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Typologie temporelle et aspectuelle des ´etats

3.3. Typologie aspectuelle : ´etats (( purs )) versus (( ´etats endo-actionnels ))endo-actionnels ))

3.3.3. Pr´edicats d’´etat endo-actionnel de type 2 : bruyant S

Les adjectifs bruyantS et bavardS d´ecrivent ´egalement un ´etat qui ne peut se manifester qu’au cours d’une action. Il n’est pas possible d’ˆetre occurrentiellement bavard sans communiquer, o`u d’ˆetre occurrentiellement bruyant sans rien faire : (3.125) Elle m’a t´el´ephon´e hier. Elle ´etait/ a ´et´e bavardeS.

A nouveau, on interpr`ete par d´efaut l’´etat d´ecrit en Sj comme ´etant simultan´e `a l’´ev´enement d´ecrit en Si, aussi bien lorsque Sj est `a l’imparfait qu’au pass´e compos´e. Mais ces adjectifs n’en sont pas moins diff´erents des pr´edicats d’´etat endo-actionnel de type 1.

Premi`erement, on a vu plus haut qu’ils sont syst´ematiquement acceptables `a l’imparfait, contrairement aux pr´edicats comme g´en´ereuxS qui sont souvent meilleurs au pass´e compos´e.

Deuxi`emement, ils ne peuvent pas prendre pour compl´ement une infinitive in-troduite par de et d´ecrivant l’action manifestant l’´etat :

(3.125) a. Elle m’a t´el´ephon´e hier. Elle ´etait bavardeS. b. *Elle ´etait bavarde de me t´el´ephoner.

Type 1 Type 2 g´en´ereux bruyant gentil bavard juste volubile bˆete soporifique cruel logorrh´eique courageux cinglant audacieux adroit

Tab. 3.7 – Pr´edicats d’´etatS endo-actionnel

b. *Ils ´etaient bruyants de jouer dans le jardin.

Du coup, ces adjectifs ne manifestent pas l’ambigu¨ıt´e qui caract´erise les pr´edicats d’´etat endo-actionnel de type 1 :

(3.127) Les enfants jouaient dans le jardin. Ils ´etaient bruyantsS. i. *Ils ´etaients bruyants de jouer dans le jardin.

≃ # Jouer dans le jardin ´etait bruyant. (lecture 1)

ii. Ils ´etaient bruyantsS dans la mani`ere dont ils jouaient dans le jardin. (lecture 2)

Le tableau (3.7) oppose quelques exemples de chaque classe.

N´eanmoins, les adjectifs comme bruyantS d´enotent, `a l’instar de g´en´ereuxS, un ´etat g´en´er´e par une action. Comme l’illustrent les ´enonc´es suivants, ils r´eussissent tous les tests diagnostiquant la pr´esence d’une g´en´eration :

Test 1

(3.128) In playing in the garden, John was noisy En jouant dans le jardin, John ´etait bruyant.17

Test 2

(1.147) Jouant dans la cour, Pierre ´etait bruyantS. Test 3

(3.130) ?Marie ´etait bruyanteS tout en jouant dans la cour. Test 4

(3.131) Pierre a jou´e dans la cour. Il ´etait bruyantS.

≃ Pierre ´etait bruyantS parce qu’il a jou´e dans la cour.

La repr´esentation s´emantique de l’´enonc´e (3.126), expos´ee ci-dessous, donne un exemple de ce qui est propos´e.

17C.Pi˜n´on me dit que ces exemples sont bien meilleurs lorsque le fait d’accomplir l’action d´ecrite dans la in-construction entraˆıne n´ecessairement l’occurrence de l’´etat d´enot´e dans la principale. Par exemple, la phrase suivante est selon lui bien meilleure que (3.128) :

(3.129) In shouting in the garden, John was noisyS.

(3.132)

e, s Jouer(e)

Agent(e, Les enfants) Dans(e, Le jardin) Bruyant(s)

Th`eme(Les enfants, s) τ (e)=τ (s)

G´en`ere(e, s)

Les trois classes de pr´edicats d’´etat en jeu viennent de se voir distingu´ees dans les grandes lignes. Dans la section suivante, je montre en quoi il est pr´ef´erable d’analyser les adjectifs du type g´en´ereux et bruyant comme des pr´edicats d’´etat endo-actionnel plutˆot que comme des pr´edicats d’action. Puis je rends compte des diff´erences entre ces deux types de pr´edicats d’´etat endo-actionnel pour ce qui touche `a leurs structures argumentales respectives.

3.3.4. Contre la r´eanalyse des pr´edicats d’´etat endo-actionnel

comme des pr´edicats d’action

Une analyse concurrente `a celle qui est propos´ee ici consiste `a dire que les pr´e-dicats comme g´en´ereuxS ou bruyantS d´enotent une action, et non pas un ´etat se manifestant lors d’une action. Une phrase comme Il a ´et´e g´en´ereuxS voudrait plutˆot dire Il a agi g´en´ereusement. Dans cette perspective, (3.118) pourrait ˆetre r´eanalys´e comme en (3.135) :18

(3.118) Pierre a donn´e des bonbons `a Jean. Il a ´et´e g´en´ereux.

(3.135)

e, e’

Donner des bonbons(e) Agent(e, Pierre)

B´en´eficiaire(e, Jean) Agir(e’)

G´en´ereux(e’) G´en`ere(e,e’)

On a vu dans la section (2.3.6) que, suivant Zucchi (1998), les phrases au pro-gressif actif contenant les pr´edicats anglais qui traduisent g´en´ereux ou bruyant — He was being noisy/ generous — sont s´emantiquement ´equivalentes `a une phrase contenant le verbe act modifi´e par l’adverbe d´eriv´e de ces adjectifs — He was acting in a noisy/ generous way.

18

L’id´ee que l’action de donner des bonbons g´en`ere l’action d’agir g´en´ereusement est appuy´ee e.a. par les donn´ees suivantes :

(3.133) Donnant des bonbons, Pierre a agi g´en´ereusement. (3.134) By/in giving candies, Pierre acted in a generous way.

Dans cette section, je pr´esente plusieurs arguments contre l’id´ee que Il a ´et´e g´en´ereux/ he was generous veut dire Il a agi g´en´ereusement/ He acted in a gene-rous way. Remarquons que cela ne contredit pas la th`ese de Zucchi sur le progressif actif. En effet, il n’est pas contradictoire de dire que He was being generous d´enote une action, alors que la phrase stative He was generousS d´enote un ´etat occurren-tiel.19 Un premier argument que l’on pourrait avancer en faveur de l’id´ee que ˆetre g´en´ereuxS est un pr´edicat d’action et non d’´etat est que ce genre de pr´edicat entre dans les constructions pseudo-cliv´ees. Or, seuls les pr´edicats agentifs sont suppos´es entrer dans ces constructions :20

(3.136) Ce qu’il a fait, c’est ˆetre g´en´ereux. (3.137) Ce qu’il a fait, c’est ˆetre arrogant.

On peut r´efuter cet argument comme suit. Tout d’abord, il se peut tr`es bien que les pseudo-cliv´ees soient compatibles aussi bien avec les pr´edicats qui pr´esupposent une action, comme c’est `a mon sens le cas de ˆetre g´en´ereuxS (cf. infra), qu’avec les pr´edicats qui d´enotent une action.21 Ensuite, on observe qu’en fran¸cais, tous les pr´edicats d’´etat endo-actionnel ne sont pas acceptables avec les pseudo-cliv´ees. En particulier, les pr´edicats d’´etat endo-actionnel de type 2 semblent syst´emati-quement refuser cette construction :

(3.140) ? ?Ce qu’il a fait, c’est ˆetre bruyant. (3.141) ? ?Ce qu’il a fait, c’est ˆetre bavard. (3.142) ? ?Ce qu’il a fait, c’est ˆetre adroit.

Un autre argument contre l’id´ee que ˆetre g´en´ereuxS veut dire agir g´en´ereuse-ment est que cette r´eanalyse pr´edit, contre les faits, que les phrases suivantes sont contradictoires :

(3.143) Pierre a r´epondu gentiment. Mais en fait, il a ´et´e/ ´etait tr`es m´echant [en agissant].

(3.144) Pierre a agi g´en´ereusement. Mais en fait, il n’´etait pas g´en´ereux [en agissant].

(3.145) Pierre a agi de mani`ere cruelle, c’est vrai. Mais il n’´etait pas vraiment cruel [en agissant].

Si l’on admet, en revanche, que ces pr´edicats d´enotent non pas une action, mais une qualit´e instanci´ee durant l’action, on peut ais´ement expliquer pourquoi ces phrases ne sont pas impossibles : il est tr`es fr´equent d’agir non conform´ement aux qualit´es qui nous caract´erisent pendant l’action.

Un troisi`eme probl`eme potentiel pour l’id´ee que ˆetre g´en´ereuxS veut dire agir g´en´ereusement est qu’un agent qui effectue une action d’une mani`ere P ne peut pas ˆetre syst´ematiquement dit P :

19

Soulignons que la phrase He was being generous se traduira plutˆot par Il se montrait g´en´ereux que par Il ´etait g´en´ereux en fran¸cais.

20

Le test des pseudo-cliv´ees remonte au moins `a Dowty (1979).

21

Cela expliquerait, entre autres, que les verbes d’ach`evement entrent dans les pseudo-cliv´ees : (3.138) Ce qu’il a fait, c’est atteindre le sommet.

(3.139) Ce qu’il a fait, c’est gagner la course.

En effet, ces verbes d’ach`evement d´enotent un ´ev´enement instantan´e (qui ne peut donc constituer une action), mais pr´esupposent l’action dont cet ´ev´enement instantan´e est la fronti`ere. Sur la d´enotation et la pr´esupposition des verbes d’ach`evement, voir chapitre (8).

(3.146) Pierre a refait son lit de mani`ere ´el´egante. (3.147) # Pierre a refait son lit. Il a ´et´e/ ´etait ´el´egant. (3.148) Marie a ´el´egamment recousu le bord.

(3.149) # Marie a recousu le bord. Elle a ´et´e/ ´etait ´el´egante.

Certes, les tenants de cette approche pourraient rejeter ce contre-argument en disant que la th`ese suivant laquelle ˆetre P veut dire agir de mani`ere P est ind´e-pendante de la th`ese suivant laquelle agir de mani`ere P veut dire ˆetre P. Mais ils devraient tout de mˆeme pouvoir rendre compte de cette absence d’´equivalence.

En revanche, il est facile d’expliquer ce qui se passe si l’on suppose comme ici que ces adjectifs d´enotent un ´etat : un individu qui accomplit une action ´el´egam-ment n’est pas n´ecessaire´el´egam-ment dans un ´etat d’´el´egance.

Un troisi`eme probl`eme que soul`eve la r´eanalyse de ˆetre bruyant en agir bruyam-ment est que ces adjectifs ne sont pas vraibruyam-ment capables de faire avancer l’ac-tion dans une narral’ac-tion. Il faudrait l’expliquer si, vraiment, ils d´enotent l’acl’ac-tion, puisque c’est l`a une des propri´et´es sp´ecifiques par laquelle les pr´edicats d’action se distinguent des pr´edicats d’´etat (cf. Polanyi et Scha (1984), (Asher et Lascarides (2003)) e.a.) :

(3.150) Marie est entr´ee dans le salon. Elle a fum´e une cigarette. Puis elle a fait du bruit. Ensuite elle est sortie.

(3.151) # Marie est entr´ee dans le salon. Elle a fum´e une cigarette. Puis elle a ´et´e bruyante. Ensuite elle est sortie.

(3.152) Marie est entr´ee dans le salon. Elle a allum´e la t´el´evision. Puis elle a fait deux trois choses nerveusement. Ensuite elle est sortie. (3.153) # Marie est entr´ee dans le salon. Elle a allum´e la t´el´evision. Puis

elle a ´et´e nerveuse. Ensuite elle est sortie.

(3.154) Aujourd’hui, on a ´et´e au parc, puis on a ´et´e manger, puis on a bavard´e.

(3.155) # Aujourd’hui, on a ´et´e au parc, puis on a ´et´e manger, puis on a ´et´e bavards.