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Typologie temporelle et aspectuelle des ´etats

3.4. La distribution des temps du pass´e dans les phrases sta- sta-tivessta-tives

3.4.3. Imparfait 2 versus pass´e compos´e : 1 ` ere diff´erence

Je viens de montrer qu’avec certaines descriptions (comme (3.257) et (3.258)), l’´etat sj que d´enote la phrase ne peut pas ˆetre une partie propre d’un ´etat plus long du mˆeme type s’j (i.e. 6 ∃s’j : sj⊂s’j).

Emerge alors un probl`eme th´eorique : comment distinguer ces phrases `a l’im-parfait des phrases correspondante au pass´e compos´e ? On ne peut plus dire que les phrases `a l’imparfait ne d´enotent qu’une partie d’un proc`es plus long (comme Smith (1991)), puisque celui-ci n’existe vraisemblablement pas.

Dans cette section, on va (r´e-)exposer trois diff´erences entre imparfait et pass´e compos´e, mais d’une mani`ere qui distingue le pass´e compos´e aussi bien de l’imparfait1

que de l’imparfait2. La premi`ere diff´erence touche aux propri´et´es des ´etats qui pr´e-c`edent et suivent imm´ediatement l’´etat dont l’existence est assert´ee. La seconde diff´erence touche `a la valeur anaphorique des descriptions statives au pass´e com-pos´e et `a l’imparfait. La troisi`eme diff´erence touche `a la mani`ere dont l’agent ´epist´emique est cens´e d´ecouvrir la propri´et´e de l’´etat assert´e.

D´efinition du parfait. Avant toute chose, revenons plus en d´etails sur la s´emantique du pass´e compos´e. Suivant l’analyse classique de ce temps, le pass´e compos´e est un

49Ces ´enonc´es sont compl`etement acceptables lorsque l’imparfait a valeur it´erative, ce qui est plausible si l’on envisage un intervalle de temps plus long (M.Dominicy, c.p.) :

(3.260) Ce jour-l`a, j’ai rencontr´e Pierre. Depuis quelques jours, il ´etait agr´eable avec moi. Mais sous cette lecture, le pr´edicat d’´etat est un pr´edicat d’´etat d’intervalle m, et non pas d’intervalle s. Ils ne rel`event donc pas des ´enonc´es ´etudi´es ici. L’imparfait (it´eratif) est toujours acceptable avec les pr´edicats d’´etatm.

parfait (perfect). Traditionnellement (voir p.e. Kamp et Reyle (1993)), le parfait se d´efinit comme une fonction perf : ε→ s, prenant pour argument un proc`es (de n’importe quel type) et rendant pour valeur un ´etat. Suivant cette analyse, une phrase au parfait exprime donc un ´etat s2 prenant place imm´ediatement apr`es la fin du proc`es v1 dont il r´esulte. Ce proc`es v1 accompli peut ˆetre un ´ev´enement. Par exemple, Marie a mang´e une brioche d´ecrit l’´etat dans lequel se trouve Marie d`es lemoment o`u elle a eu termin´e de manger sa brioche, `a savoir l’´etat (( avoir mang´e une brioche )). Mais l’´eventualit´e accomplie v1 peut ´egalement ˆetre un ´etat. Par exemple, Marie a ´et´e malade exprime l’´etat dans lequel se trouve Marie juste d`es le moment o`u elle a eu termin´e d’ˆetre malade.

Laissons de cˆot´e, pour l’instant, la question de savoir si l’existence de v1 et de v2 est assert´ee ou pr´esuppos´ee par une phrase au pass´e compos´e. Ind´ependamment de cela, une diff´erence th´eorique int´eressante entre les phrases `a l’imparfait2 et les phrases au pass´e compos´e peut ˆetre observ´ee `a partir de cette d´efinition du parfait : les premi`eres ne mettent en jeu qu’un proc`es v1, alors que les secondes imposent d’en envisager deux, `a savoir le proc`es v1, et l’´etat qui en r´esulte s2. C’est sur cette diff´erence que je vais m’attarder maintenant.

(( blanc )) versus (( noir blanc noir )) : ainsi peut se r´esumer, comme on va essayer de le montrer, une des diff´erences principales entre l’imparfait2 et le pass´e com-pos´e.

A la diff´erence de l’imparfait1 et `a l’instar du pass´e compos´e, l’imparfait2

(( montre tout )) l’´etat. Mais l’imparfait2 se distingue du pass´e compos´e en ce qu’il ne pr´esuppose pas que les ´etats pr´ec´edant et suivant s ont telle ou telle pro-pri´et´e. Il ne dit rien de ce qu’il se passe `a gauche et `a droite de l’´etat d´enot´e.

L’id´ee argument´ee plus bas est que la phrase stative au pass´e compos´e, en re-vanche, pr´esuppose que l’´etat s1 du type P qu’elle d´enote est directement suivi et directement pr´ec´ed´e d’´etats s’ et s” satisfaisant ¬P.

Ces pr´esuppositions ne sont pas anaphoriques. Un ´enonc´e comme Pierre a ´et´e blond n’oblige pas `a faire comme si on avait d´ej`a mentionn´e, dans le discours an-t´erieur, que Pierre n’a pas ´et´e blond avant et apr`es avoir ´et´e blond. Il s’agit plutˆot d’une pr´esupposition au sens de Ducrot (1972), que Merin (2003a) propose d’appe-ler pr´esuppositions ´evidentielles : c’est une proposition qui, au temps de l’assertion t0, est pr´esent´ee comme pas int´eressante, non pertinente pour les fins du discours H. (( Pr´esupposer P )) veut alors simplement dire (( mettre P `a l’arri`ere-plan )), que P soit (pr´esent´e comme) d´ej`a introduit dans le discours ant´erieur ou non.50

C’est ce sens qui est vis´e dans la d´efinition suivante :

D´efinition 5 (Phrases statives au pass´e compos´e) Une phrase stative contenant le pr´e-dicat d’´etat P au pass´e compos´e asserte l’existence d’un ´etat s satisfaisant P et prenant place en I, et pr´esuppose l’existence d’´etats s’ et s” satisfaisant ¬P, s’ prenant place imm´ediatement avant I, et s” imm´ediatement apr`es.

Etat suivant. L’id´ee que les phrases statives au pass´e compos´e pr´ecisent que s1

(satisfaisant le pr´edicat verbal P ) est suivi d’un ´etat s” satisfaisant¬P est appuy´ee

50

Je reviens sur les diff´erents types de pr´esuppositions au chapitre (4), dans la section (4.6.1), consacr´ee `a la pr´esupposition des subordonn´ees temporelles introduites par quand.

par les contrastes suivants : (3.262) Pierre ´etait albinos. (3.263) ?Pierre a ´et´e albinos. (3.264) Sandy ´etait une femme. (3.265) ?Sandy a ´et´e une femme. (3.266) Pierre ´etait un ´elu de Dieu. (3.267) ?Pierre a ´et´e un ´elu de Dieu. (3.268) Pierre ´etait mon p`ere.

(3.269) ?Pierre a ´et´e mon p`ere.

Les VP ˆetre albinos, ˆetre une femme, ˆetre un ´elu de Dieu et ˆetre mon p`ere d´enotent des ´etats irr´eversibles (cf. supra, section 3.2.1) — on est g´en´eralement albinos ou ´elu de Dieu pour toujours. Les ´enonc´es (3.263), (3.265), (3.267) et (3.269) sont bizarres parce que le pass´e compos´e sugg`ere que l’´etat s qui satisfait le VP a ´et´e suivi d’un ´etat s” satisfaisant¬P. Ils redeviennent parfaits dans un contexte fictif qui satisfait cette pr´esupposition :

(3.270) Dans une de ses vies ant´erieures, Sandy a ´et´e une femme.

Etat pr´ec´edent. Suivant l’hypoth`ese, une phrase stative au pass´e compos´e asser-tant l’existence d’un ´etat s satisfaisant P est aussi pr´ec´ed´e d’un ´etat s’ satisfaisant ¬P. Comparons (3.270) et (3.272) :

(3.270) Dans une de ses vies ant´erieures, Sandy a ´et´e une femme. (3.271) Avant son op´eration, Sandy ´etait une femme.

(3.272) ?Avant son op´eration, Sandy a ´et´e une femme.

En (3.270), si l’on suppose que la r´eincarnation peut s’accompagner d’un change-ment de sexe, il est facile de tenir pour acquis que Sandy ´etait du sexe masculin non seulement apr`es, mais aussi avant de l’avoir ´et´e. En (3.272), on pr´esuppose ais´ement que Sandy n’a pas ´et´e une femme apr`es l’avoir ´et´e (i.e. apr`es son op´era-tion). Mais il est difficile de tenir pour acquis qu’il n’a pas ´et´e une femme avant de l’avoir ´et´e : on pr´esuppose par d´efaut que Sandy ´etait une femme depuis la naissance. La bizarrerie de (3.272) vient donc de ce qu’il est difficile de tenir pour acquis qu’il existe un s’ pr´ec´edent s et tel que s’ satisfait le pr´edicat ne pas ˆetre une femme. Cela dit, (3.272) est meilleur si l’on suppose que les individus peuvent se r´eincarner, comme en (3.270), ce qui confirme encore l’hypoth`ese.

Pr´esupposition de s’ et de s”. Le fait que l’existence d’un ´etat s’ satisfaisant ¬P et pr´ec´edant s est pr´esuppos´ee par les phrases au pass´e compos´e rend compte du contraste suivant :

(3.273) J’ai repeint le mur en blanc. Avant cela, il ´etait jaune. (3.274) ?J’ai repeint le mur en blanc. Avant cela, il a ´et´e jaune.

L’´enonc´e (3.274) est un peu moins naturel que (3.273), parce qu’il oblige `a tenir pour acquis que le mur n’a pas toujours ´et´e jaune avant d’ˆetre peint en blanc, ce qui est peut-ˆetre beaucoup demander `a son auditoire, qui n’est pas cens´e savoir qu’on en est d´ej`a `a la troisi`eme couche. En revanche, la phrase devient parfaite `a partir du moment o`u le contexte aide `a tenir cette information pour acquise, comme en (3.275) :

(3.275) J’ai repeint le mur en blanc. Avant cela, il a ´et´e jaune, et puis encore avant, il ´etait bleu.

En admettant que s’ et s” sont pr´esuppos´es, on peut aussi rendre compte des contrastes suivants :

(3.276) Elle a ´et´e malade.

(3.277) ?Elle a ´et´e en bonne sant´e/ bien-portante.

Dans un contexte par d´efaut, on tient facilement pour acquis qu’une personne dite malade ´etait en bonne sant´e avant et apr`es avoir ´et´e malade. La pr´esupposition est donc ais´ement satisfaite en (3.276). En revanche, il est moins facile de tenir pour acquis, dans un contexte par d´efaut, qu’une personne dite en bonne sant´e ´etait malade avant et apr`es avoir ´et´e en bonne sant´e. Pour satisfaire la pr´esupposition en (3.277), il faut convoquer un contexte moins normal o`u l’individu est presque tout le temps malade, contexte qui rend (3.277) meilleur.

Admettons donc que la d´efinition 5 est correcte, i.e. les phrases au pass´e com-pos´e pr´esupposent que l’´etat P (s) (dont l’existence est assert´ee) est entour´e, `a gauche et `a droite, d’´etats qui satisfont la propri´et´e ¬P.

Cette d´efinition 5 permet de distinguer le pass´e compos´e des deux imparfaits : i. Pass´e compos´e : il faut pr´esupposer que l’´etat assert´e s : P (s) est pr´ec´ed´e

d’un ´etat s’ et suivi d’un ´etat s” satisfaisant tous deux¬P

ii. Imparfait2 : rien n’oblige `a envisager ce qui a pu se passer avant et apr`es l’´etat assert´e P (s)

iii. Imparfait1 : l’´etat assert´e P (s) est une partie propre d’un ´etat s’ : P (s’ ) Ces trois temps sont respectivement illustr´es par les exemples suivants :

i. Pierre est venu hier. Il a ´et´e agr´eable. ii. Pierre est venu hier. Il ´etait agr´eable. iii. Pierre est venu hier. Il ´etait tremp´e.