ec´edent. Si c’est correct, alors l’acceptabilit´e de (5.39) confirme que (5.37) instaure Arri`ere-Plan entre ses deux parties. En revanche, la bizarrerie de (5.40) sugg`ere au contraire que (5.38) n’instaure pas cette relation.

Ecartons donc l’id´ee (parfois avanc´ee par Asher) que la pr´esence d’un pr´edicat psychologique est un indice suffisant pour ´etablir la relation Commentaire. Certes, cela arrive, mais ce n’est pas toujours le cas. Il faudra mieux d´efinir les circons-tances o`u cela se passe.

Il semble que lorsque Asher mentionne la relation Commentaire, il ait en vue le second genre d’exemples (ex. (5.38)) plutˆot que le premier. Dans l’exemple (5.38), le commentaire que rapporte l’´enonc´e naˆıt d’une r´eaction `a l’´ev´enement que d´ecrit la phrase qui sert de premier terme `a la relation. L’´ev´enement e qui fait l’objet de commentaires est donc aussi la cause de ces commentaires.

R´eaction psychologique implicite ou explicite. On pourrait ˆetre tent´e de distinguer ces deux relations rh´etoriques tr`es proches de la mani`ere suivante : Commentaire prend place lorsque l’´etat sj commence apr`es vi (comme en (5.38), o`u tout le monde commence `a d´etester le chapeau apr`es que Pierre l’a exhib´e), et Arri`ere-Plan s’instaure lorsque l’´etat sj commence avant vi (comme en (5.37), o`u tout le monde d´eteste d´ej`a Pierre avant que celui-ci n’arrive). Mais il arrive que s’instaure la relation Commentaire, alors que l’´etat d´enot´e avait d´ej`a lieu avant vi . Comparons, par exemple, les ´enonc´es (5.38) et (5.41) :

(5.38) Pierre exhiba son dernier chapeaui. Tout le monde lei d´etestait. (5.41) Pierre exhiba son dernier chapeaui. Ili ´etait beau.

Intuitivement, la relation discursive qui s’instaure entre les deux parties de l’´enonc´e (5.41) ressemble bien plus `a celle observ´ee en (5.38) qu’`a celle qui s’instaure en (5.37). Dans l’un et l’autre cas, on comprend que la phrase stative exprime une r´eaction `a l’exhibition du chapeau. Et pourtant, au plan temporel, (5.41) s’aligne sur (5.37), puisque le chapeau est d´ej`a beau avant que Pierre ne l’exhibe.

Si on a malgr´e tout l’impression qu’en (5.41), Il ´etait beau (( commente )) l’´enonc´e pr´ec´edent, c’est, `a mon sens, parce que la phrase stative implicite l’occur-rence d’une perception (x vit que le chapeau ´etait beau), provoqu´ee par vi. Plus bas (section (7.5.3)), je vais en effet montrer, dans le sillon de Vogeleer (1994b,a), que les pr´edicats d’´etats ´evaluatifs implicitent l’existence d’une perception directe de