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c) La relation hiérarchique comme point d’orgue de la coordination au sein du maillage

L'exercice personnel du commandement, la relation de subordination ainsi que la centralisation progressive des fonctions supports au niveau des différents échelons créent un cadre d'action très particulier, où se combinent autonomie de fait du « vassal » (par la distance géographique et la non-standardisation des activités), et asymétrie très forte des pouvoirs en faveur du « suzerain ». Le contrôle qui s'exerce entre les différents échelons intervient alors comme une succession de relations personnelles entre des acteurs disposant d'un fort pouvoir au sein de leur zone de proximité. La relation qui s'installe entre supérieur et subordonné, est alors cruciale pour déterminer le degré de liberté du second par rapport au premier. On comprend en effet facilement que l'autonomie réelle de chaque échelon n'est pas une autonomie absolue, mais qu'elle dépend surtout de l'attitude du « suzerain », qui peut choisir à tout moment d'entrer dans le domaine du vassal et d'y faire valoir son autorité de différentes manières. Cela implique que le mode de pilotage des échelons subordonnés puisse se baser, selon le contenu de la relation, sur un mode de contrôle rapproché ou sur un encadrement plus distant. Cette possibilité est d'autant plus probable à l'heure actuelle que la dématérialisation des outils de contrôle et le renforcement progressif des Centres Opérationnels et de Renseignement de Gendarmerie (CORG) permet à des échelons comme le Groupement de reprendre facilement la main sur une zone du territoire.

D'un autre côté, le subordonné dispose toujours d'une marge d'autonomie certaine, sur la base à la fois des particularités locales – isolement géographique, nature de l'activité – et sur les possibilités réelles de contrôle que détient le chef. La question des zones d'ombres, des stratégiques d'isolement ou de rétention de l'information, pèse alors fortement dans le jeu relationnel hiérarchique. Dans le cadre de ce travail, je tâcherai de replacer ce jeu relationnel au sein d’un cadre stratégique plus large, où le pouvoir d’un individu ou d’un groupe est « fonction de l’ampleur de la

zone d’incertitude que l’imprévisibilité de son propre comportement lui permet de contrôle face à ses partenaires. » (Crozier & Friedberg, 1977 ; p.72) et où l’acteur cherche à « élargir autant que possible sa propre marge de liberté et d’arbitraire pour garder aussi ouvert que possible l’éventail de ses comportements potentiels, tout en essayant de restreindre celui de son partenaire/adversaire, et de l’enfermer dans des contraintes telles que son comportement devienne au contraire parfaitement connu d’avance. » (op.cit).

Pour Mouhanna, l’autonomie des opérationnels et la distance géographique contribue à la mise en place d’une forte asymétrie d’information et de possibilités de rétention. L’auteur défend alors une thèse de la hiérarchie inversée, où l’on comprend que les possibilités de contrôle réel sur les subordonnés sont très faibles. Dans cette configuration, « Le commandant de brigade apparaît finalement comme un acteur faible dans le système gendarmique » (Mouhanna, 2001) ; p.43) en cela qu’il dépend largement de ses Gendarmes pour savoir ce qui se passe sur le terrain. Le jeu de rétention de l’information évolue alors d’une manière de plus en plus défavorable pour le chef à mesure que l’on gravit les échelons hiérarchiques. Ainsi, « Les tensions inhérentes à la fonction de commandant de brigade se retrouvent chez le commandant de compagnie, avec même des difficultés exacerbées. […] l'officier se trouve de facto en position de demandeur pour connaître l'environnement : il est dépendant, pour son information, du quasi-monopole détenu par le commandant de brigade. » (op.cit). Si l’existence de cette asymétrie d’informations a pu être vérifiée lors de mes observations de terrain et des entretiens, il n’est pas garanti qu’elle soit une source de pouvoir automatique, ni que les subordonnés en fasse usage de manière systématique. En effet, si la maîtrise de l’information peut être envisagée comme une source « objective » d’incertitude (Crozier & Friedberg, 1977), il ne faut pas oublier que « l’existence ‘objective’ d’une source d’incertitude ne nous dit rien sur la volonté ou plus simplement la capacité des acteurs de véritablement saisir et utiliser l’opportunité qu’elle constitue. » (p.84). Autrement dit, l’autonomie des Gendarmes de terrain – et, par extension, de chaque échelon « vassal » sur son « suzerain » – ne devient un enjeu crucial de pouvoir que dans certains cas.

La relation hiérarchique est en effet un lieu où l’incertitude se joue, non pas uniquement selon une dynamique ascendante – le supérieur ayant besoin de son subordonné pour réduire la complexité de ce qui se passe sur le terrain – mais également selon une logique descendante, où le subordonné doit faire face à l’incertitude que génère le comportement de son chef (Ayache & Laroche, 2010). Dans le cas de la Gendarmerie Départementale, cette incertitude est d’autant plus grande qu’elle s’inscrit dans un rapport distant de « vassalité », où le « suzerain » dispose de très

nombreuses ressources et d’un contrôle accrue sur les processus de l’organisation. Dans cette configuration, le « vassal » est bien lui aussi dans une relation de dépendance : il dépend de son chef pour disposer des moyens nécessaires à son travail, pour l’évaluation de ses mérites et de ses opportunités de carrière, etc. La condition du Gendarme – et notamment sa militarité – lui impose également un contrôle culturel, c’est-à-dire un ensemble de règles et de façons de faire à partir desquelles il peut être jugé sur sa qualité en tant que membre du groupe, et par extension, en tant que professionnel. Dans cette configuration, du fait notamment de la culture du compte-rendu et de l’aspect fortement judiciarisé de l’activité, faire usage d’une rétention d’information constitue une prise de risque qui vient souvent se limiter à des marges discrétionnaires faibles.

L’autonomie du terrain se joue donc dans le cadre d’un jeu beaucoup plus complexe, où la notion d’ « acteur faible » est difficile à appliquer de manière systématique. La notion d' « exercice personnel » du commandement prend tout son sens, non-pas uniquement dans une logique de « personnalité » – ce qui reviendrait à faire reposer l’entièreté de la réussite sur des substrats psychologiques ou sur une forme de talent naturel – mais dans une logique de « situation personnelle », c’est-à-dire dans l’ancrage d’un individu au sein d’un contexte stratégique. La manière dont s'exerce le commandement reste ainsi donc fortement dépendante d'un contexte relationnel large, ce qui impliquerait dès lors qu'il y ait pas « autant de gendarmeries que de chef » ; mais plutôt qu'il existe « autant de gendarmeries qu'il existe de configuration d'acteurs ». Cette configuration peut alors être lue au travers des quelques paramètres de l’autonomie qui ont été évoqué dans le cadre de cette partie, et qui sont résumés ci-dessous :

Paramètres de la situation Tend à diminuer l’autonomie Tend à renforcer l’autonomie

Distance géographique Faible Forte

Ressources propres Limitées Importantes

Culture professionnelle Discipline militaire Initiative de l’opérationnel

Attitude du suzerain Centralisatrice Décentralisatrice

II) Les leviers de l’action : éléments constitutifs de la condition et de la

culture professionnelle du Gendarme opérationnel :

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