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Au sein de la démarche ethnographique, la description et l’analyse approfondis du contexte de l’étude sont des pré-requis essentiels à l’interprétation des données recueillies. Elles sont ce qui permet de comprendre les enjeux de ces « ficelles » (Watson, 2011) que le chercheur tente de saisir et de restituer. Durant l'enquête de terrain, mes informateurs ont souvent affirmé qu'il existerait « autant de Gendarmeries qu'il y a de chef ». Si l'on prend cette affirmation au mot, et qu'on la replace dans le contexte de la Gendarmerie Départementale, cela se traduirait par plus de 3500 espaces singuliers qui auraient tous des modes de fonctionnement spécifiques. Les Brigades représentent en effet plus de 3100 unités, auxquelles s'ajoutent les entités spécialisées, les services de soutien, tous les échelons du commandement opérationnel, etc. Dans les faits, il existe bel et bien de profondes différences entre tous ces lieux. Les besoins du service n'y sont pas identiques, les effectifs et les ressources disponibles – bien que standardisés – ne sont pas répartis sur le terrain de la même manière et il peut exister des différences subtiles entre la manière dont les différents chefs choisissent de réaliser les arbitrages liés à leur commandement. Or, si l'existence de multiples différences et contingences semble être la caractéristique principale des structures de la Gendarmerie Départementale, il ne faudrait pas négliger l'existence d'un dénominateur commun au fonctionnement de toutes ces entités. En d'autres termes, s'il existe bien en Gendarmerie Départementale « autant de Gendarmeries qu'il y a de chefs », cette même Gendarmerie, dans ses principes de fonctionnement, est plus ou moins la même partout. C'est-à-dire : un organisme plastique, centré sur une obligation absolue de moyens et un impératif de réactivité opérationnelle, avec un vaste territoire à couvrir et des ressources limitées pour le faire. Ceci mis en évidence, il me sera difficile de traiter des évolutions qui touchent les rôles des chefs sans parler en premier des évolutions de cette matrice commune, tant du point de vue des principes de son organisation que des points clefs de l'identité professionnelle des Gendarmes eux-mêmes.

Il me faudra donc traiter en premier d'une réalité complexe qui est celle du maillage territorial, celui-ci correspondant à la fois à l'espace et au principe d'organisation de la Gendarmerie Départementale (G.D). Il se traduit notamment par la combinaison d'une dispersion des moyens

opérationnels de première ligne et d'une centralisation progressive des pouvoirs de décision autour d'échelons hiérarchiques successifs. Au sein de cet ensemble, les chefs se trouvent alors à l'interface de ce qui est traditionnellement appelé la « maille humaine » – c'est-à-dire le dispositif opérationnel que constituent les Gendarmes des unités généralistes et spécialisées – et de l'ensemble des fonctions supports qui concourent à son administration. Ils s'inscrivent également dans une chaîne de commandement linéaire qui remonte jusqu'à la Direction Générale (D.G), suivant le principe de la Voie Hiérarchique (VH), et sont les interlocuteurs privilégiés des acteurs de passages – comme par exemple les unités de Gendarmerie Mobile qui interviennent en renfort lors d'événements particuliers ou de périodes d'intensité opérationnelle forte. Comprendre l'évolution de leurs rôles et les défis contemporains qui y sont associés implique avant tout de comprendre cet environnement, qui conditionne largement leurs réalités quotidiennes de travail.

Avant de décrire plus particulièrement cette « réalité humaine » de la Gendarmerie Départementale, qui me servira de cadre premier, plusieurs remarques doivent être prises en considération. La première est qu'il n'existe pas un, mais des archétypes de Gendarmes Départementaux. D'abord, parce qu'ils existe différents types d'unités de Gendarmerie, qui répondent à des missions et des environnements parfois très spécifiques ; ensuite, parce que les militaires de la Gendarmerie regroupent aussi bien des opérationnels que des membres du Corps de Soutien Technique et Administratif de la Gendarmerie (CSTAG), dont les droits et devoirs sont différents. La seconde remarque est qu'il n'existe pas que des militaires en Gendarmerie Départementale. Cela est notamment dû à la « civilianisation » progressive des postes administratifs, où l'on trouve de plus en plus de fonctionnaires issus des ministères des Armées et de l'Intérieur, mais également à la présence de davantage de services mutualisés à la périphérie de l'institution. En plus de se trouver à une position d'interface, le chef évolue donc dans un milieu culturel diversifié, que l'on ne peut pas qualifier d'uniforme, ni d'exclusivement militaire.

Un autre élément à prendre en compte – et qui n'est pas spécifique à la Gendarmerie Départementale, mais peut s'appliquer à la Gendarmerie Nationale toute entière – est le nombre restreint d’auteurs qui en ont fait leur objet d’étude. A ce titre, cette institution n'a bénéficié que d'un nombre réduit de travaux approfondis en sciences politiques et en sociologie (Dieu, 1993, 2002, 2008 ; Lafont & Meyer, 1980) et jamais à ma connaissance en Sciences de Gestion. Pour François Dieu, la Gendarmerie a en effet souvent été oubliée par la recherche du fait de la difficulté à la théoriser […] en tant qu'institution qui ne peut se réduire ni à une quatrième armée, ni à une seconde police. » (Dieu, 2002 ; p.43). Tantôt rattachée à une Sociologie du Militaire, tantôt à une

Sociologie de la Police, tantôt considérée comme membre des politiques de Défense, tantôt de Sécurité, elle a ainsi toujours été fondue dans d'autres grands ensembles sans être abordée spécifiquement. J’ajouterai à cela que l’archétype du Gendarme, qui a pu être documenté par quelques précieuses enquêtes de terrain (Germes, 2014 ; Mouhanna, 2001), a subi des mouvements de transformations au début des années 2010 qui rendent nécessaire son actualisation. Une partie du travail de description que je ferai ici sera donc inspirée directement de ma pratique du terrain. Je m'en servirai pour compléter, interroger et parfois répondre aux éléments trouvés dans les ouvrages académiques.

L'enjeu de ce chapitre sera en tout cas de mettre de l'ordre dans cet appareil complexe et protéiforme qu'est la Gendarmerie Départementale et d'en tracer à gros traits la routine de fonctionnement. Il s'agira également de montrer comment l'obligation absolue de moyens, et donc la vocation à intervenir en tout temps et en tout lieu, vient se matérialiser au delà des principes théoriques, en façonnant le collectif autour de principes d'action forts. J’aborderai donc ici, au travers de mes observations et des références bibliographiques disponibles, les éléments qui permettront de répondre à la Question de Recherche 1 : « Quel est le modèle organisationnel de la

Gendarmerie ? ». Il s’agira ici de poser un certain nombre d’éléments de contexte nécessaires à la

compréhension des changements contemporains. Je traiterai d’abord de l’organisation générale du maillage territorial, de ses dynamiques de pouvoir et des paramètres qui conditionnent l’autonomie des acteurs (I). J’aborderai ensuite les leviers culturels d’action du chef, au travers de la condition du gendarme opérationnel (II). Pour finir, j’évoquerai plus spécifiquement les spécificités de la position de commandement, et la manière dont elle s’intègre dans la Voie Hiérarchique (III).

I) Les paramètres de l’autonomie : le maillage territorial et la relation

hiérarchique :

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