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Typologie temporelle et aspectuelle des ´etats

3.2. Typologie temporelle : les quatre types d’intervalles per- per-tinentsper-tinents

3.2.2. Etats d’intervalle M et L

Comparons maintenant les pr´edicats d’´etat d’intervalle l et les pr´edicats d’´etat d’intervalle m.

Intervalle L. Les pr´edicats d’intervalle l d´enotent un ´etat permanent mais r´e-versible. Ces pr´edicats se construisent naturellement avec un compl´ement comme petit, mari´e, etc. :

(3.38) Petite, Marie ´etait g´en´ereuseL.

Traditionnellement, on appelle pr´edicats caract´erisants ces pr´edicats qui expriment une propri´et´e (( caract´erisant )) la nature d’un individu. Je propose de dire qu’une propri´et´e caract´erise la nature de x s’il est difficile de se repr´esenter x comme ´etant exactement la mˆeme personne, le mˆeme (( Self )), sans cette propri´et´e.

On peut tester la valeur plus ou moins caract´erisante du pr´edicat `a partir de la construction C’est un homme/une femme+adj. (C’est une femme arriviste, blonde, g´en´ereuse...) ou de la construction C’est quelqu’un de+adj. (C’est quel-qu’un de g´en´ereux, d’arriviste...).5

G´en´eralement, les constructions caract´erisantes comme C’est une femme/ un homme+adj. ou C’est quelqu’un de+adj. ne sont pas tr`es heureuses avec un com-pl´ement comme L’ann´ee pass´ee/ ces derniers mois :

(3.39) ?L’ann´ee pass´ee, c’´etait une femme autoritaire. ?L’ann´ee pass´ee, c’´etait quelqu’un d’autoritaire. (3.40) ?Ces derniers mois, c’´etait un homme g´en´ereux.

?Ces derniers mois, c’´etait quelqu’un de g´en´ereux.

En pr´esence d’un tel compl´ement de temps, ces pr´edicats ne d´ecrivent donc vrai-semblablement pas une propri´et´e caract´erisante d’un individu. Sinon, on ne de-vrait pas ressentir une diff´erence avec ces descriptions caract´erisantes en c’est une femme. . .. Les compl´ements du type petite, mari´ee sont beaucoup plus proches de ce genre de descriptions (( essentialistes )) :

(3.41) Petite, elle ´etait autoritaire.

≃ Petite, c’´etait quelqu’un d’autoritaire.

Je propose de r´eserver le terme d’´epoque pour d´ecrire un intervalle temporel si-gnificatif de la vie de l’individu (comme celui que d´enote petit ou mari´e p.e.). Le terme p´eriode, plus vague, sera utilis´e pour d´ecrire n’importe quel type d’intervalle dans la vie d’un individu.

Il existe des pr´edicats comme saoul qui ne peuvent d´ecrire qu’un ´etat oc-currentiel (d’intervalle s) ou une suite d’´etats ococ-currentiels (d’intervalle m). Ils sont donc incapables d’entrer dans cette construction diagnostiquant les pr´edicats d’´etat(X)L :

(3.42) Pierre est un homme arriviste/ mari´e/ beauL/XL. (3.43) # Pierre est un homme saoul/ assis/ gripp´e.

5

Notons que cette seconde construction n’est pas tr`es naturelle avec les pr´edicats factuels ( ?C’´etait quelqu’un de chauve).

Je propose d’appeler les adjectifs comme saoul, assis ou gripp´e des pr´edicats d’´etatS→M.

Une autre propri´et´e de ces adjectifs est qu’avec un (( modifieur d’´epoque )) comme petite, ces adjectifs sont soit inacceptables, soit seulement acceptables si un adverbe de fr´equence est pr´esent ou sous-entendu :

(3.44) # Petite, Marie ´etait gripp´ee. (3.45) a. #Petite, Marie ´etait gripp´eeL.

b. Petite, Marie ´etait [souvent] gripp´eeM.

A la diff´erence de ces pr´edicats d’´etatS→M, les pr´edicats d’´etatS→XL permettent, mais n’imposent pas la lecture it´erative avec ce genre de modifieur :

(3.46) Petite, Marie ´etait g´en´ereuse.

i. Petite, Marie ´etait souvent g´en´ereuseM. (lecture it´erative) ii. Petite, Marie ´etait une personne g´en´ereuseL. (lecture

caract´erisante)

C’est seulement sous la lecture caract´erisante que le pr´edicat d´enote un ´etat d’in-tervalle l.

Intervalle M. Les pr´edicats d’´etat d’intervalle m d´enotent une s´erie d’´etats oc-currentiels (cf. infra). Cette interpr´etation est g´en´eralement s´electionn´ee avec un compl´ement comme l’ann´ee pass´ee, ces dix derni`eres ann´ees etc. (cf. (3.47)). Mais c’est ´egalement l’interpr´etation obtenue avec un adverbe de fr´equence, y compris en pr´esence d’un compl´ement comme petit (cf. (3.48)).

(3.47) La semaine/ l’ann´ee pass´ee/ ces dix derni`eres ann´ees, Marie ´etait g´en´ereuseM.

(3.48) Petite, Marie ´etait souvent g´en´ereuseM.

Lorsque la phrase n’a pas n´ecessairement la lecture it´erative en pr´esence d’un compl´ement du type le mois pass´e, comme en (3.49), je dirai que la phrase d´ecrit un ´etat d’intervalle M2 :

(3.49) Le mois pass´e, Marie ´etait gripp´ee.

Je ne m’occuperai presque pas de ces descriptions d’´etat.

En fait, les descriptions d’´etat d’intervalle m sont moins profondes parce qu’elles ne se pr´esentent pas comme l’expression d’un trait essentiel de l’individu, mais bien d’une de ses habitudes dispositionnelles : ces phrases d´ecrivent une s´erie d’´etats occurrentiels qui se manifestent `a travers une s´erie d’´ev´enements, et qui, ensemble, d´efinissent une habitude.

Une des diff´erences entre les ´etats caract´erisants que d´ecrivent les pr´edicats d’intervalle l et les s´eries d’´etats occurrentiels que d´ecrivent les pr´edicats d’inter-valle m est qu’un ´etat caract´erisant peut rester cach´e, ne pas se manifester, alors qu’une s´erie d’´etats occurrentiels ne le peut pas, puisqu’elle consiste en une s´erie d’´etats qui se sont manifest´es.

Cette diff´erence se refl`ete au plan linguistique. Le locuteur qui use d’une des-cription caract´erisante reste coh´erent s’il dit que le trait naturel ne s’observe pas

souvent (cf. (3.50) et (3.52)). En revanche, il est difficile de rapporter une s´erie d’´etats occurrentiels tout en niant que ces ´etats occurrentiels aient pu faire l’objet d’une observation (cf. (3.51)-(3.53)) :

(3.50) Petit, c’´etait quelqu’un d’autoritaire. Simplement, ¸ca ne se voyait pas souvent.

(3.51) ? ?L’ann´ee pass´ee, elle ´etait autoritaire. Simplement, ¸ca ne se voyait pas souvent.

(3.52) Petit, c’´etait quelqu’un de gentil. Simplement, ¸ca ne se voyait pas souvent.

(3.53) ? ?L’ann´ee pass´ee, elle ´etait gentille. Simplement, ¸ca ne se voyait pas souvent.

Comme on l’a d´ej`a not´e, certains pr´edicats sont moins bons que d’autres pour d´ecrire une habitude dispositionnelle (comparer (3.54)-(3.55) et (3.56)-(3.57)). (3.54) L’ann´ee pass´ee, elle ´etait s´ev`ere.

L’ann´ee pass´ee, elle ´etait asociale. (3.55) L’ann´ee pass´ee, il ´etait autoritaire. (3.56) ?L’ann´ee pass´ee, il ´etait stupide/na¨ıf.

(3.57) ? ?L’ann´ee pass´ee, elle ´etait calculatrice/ altruiste.

Les pr´edicats qui d´ecrivent une propri´et´e physique sont, eux, syst´ematiquement acceptables dans ces constructions (cf. (3.58)-(3.59) :

(3.58) L’ann´ee pass´ee, il ´etait laid. (3.59) L’ann´ee pass´ee, elle ´etait chic.

A priori, on a envie d’expliquer la bizarrerie des ´enonc´es (3.56) et (3.57) par l’im-plicature associ´ee aux expressions num´erales. En g´en´eral, lorsqu’on utilise une expression du type n unit´es, l’´enonc´e implicite (( pas plus de n unit´es )). Il est surtout question de ce genre d’implicatures dans l’´etude des ind´efinis num´eraux non modifi´es (trois hommes). Mais Pi˜n´on (1999) remarque qu’elle est ´egalement associ´ee aux compl´ements de dur´ee. Si l’on dit que l’on a travaill´e deux heures, l’´enonc´e implicite qu’on a travaill´e deux heures, pas plus.6 On pourrait donc ˆetre tent´e d’expliquer l’anomalie des ´enonc´es (3.56)-(3.57) par le fait que les pr´edi-cats utilis´es entreraient en conflit avec cette (( implicature de r´eversibilit´e )) parce qu’ils exprimeraient des traits de caract`ere g´en´eralement jug´es irr´eversibles.

Mais cette explication doit ˆetre rejet´ee : ces pr´edicats sont acceptables avec les adverbes encore et toujours, au contraire des pr´edicats d’´etatXL, d´enotant des ´etats irr´eversibles :

(3.62) A cette ´epoque, Marie ´etait encore na¨ıve.

6C’est par cette implicature que Pi˜n´on rend compte de l’incompatibilit´e de ces adverbes avec les PP exprimant un ´etat irr´eversible :

(3.60) #Thomas a ´ecrit sa th`ese pour cinq ans. (Pi˜n´on (1999)) (3.61) #John a tu´e Bill pour trois semaines. (Dowty (1979))

A cause du compl´ement de temps, l’´enonc´e (3.61) implicite que John a tu´e Bill pour trois semaines, pas plus, ce qui est incongru puisque ce genre d’´etat est g´en´eralement tenu pour irr´eversible.

(3.63) A cette ´epoque, elle ´etait encore stupide.

Intuitivement, les pr´edicats de (3.54)-(3.55) — autoritaire, s´ev`ere — sont plus (( concrets )) que les pr´edicats de (3.56)-(3.57) — na¨ıf, stupide. C’est parce que la disposition que d´ecrivent les premiers se manifeste g´en´eralement `a travers des comportements assez pr´ecis : ˆetre s´ev`ere, c’est donner facilement de mauvaises notes, etc. En revanche, les ´etats que d´ecrivent les seconds peuvent se manifester dans des circonstances tr`es vari´ees.

Du coup, les pr´edicats de (3.54)-(3.55) s’interpr`etent ais´ement comme d´ecrivant une s´erie habituelle d’´etats qui se manifeste `a travers une s´erie d’actions, parce qu’il est facile d’inf´erer quel type d’actions est en jeu. En revanche, on manque d’informations pour obtenir cette interpr´etation avec les pr´edicats de (3.56)-(3.57), car on ne sait pas quel type d’actions est en jeu. D`es lors, on a tendance `a inter-pr´eter ces ´enonc´es comme des descriptions caract´erisantes (comme les descriptions d’un trait essentiel de l’individu). Mais alors, un probl`eme pragmatique ´emerge en vertu de l’implicature associ´ee au compl´ement de p´eriode (l’ann´ee pass´ee s’inter-pr´etant comme l’ann´ee pass´ee, pas plus). On ne comprend pas tr`es bien, en effet, pourquoi un individu aurait, par exemple, certains traits essentiels le 31 d´ecembre 2004, et pas le 1er janvier 2005.

En g´en´eral, le probl`eme d’incompl´etude que posent les ´enonc´es (3.56) sous l’in-terpr´etation it´erative peut ˆetre r´esolu `a partir du moment o`u un autre ´el´ement de l’´enonc´e explicite la nature du comportement `a travers lequel l’´etat se manifeste it´erativement :

(3.64) L’ann´ee pass´ee, j’´etais stupide : j’allais au bureau en voiture. (3.65) L’ann´ee pass´ee, elle ´etait na¨ıve : elle racontait tout `a Pauline qui le

r´ep´etait `a Jeanine.

Cela confirme que c’est bien l’absence d’information qui posait probl`eme dans les ´enonc´es pr´ec´edents.

Il y a cependant des pr´edicats d’´etat, comme ceux des ´enonc´es (3.57), qui sont incapables de d´ecrire un ´etat d’intervalle m, c’est-`a-dire une s´erie d’´etats occurrentiels, mˆeme si l’´enonc´e pr´ecise la nature des ´ev´enements `a travers lesquels se manifestaient ces ´etats :

(3.66) ? ? L’ann´ee pass´ee, il ´etait arriviste/carri´eriste : il ne sympathisait qu’avec les coll`egues qui pouvaient lui ˆetre utiles.

En fait et sans surprise, il existe une corr´elation entre l’incapacit´e `a d´ecrire des ´etatsM et l’incapacit´e `a d´ecrire des ´etatsS, c’est-`a-dire des ´etats occurrentiels qui qualifient l’individu dans le cadre d’un ´ev´enement particulier :

(3.67) ? ?Marie a donn´e une conf´erence hier. Elle ´etait/ a ´et´e arrivisteS. Cp. Marie a donn´e une conf´erence hier. Elle est arriviste,

Marie(X)L.

Les pr´edicats comme ˆetre carri´eriste ou ˆetre de Bruxelles, incapables de d´ecrire des ´etatsM ou des ´etatsS, sont en minorit´e `a l’int´erieur de la classe des ilp. En fait, ils comptent parmi les ilp les plus extrˆemes de cette classe lexicale, parce qu’ils ne sont vraiment bons que lorsqu’ils d´ecrivent des ´etats des plus grands intervalles.

Cette corr´elation, si elle est correcte, confirme le lien ´etabli entre descriptions d’´etatM et les descriptions d’´etatS. Dans les deux cas, l’individu est ´evalu´e en tant

qu’Agent ou que Th`eme d’´ev´enements pr´ecis. La diff´erence est que les descrip-tions d’´etatM sont des phrases habituelles, alors que les descriptions d’´etatS sont des phrases occurrentielles. Les descriptions d’´etatLou d’´etatXL, en revanche, ´eva-luent l’individu in abstracto, en dehors de toute cirsconstance pr´ecise.

Les descriptions d’´etatM ont donc un statut hybride. Tout comme les descrip-tions d’´etatS, elles sont (( concr`etes )) parce que l’individu est envisag´e dans le cadre d’´ev´enements pr´ecis. Mais comme les descriptions d’´etatL, elles expriment une g´en´eralit´e.