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Typologie temporelle et aspectuelle des ´etats

3.3. Typologie aspectuelle : ´etats (( purs )) versus (( ´etats endo-actionnels ))endo-actionnels ))

3.3.5. Pr´esupposition des pr´edicats d’´etat endo-actionnel

Admettons donc que les pr´edicats d’´etat endo-actionnel expriment un ´etat dans lequel un individu ne peut se retrouver de mani`ere occurrentielle qu’`a condi-tion d’ˆetre impliqu´e dans une certaine accondi-tion.

Comment rendre cette contrainte dans la s´emantique de ces pr´edicats ? L’id´ee propos´ee est la suivante : les pr´edicats d’´etat endo-actionnel d´enotent un ´etat s, et pr´esupposent l’occurrence d’une action e qui g´en`ere s.

Avant de montrer comment cette id´ee peut se rendre dans la repr´esentation s´e-mantique de ces pr´edicats, examinons les arguments en sa faveur. Ceux-ci diff`erent un peu suivant que le pr´edicat d’´etat endo-actionnel re¸coit l’une ou l’autre lecture possible (ˆetre g´en´ereux de faire x ou dans la mani`ere de faire x ). La premi`ere n’est accessible qu’aux pr´edicats comme ˆetre g´en´ereux ; les pr´edicats comme bruyant ne sont donc pas concern´es par ces arguments.

Valeur pr´esuppositionnelle de g´en´ereuxS (premi`ere lecture)

Un premier argument concerne les descriptions d’´etatS qui ne disent rien et ne laissent rien deviner de l’action `a travers laquelle l’´etat prend place, comme in-telligent ou g´en´ereux. Ces adjectifs sont des pr´edicats (( interpr´etatifs )) tels que ceux-ci ont ´et´e d´efinis en (2), section (2.3.5) : dire de quelqu’un qu’il a ´et´e dans ce genre d’´etatS sans pr´eciser `a quelle occasion n’est pas tr`es pertinent. Il faut que le contexte fournisse une description de l’´ev´enement qui a ´et´e l’occasion de se montrer intelligent ou g´en´ereux. Par exemple, (3.157) est incomplet s’il n’est pas tenu pour acquis lors de quel ´ev´enement pr´ecis Pierre a pu ˆetre intelligent, c’est-`a-dire sans que l’occurrence de l’action g´en´erant l’´etat soit pr´esuppos´ee : (3.156) Hier, Pierre a ´et´e malade. (´enonc´e complet) (3.157) # Hier, Pierre a ´et´e intelligent. (´enonc´e incomplet) Si la description d’´ev´enement suit, alors l’´enonc´e acquiert une valeur catapho-rique.22 Ainsi, on observe une similarit´e entre les ´enonc´es (3.158)-(3.159), dont l’ind´efini est cataphorique,23 et les ´enonc´es (3.160)-(3.161), ce qui confirme l’id´ee que les pr´edicats d’´etat en cause sont pr´esuppositionnels.

(3.158) Je voudrais bien inviter un coll`egue : Pierre. (3.159) Une femme pourrait les raccommoder : Marie. (3.160) Marie a ´et´e intelligenteS. Elle est venue `a la fˆete.

(3.161) Marie a ´et´e g´en´ereuseS. Elle a donn´e des bonbons `a Jean.

En revanche, l’´enonc´e suivant, qui contient un pr´edicat d’´etat pur, n’a pas de valeur cataphorique :

(3.162) J’ai ´et´e malade. Je suis partie.

Remarquons que parfois, l’action `a travers laquelle se manifeste l’´etat peut se r´eduire `a la d´ecision de ne pas agir :

(3.163) Marie a ´et´e intelligenteS. Elle n’a rien fait.

Une preuve de ce que les ´enonc´es comme (3.163) pr´esupposent une d´ecision de ne pas agir, c’est que si le contexte sp´ecifie qu’une telle d´ecision n’a pu avoir lieu, on ne peut plus naturellement asserter ou nier que l’individu soit dans un ´etat endo-actionnel :

(3.164) Marie a ´et´e/ n’a pas ´et´e intelligenteS. Elle n’est pas venue `a la fˆete. #Elle ´etait dans le coma `a l’hˆopital.

(3.165) A. Alors, Pierre t’a prˆet´e sa voiture ?

B. Non, il ne me l’a pas prˆet´ee. Finalement, je ne lui ai pas demand´e.

B’. #Non, il n’a pas ´et´e g´en´ereuxS. Finalement, je ne lui ai pas demand´e.

Ainsi, (3.165B’) est bizarre, parce qu’on ne peut pr´esupposer que Pierre a d´ecid´e de ne pas prˆeter sa voiture, vu qu’on ne lui a pas demand´e.

22

La cataphore est souvent d´efinie comme une vari´et´e d’anaphore (voir p.e. Ducrot et Schaeffer (1995)). La cataphore se distingue de l’anaphore classique en ce que le r´ef´erent de l’expression pr´esuppositionnelle est mentionn´e non pas dans le discours ant´erieur, mais dans un segment de discours ult´erieur (auquel l’expression cataphorique fait allusion).

23

Valeur pr´esuppositionnelle de g´en´ereuxS (deuxi`eme lecture) et de bruyantS

L’id´ee que l’action g´en´erant l’´etat est pr´esuppos´ee est moins ´evidente lorsque le pr´edicat d’´etat endo-actionnel, en sp´ecifiant au moins vaguement une propri´et´e de cette action, permet de se dispenser d’une description explicite de l’´ev´enement en jeu. C’est le cas de bavard : g´en´eralement, on est bavard en bavardant. Avec ces adjectifs, il devient plus plausible, a priori, que la description d’´etat elle-mˆeme introduise l’´ev´enement en discours, plutˆot que de le pr´esupposer.

(3.166) Hier, Pierre et moi, on a ´et´e bavardsS. (3.167) Hier, Pierre et moi, on a bavard´e.

Mais il y a plusieurs arguments contre l’id´ee qu’une phrase comme (3.166) peut introduire elle-mˆeme l’´ev´enement `a travers lequel se manifeste l’´etat, `a l’instar d’une phrase d’action comme (3.167).

Tout d’abord, les phrases `a pr´edicat d’´etat endo-actionnel ne peuvent pas servir `a r´epondre `a des questions du type Qu’est-ce que tu as fait ?, ce qui est inattendu si ces pr´edicats d´ecrivent une action.

(3.168) A.– Qu’est-ce que vous avez fait cet apr`es-midi ? B.– On a (beaucoup) bavard´e.

B’.– #On a ´et´e bavardsS. B.– On a fait du bruit. B’.– #On a ´et´e bruyantsS.

En revanche, ils sont parfaits lorsque l’´ev´enement `a travers lequel s’est manifest´e l’´etat est pr´esuppos´e par la question, comme en (3.169)-(3.170) :

(3.169) A.– Comment ¸ca s’est pass´e ton interview ? B’.– J’ai ´et´e bavardS.

(3.170) A.– Comment ¸ca s’est pass´e avec les enfants cet apr`es-midi ? B’.– Ils ont ´et´e bruyantsS.

Les contrastes suivants sont comparables aux pr´ec´edents : (3.171) A.– ¸Ca fait longtemps qu’on n’a plus vu Pierre.

B.– Tiens, on a bavard´e hier. Je l’ai crois´e par hasard `a la biblioth`eque.

B’.– # Tiens, on a ´et´e bavardsS hier. Je l’ai crois´e par hasard `a la biblioth`eque.

En (3.171), le contexte ´etablit clairement que l’action (la conversation entre le locuteur B et Pierre) ne peut pas ˆetre pr´esuppos´ee, puisque A dit que B et A lui-mˆeme n’ont plus vu Pierre depuis longtemps.

Enfin, on observe qu’il est difficile de nier l’occurrence de l’action apr`es avoir ni´e le pr´edicat d’´etat endo-actionnel (cf. (3.172)), ce qui s’explique sans difficult´es si celui-ci pr´esuppose l’action plutˆot qu’il ne l’implique.

(3.172) A. Alors, ils ont ´et´e agr´eablesS, les Dupont, hier ?

B. # Non, ils n’ont pas ´et´e agr´eablesS. Ils n’ont pas ´et´e invit´es. Un contre-argument possible `a l’hypoth`ese que les pr´edicats d’´etat endo-actionnel pr´esupposent l’occurrence d’une action est illustr´e par l’´echange suivant. Celui-ci est tout `a fait acceptable, alors mˆeme que toute possibilit´e d’avoir agi dans la situation vis´ee est ni´ee :

(3.173) A. Ils ont ´et´e bruyantsS, les enfants, hier ?

B’. Non, ils n’ont pas ´et´e bruyantsS. A vrai dire, ils ne sont mˆeme pas venus.

Par ailleurs, il n’est pas possible, avec un pr´edicat comme bruyant, que l’action g´en´erante consiste en une d´ecision de ne pas agir ; prendre une d´ecision peut ˆetre une occasion d’ˆetre intelligent, mais pas d’ˆetre bruyant.

Il faut tout de mˆeme reconnaˆıtre que, sans `a vrai dire et mˆeme, cet ´echange serait nettement moins naturel. Il me semble que ces ´el´ements sont requis parce qu’ils aident `a remettre en question la pr´esupposition. Que la pr´esupposition puisse ˆetre annul´ee dans certains contextes ne contredit pas le fait que la pr´esupposition est bel et bien d´eclench´ee au d´epart.

Pour conclure sur ces arguments, soulignons que les pr´edicats d’´etat homo-nymes non occurrentiels — comme g´en´ereux(X)L ou bavard(X)L — ne d´eclenchent ´evidemment pas cette pr´esupposition :

(3.174) Il est possible que Pierre ´etait g´en´ereux(X)L. 6→ Pierre a fait quelque chose.

(3.175) Si Pierre est bavard(X)L, alors Marie ne va sans doute pas l’engager. 6→ Pierre a fait quelque chose.