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L’argument de l’incompatibilit´e avec les adverbes de mani`ere

Les pr´edicats d’´etat en s´emantique (n´eo) davidsonienne

1.3. Les pr´edicats d’´etat ont-ils un argument davidsonien ?

1.3.5. L’argument de l’incompatibilit´e avec les adverbes de mani`ere

Il a souvent ´et´e not´e que les pr´edicats d’´etat sont peu compatibles avec les ad-verbes de mani`ere, dont les adad-verbes agentifs. Les d´etracteurs de l’analyse n´eo-davidsonienne y ont vu une autre preuve de ce que certains pr´edicats d’´etat au moins n’ont pas d’argument davidsonien. Comment d´esarmer cet argument ?

Une premi`ere chose `a remarquer est que, comme l’observe e.a. J¨ager (2001), certains pr´edicats d’´etat parfois dits non davidsoniens sont acceptables avec des adverbes agentifs :

(1.85) John was a Catholic with great passion in his youth. (J¨ager (2001)) Maienborn refuse cependant de voir dans ces exemples une preuve en faveur de l’existence de l’argument d’´etat, parce que d’apr`es elle ces pr´edicats d’´etat sont coerc´es en pr´edicats d’activit´e : ce qui est passionn´e, ce ne serait pas l’´etat de John, mais les activit´es associ´ees `a cet ´etat (aller `a la messe, prier, etc.). Il me semble n´eanmoins possible d’ˆetre passionn´ement catholique sans ˆetre jamais pratiquant. De mˆeme, on pourrait dire d’un brin d’herbe qu’il est passionn´ement ce qu’il est, sans devoir admettre, me semble-t-il, que le brin d’herbe fasse quoi que ce soit.

Mittwoch (2005) note par ailleurs qu’il existe toute une s´erie d’adverbes de mani`ere compatibles avec des pr´edicats d’´etat qui ne peuvent se r´eanalyser comme les r´esultats de coercion (tous les exemples en (1.86) et (1.87) sont de Mittwoch, je traduis).17

(1.86) a. connaˆıtre quelqu’un personnellement/de vue b. connaˆıtre quelque chose par exp´erience

c. connaˆıtre un po`eme par coeur d. aimer quelqu’un platoniquement

(1.87) syst´ematiquement diff´erent, pertinemment semblable, bizarrement inquiet, internationalement connu, indirectement responsable, ´el´egant sans effort, pathologiquement prudent

Soulignons la plupart de ces exemples, l’adverbe ne peut qualifier le fait que le proc`es a eu lieu plutˆot que le proc`es lui-mˆeme. Par exemple, (1.88) n’´equivaut pas `a (1.89) :

(1.88) Pierre est indirectement responsable de l’accident.

(1.89) Le fait que Pierre est responsable de l’accident est indirect.

pass´e compos´e, un pr´edicat d’´etat est (( coerc´e )) en pr´edicat d’´ev´enement. Ce n’est pas la voie que j’ai choisie, puisque je supposerai, tout au long de ce travail, qu’une phrase construite avec un pr´edicat d’´etat d´enote toujours un ´etat, y compris au pass´e compos´e.

17

Mittwoch (2005) donne originellement la liste suivante : terminally ill, systematically dif-ferent, relevantly similar, charmingly benign, suspiciously quiet, programmaticaly subversive, un-pleasantly dark, internationally famous, ominously silent, indirectly responsible, uncannily simi-lar, effortlessly elegant, pathologically cautious.

Les adverbes de mani`ere susceptibles de modifier les adjectifs d´eriv´es de verbes sont aussi nombreux que ceux qui sont utilis´es pour modifier les adjectifs non d´everbaux (exemples de Mittwoch (2005), je traduis) :

(1.90) visiblement ´emu, abˆım´e de mani`ere irr´eparable, distribu´e ´equitablement, parqu´e ill´egalement, stri´e grossi`erement

Parsons (2000), `a qui appartient le dernier exemple (coarsely grooved en anglais), sugg`ere que l’adverbe pourrait s’interpr´eter comme qualifiant non pas l’´etat, mais l’´ev´enement qui en est la source. Mittwoch note cependant que cette analyse est contre-intuitive dans certains cas :

(1.91) The car is illegally parked in front of my house.

La voiture est ill´egalement parqu´ee devant ma maison.

Ainsi, (1.91) implique qu’il y a eu un ´ev´enement e satisfaisant le pr´edicat parquer, mais pas que e soit ill´egal : il se peut que le conducteur ait parqu´e sa voiture devant chez moi `a une heure o`u il pouvait le faire en toute l´egalit´e.

En r´esum´e, la distribution des adverbes de mani`ere peut au moins aussi bien servir `a d´efendre l’extension de l’analyse davidsonienne aux pr´edicats d’´etat qu’`a s’y opposer.

1.4. Typologie des pr´edicats d’´etat en s´emantique (n´eo-)

da-vidsonienne

1.4.1. 1

`ere

typologie : les pr´edicats d’´etat avec ou sans argument

im-plicite

On vient d’examiner certains des arguments qui ont ´et´e utilis´es pour appuyer l’id´ee que tous les pr´edicats d’´etat ont un argument implicite.

Je l’ai d´ej`a dit, l’int´erˆet que l’on attribue `a ce d´ebat est plus ou moins grand suivant la force explicative que l’on prˆete `a la pr´esence de l’argument d’´etat s.

Pour les tenants de l’option suivant laquelle seuls certains pr´edicats d’´etat sont davidsoniens, cette question est cruciale parce que la pr´esence d’un argument d’´etat dans la repr´esentation est cens´ee rendre compte de plusieurs propri´et´es linguistiques distinctes, `a savoir :

i. La compatibilit´e dans les subordonn´ees en quand sans ind´efini (Kratzer (1995))

ii. La compatibilit´e avec la lecture existentielle de l’ind´efini sujet (Kratzer (1995))

iii. La possibilit´e de servir de pr´edicat second descriptif (Rapoport (1991)) iv. L’absence de (( lifetime effects )) dans une phrase `a l’imparfait (Kratzer

(1995)). Une phrase d´eclenche ce type d’inf´erences lorsqu’elle implicite que l’entit´e `a laquelle s’applique le pr´edicat est morte au temps de l’´enonciation v. La compatibilit´e avec un compl´ement de lieu (Kratzer (1995), Maienborn

Les paires suivantes illustrent chacune de ces propri´et´es. Les phrases (a) contiennent un stage level predicate (slp), cens´e avoir un argument implicite d’apr`es Kratzer, et les phrases (b) contiennent un individual level predicate (ilp), cens´e ˆetre d´e-pourvu de cet argument implicite :18

(1.92) a. Quand Marie est saoule, elle dit la v´erit´e.

b. * Quand Marie connaˆıt le fran¸cais, elle dit la v´erit´e.

(1.93) a. Firemen are available (lecture existentielle possible du GN sujet) b. Firemen are altruistic (lecture existentielle impossible) (1.94) a. Marie a rencontr´e Pierre saoul.

b. *Marie a rencontr´e Pierre intelligent. (1.95) a. Marie ´etait saoule.

6→I Marie est morte au temps de l’´enonciation. b. Marie ´etait intelligente.19

I Marie est morte au temps de l’´enonciation. (1.96) a. Marie ´etait assise dans la cuisine.

b. *Marie ´etait intelligente dans la cuisine.

A chaque fois, les contrastes sont expliqu´es `a partir de la diff´erence dans la struc-ture argumentale des ilp et des slp. Par exemple, Rapoport postule qu’un adjectif peut servir de pr´edicat second (cf. (1.94)) si et seulement s’il a, dans sa structure argumentale, un argument davidsonien, qui peut ˆetre mis en relation avec l’argu-ment davidsonien du pr´edicat principal (Rapoport (1991) p. 70, cit´e par McNally (1993)). Kratzer postule que les compl´ements de lieu imposent, par d´efinition, une restriction sur une variable davidsonienne (cf. (Kratzer (1995) p. 128) ; elle (( explique )) donc l’agrammaticalit´e de (1.96b) par l’absence d’une telle variable.20

Le principal probl`eme de ces approches, souvent soulign´e, c’est qu’il existe de nombreuses exceptions pour presque toutes les g´en´eralisations propos´ees. Pour chacune d’entre elles, un contre-exemple est propos´e ci-dessous :

(1.97) a. Quand Madonna est blonde, elle ressemble vaguement `a Marilyn Monroe. (ilp, ex. de McNally (1993), je traduis) b. #Quand cette pomme-l`a est crue, je la mets sur la table. (slp) (1.98) Firemen are clean (slp, lecture existentielle difficile du GN sujet)21

(1.99) a. ? ?Je l’ai crois´e sympathique avec moi, Pierre. (slp) b. Je l’ai crois´e blond, Pierre. (ilp) (1.100) Hier, j’ai vu Marie. Elle ´etait blonde. (ilp)

6→I Marie est morte au temps de l’´enonciation.

18En deux mots, les slp sont suppos´es d´enoter un ´etat temporaire, contingent, alors que les ilp sont censer d´enoter un ´etat permanent, essentiel. Je reviens sur cette distinction plus bas.

19Comme l’observe Musan (1997), cette implicature n’est pas d´eclench´ee dans certains contextes. J’y reviens dans la section (3.3.1).

20

Je ne r´eexpose pas l’argumentation de Kratzer pour chaque contraste, car les d´etails ne sont pas tr`es pertinents ici. Notons que Kratzer n’identifie pas explicitement (( l’argument spatio-temporel )) dont elle se sert `a l’argument davidsonien ; je n´egligerai ce point ici.

21

Kratzer elle-mˆeme remarque que certains slp rendent les interpr´etations existentielles de l’ind´efini tr`es difficiles (c.p. rapport´ee par McNally (1993)).

(1.101) * Les verres sont sales sur la table. (slp) Kratzer a relev´e certaines de ces exceptions, et les explique en supposant que lorsqu’un ilp est utilis´e dans une construction r´eserv´ee aux slp, alors il est chang´e (coerced ) en slp.

Cependant, pour devenir viable, cette solution demanderait `a ˆetre am´enag´ee. Tout d’abord, comme certains ilp uniquement acceptent de changer, il faut, au plan lexical, rendre la diff´erence entre les pr´edicats ilp (( flexibles )), qui acceptent d’ˆetre coerc´es, et les ilp (( rigides )), qui ne l’acceptent pas. Il faut donc disposer de trois classes de pr´edicats plutˆot que de deux. Se pose alors la question de savoir quel genre de repr´esentation s´emantique va ˆetre associ´ee aux ilp qui peuvent ˆetre coerc´es (ont-ils un argument davidsonien ou non ?). Ensuite, il faudrait expliquer pourquoi certains ilp acceptent d’ˆetre coerc´es dans certaines constructions, mais pas dans d’autres. Par exemple, il faudrait expliquer pourquoi stupide (a priori ilp) accepte d’ˆetre coerc´e en slp dans les subordonn´ees en quand non temporelles, et pourquoi il ne peut l’ˆetre dans les constructions `a pr´edicat second (intelligent ou avare soul`eve le mˆeme probl`eme) :

(1.102) Quand elle est stupide/intelligente, elle est vraiment stupide/intelligente.

(1.103) ? ?Ce matin, je l’ai rencontr´ee stupide. La tˆache semble assez ardue.

1.4.2. 2

`eme

typologie

Si l’on admet, comme je le fais dans ce travail, que tous les pr´edicats d’´etat ont un argument implicite, celui-ci n’a, en lui-mˆeme, aucune valeur explicative. Ce qu’il faut identifier pour expliquer les comportements du pr´edicat, c’est le type d’´etat qu’il est capable de d´ecrire. Par exemple, Condoravdi (1992) distingue les slp et les ilp par la dur´ee de l’´etat d´enot´e. C’est cette option qui va ˆetre adopt´ee ici. Simplement, je vais raffiner la typologie, ce qui ne semble pas inutile vu les probl`emes rencontr´es si l’on ne distingue que deux classes de pr´edicats statifs.

La typologie propos´ee et d´evelopp´ee au chapitre (3) se fonde sur deux crit`eres, `a savoir (i) la dur´ee de l’´etat et (ii) la d´ependance de l’´etat vis-`a-vis d’un ´ev´enement. Cette nouvelle typologie permettra ensuite de rendre compte plus finement de la distribution des adjectifs.

1.5. Individuation des ´ev´enements et relations de d´ependance

entre ´ev´enements