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A la différence des rôles de symbolisation ou de contrôle, les rôles de médiation sont historiquement bien plus effacés et véhiculent des obligations plus discrètes. Pour cause, il s'agit de rôle de proximité, qui impliquent bien davantage le chef dans des relations intimistes et de confiance plutôt que dans des représentations publiques ou des événements formels. Du fait de ce caractère effacé et souvent peu contraignant, et bien que dotés d'un intérêt stratégique fort, ils nécessitent en général que le chef s'y investisse de lui-même. Le développement d'obligations formelles liées à ces rôles, au travers de la transformation culturelle de la Gendarmerie, est dès lors l'un des mouvements qui perturbent le plus l'exercice du commandement en Gendarmerie, en cela qu'il implique un rééquilibrage du répertoire de rôles et du temps qui est alloué à chacune de ses parties. Un commandement formaliste, centré sur les rôles de symbolisation ou de contrôle, est généralement celui à qui la valorisation des rôles de médiation pose le plus de problèmes.

Dans son rôle de « Protecteur », le chef adopte des comportements de soutien, de soin et d'attention à destination des subordonnés desquels il se considère – et est considéré comme – responsable. Cette activité intervient généralement en parallèle du rôle de « Meneur », et encore aujourd'hui, elle est souvent assimilée par la littérature au sein de la figure mythique du « leader »97. Il est considéré comme responsable de leur sécurité et de leur santé, mais également de leur moral. C'est la plupart du temps un rôle de proximité, que le chef met en œuvre au travers de visites ponctuelles, ou à la lueur de certains événements. Il produit à cette occasion des signes d'attention, d'encouragement, de reconnaissance et de disponibilité à l'égard des difficultés vécues. Il répond également aux sollicitations des subordonnés, à leurs demandes de faveurs et à leurs inquiétudes. Dans le fonctionnement général, il peut également mettre en place des stratégies pour limiter la pression portée par ses personnels98. Ce rôle lui sert ainsi à opérer la médiation avec les échelons supérieurs, en endossant par exemple la responsabilité de certains faits ou en jugulant les commandes voire réprimandes qui pourraient venir d'en haut [voir encadré]. Dans toutes ces situations, le rôle de « Protecteur » est davantage un rôle de temporisation ou d'ajustements simples plutôt que de solutionnement de situations complexes. En revanche, l'usage régulier de ce rôle est 97 La question de la responsabilité morale du leader est encore aujourd'hui traitée par différents courants de recherche contemporains sur le leadership, aux travers parfois de contre-figures très fortes. C'est notamment le cas des leaders « martyres » (self-sacrificing leaders) de Choi et Mai-Dalton (1998), comme les leaders « serviteurs » (servant

leaders) de Greenleaf (1977) et les leaders « détoxicateurs » (toxic handlers) de Frost & Robinson (1999).

98 A ce sujet, un Capitaine, adjoint au Commandant de Compagnie, l'avait présenté d'une manière intéressante : « La

chaîne de commandement [...], elle a aussi ses impératifs. Le Colonel, lui, a les siens, le Général a les siens, [...] et on va dire que selon celui qui va redéployer, et sa facilité d'absorber ou pas la pression, ... quand ça arrive en bas c'est plus ou moins bien perçu. Celui qui absorbe bien la pression, il facilite la tâche à tout le monde. » (source : entretien du 15.09.2016).

une source de sécurisation pour les personnels et une source d'information importante sur la vie de l'organisation et ses problématiques. Un chef qui respecte peu les obligations associées à ce rôle recevra moins de signes et de demandes de la part de ses personnels, et fera face à une rétention qui pourra diminuer les ressources de sa position.

Dans son rôle de « Solutionneur », le chef maintient une vigilance globale sur le bon fonctionnement de son organisation et intervient directement pour résoudre les problèmes de ses subordonnés. Là où le rôle de « Protecteur » est axé sur la réduction de la charge sans pour autant modifier le contenu de la situation, le rôle de « Solutionneur » est orienté vers la remédiation, celle-ci pouvant intervenir à plusieurs niveaux, du dysfonctionnement organisationnel aux problématiques interpersonnelles. Par l'usage de ce rôle, le chef intervient alors comme médiateur dans la coordination des projets impliquant plusieurs équipes, comme dans le cadre d'enquêtes judiciaires importantes nécessitant le concours de plusieurs services ou administrations. Il intervient également dans la remédiation des crises internes, en tant qu'arbitre ou solutionneur direct. C'est notamment au travers de ce rôle que le chef collabore le plus avec les personnels dédiés au soutien, desquels il obtient informations, conseils et propositions d'intervention. A titre d'exemple, le rôle de « Solutionneur » peut également intervenir lorsque le décès d'un personnel en service a des répercutions sur la dynamique de l'équipe elle-même et sur le moral des personnels, ce qui peut nécessiter l'intervention de spécialistes ou la réorganisation temporaire du maillage territorial99. 99 Dans l'exemple que j'ai pu observer, le Colonel que je suivais avait décidé – à la suite d'une concertation avec ses

personnels experts et du recueil de retours du terrain – que l'unité en deuil disposerait d'un jour de repos obligatoire, durant lequel les Brigades périphériques prendraient le relais en solidarité. Cette mesure, bien que de courte durée Encadré n°8 : « La vie continue. »

Le Lieutenant-Colonel Geoffroy face à l’agacement du C1 de Région.

Le Lieutenance-Colonel Geoffroy, a un jour donné un exemple très parlant du rôle de protecteur alors qu'il assurait l'intérim de son C1. Alors qu'il se trouvait à son bureau, il reçut un premier appel de son Commandant de Région, qui le réprimanda vivement à propos d'une affaire judiciaire du jours. Après avoir été les premiers sur les lieux, les enquêteurs du Groupement avaient semble-t-il été dé-saisis par le Juge au profit de la Police Nationale. L'affaire était prestigieuse – démantèlement possible d'un trafic important – et aurait pu, selon le Commandant de Région manifestement agacé, être négociée différemment avec le juge pour qu’elle demeure au sein de l’institution. Le Lt-Colonel reçut les réprimandes calmement et humblement, reconnaissant

le point de vue de son supérieur. Une fois l'échange terminé, il appela directement les personnels en cause pour les rassurer, et prendre plus d'informations sur la manière dont la situation s'était déroulée. Il ne leur exprima aucun reproche, et en profita pour relativiser la réaction de la Région, car aucune faute professionnelle n'avait été commise. Plus tard, il proposa au Commandant de Compagnie locale – qui avait supervisé le travail d'enquête – d'aider à la rédaction du Compte Rendu pour s'assurer que les personnels ne soient pas mis en cause.

Plus tard, lorsque nous avons débrieffer sur la situation, le Lt-Colonel Geoffroy . Il conclut par « La vie continue. ».

Dans le développement de la prévention des RPS, certaines Régions de Gendarmerie ont mis en place des démarches transversales de résolution des difficultés, les MAPCI, qui réunissent les différents acteurs du soutien psycho-social et les conseillers concertation. Bien que ce rôle demande un investissement personnel important, via l’établissement d’une vigilance permanente et d’une disponibilité à l’égard des personnels, le chef peut en retirer un certain nombre de privilèges informationnels et décisionnels. Il peut par exemple se mêler du quotidien des personnels, demander à ce qu'on lui rapporte des faits voire s'imposer comme médiateur dans une situation qui nuirait au bon fonctionnement de l'organisation.

Dans son rôle de « Représentant », le chef transmet les messages et attentes qui lui sont confiées, ou dont il se fait lui-même le porte-parole. Il peut s'agir de faire part à sa propre hiérarchie de problématiques ressenties par son propre échelon, ou par les échelons inférieurs. Il porte ainsi, dans une logique ascendante, les attentes de ses personnels et exprime leurs besoins. Dans l'autre sens, il peut, de manière descendante cette fois, faire connaître les problématiques de gestion et les tensions de ses propres services – ou de sa hiérarchie – aux échelons inférieurs, qui peuvent parfois éprouver du mécontentement vis-à-vis de certaines situations compliquées. Dans un contexte culturel marqué par le devoir de réserve et les restrictions de la discipline, le chef qui occupe le rôle de « Représentant » est souvent le seul amené à s'exprimer sur certaines thématiques sensibles. Cela fait du rôle de « Porte Parole » est à la fois un rôle de transmission et de contrôle de l'information, en cela que l'individu qui l'occupe constitue souvent le seul point de passage de l'information entre les entités de la Gendarmerie Départementale. Lorsqu'il fait usage de son rôle de « Représentant », le chef se trouve en position de maîtriser le contenu des messages, que ce soit dans une optique de médiation, d'atténuation ou d’amplification.

Catégorie Rôle Description Exemple d'activités

Symbolisation

Officiel

Représente l'institution et la chaîne hiérarchique dans les moments formels. Est le pilier du cérémonial interne, participe aux événements publics, est garant des bonnes relations avec les institutions partenaires.

Cérémonies, Événements officiels, relations publiques.

Dirigeant

Définit le cadre de la mission et produit les signes qui orientent l'action collective. Fixe les objectifs, diffuse des appréciations, des éléments de langage et de discours, formule la stratégie.

Production d’éléments de langage et de discours, valorisation, réprimandes. Meneur Assure le commandement des opérations et entraîne ses personnels dans

l'action. Sert de modèle et d’exemple.

Participation à l'action, encadrement d'une équipe d'intervention.

Contrôle

Ratifiant Valide les actes administratifs de son organisation. Donne de la légitimitéaux échanges et aux sujets traités. Traitement des parapheurs, signatures, réunions, réponses aux sollicitations. Répartiteur

Distribue les ressources de tous types sur le territoire dont il a la charge. Ces ressources peuvent être permanentes ou temporaires. Organise l’attribution initiale et l’ordre de priorité pour les remplacements.

Décisions d'affectation, organisation de l'approvisionnement et du remplacement du matériel.

Gérant Organise le quotidien de son organisation. Répartis la charge de participation des unités aux dispositifs opérationnels. Répartition de la charge de travail et des temps de repos. Censeur Contrôle l’exécution des ordres, l’atteinte des objectifs et la conformité des actes. Évalue la qualité du commandement. Sanctionne les fautes

professionnelles.

Contrôle informatique, inspections, enquêtes de commandement, sanctions disciplinaires.

Médiation

Protecteur Soutien les personnels et absorbe les différentes pressions. Adopte un comportement d’écoute et sécurise les personnels

Visites, reconnaissance, réponses aux plaintes et demandes.

Solutionneur Résout les problèmes des subordonnés et les dysfonctionnements de l'organisation. Intervient comme remédiateur des crises internes et comme médiateur ou arbitre des conflits.

Coordination, remédiation de crises, animation des réseaux de prévention, concertation.

Représentant Représente les intérêts et les attentes de ses personnels et de son organisation. S’exprime sur les problématiques sensibles.

Médiation, négociations, transmission de demandes.

III) Les ressources de la position de commandement :

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