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b) L’implantation progressive et multiple des acteurs de soutien en Gendarmerie :

L’individualisation des traitements RH n’est pas le seul mouvement impliqué dans cette transition entre un rapport collectiviste et un rapport individualiste au travail en Gendarmerie. Ainsi, en parallèle des acteurs de la concertation, qui se sont progressivement implantés dans la proximité directe des chefs, il est une autre catégorie d'acteurs, plus dispersée, qui illustre un changement transversal au sein de la Gendarmerie. Je les regrouperai sous le titre « d'acteur de soutien », et les situerai principalement en tant que parties prenantes d'une large dynamique de valorisation, au sein de la Gendarmerie, du bien-être psychologique au travail. Le milieu militaire – et la Gendarmerie n'y fait pas exception – entretient un rapport ambivalent avec cette question. D'un côté, la culture militaire a très rapidement intégré et réifié la question du « moral des troupes », jusqu'à en faire un enjeu crucial en matière stratégique60 ; de l'autre, différents éléments comme la mythologie des récits héroïques et la valorisation du sacrifice ont conduit à dévaloriser le champ des émotions, jugées peu viriles et mal adaptées au service. Le militaire et son chef se trouvent alors dans une position d'entre-deux, où la négation de la faiblesse finit par devenir la norme des rapports sociaux, et où les problématiques sont le plus souvent gérées au niveau du groupe. Cette négation est d’autant renforcée que la culture militaire est imprégnée d’une forme d’idéal qui fait de la souffrance un moyen d’endurcissement individuel, une épreuve collective à surmonter, ainsi qu’un moyen légitime de punir. La question de la souffrance, lorsqu’elle était effectivement traitée comme telle, devient alors souvent un problème d’aptitude qui vient déqualifier l’individu sur le plan professionnel.

60 Cette question est à ce point ancrée dans le fonctionnement institutionnel que des services spécialisés des armées produisent aujourd’hui chaque année un rapport sur l’état du moral des troupes.

Cette situation n’a cependant jamais été une négation pure et simple de l’individu. L’institution s’appuie sur un certain nombre de cellules traditionnelles, déjà bien ancrées dans la vie de l'institution. La prise en charge de l’individu a d’abord concerné les dispositifs historiques d’accompagnement des militaires, que sont la Médecine des Armées et l’Action Sociale des Armées. La première, déjà chargée de vérifier l'aptitude physique au service61 et inspirée par la psychiatrie de guerre, se trouvait ainsi au cœur de certaines problématiques sociales ou psychologiques, les militaires cherchant à somatiser une souffrance ressentie, mais difficile à valoriser au sein de l'institution. Dans un autre registre, le lien étroit entre la communauté des Gendarmes et la sphère de la famille, du fait de l'encasernement, a permis à l'Action Sociale des Armées de s'installer durablement et substantiellement dans le paysage gendarmique62, au point que chaque Région de Gendarmerie dispose aujourd'hui d'un Conseiller Technique spécialisé coordonnant l'action de travailleurs sociaux au niveau des Groupements. Encore aujourd'hui, ces professionnels de santé et d’action sociale assurent un triple rôle de prestation, de médiation et d'alerte sur les situations les plus difficiles. Ces deux catégories d'acteurs, plutôt bien implantés dans la sphère militaire, abordent ainsi la question de la santé psychologique par la tangente, soit par le prisme de l'aptitude à l'emploi, soit par le prisme de la condition socio-économique.

La période contemporaine est également marquée par une montée en puissance de l’implication de psychologues professionnels dans la vie de l’institution, notamment dans le recrutement des personnels ou dans le soutien en situations risquées. Le besoin de profilage et d’évaluation psychologique en matière de recrutement s’est développé historiquement à la lueur de l'affaire Lamarre, dans les années 1970, où un Gendarme s'était rendu coupable de plusieurs assassinats. L’introduction de psychologues professionnels en Gendarmerie visait donc, à la base, à éviter que des profils à risque – et donc, de potentiels criminels – puissent intégrer l'institution. L'intérêt s'est ensuite progressivement déplacé sur la notion d'adéquation entre le recruté et le métier, tant du point de vue des capacités personnelles que des préférences et des ressources sociales. Aujourd'hui, les psychologues du travail – rattachés aux Centres d'Information et de Recrutement (CIR), eux-mêmes implantés au niveau des Zones de Défense – sont impliqués principalement dans le recrutement des sous-officiers, des membres du corps de soutien technique et administratif (CTAG) et des voies de changement d'armée, ces dernières correspondant à l'examen des profils de militaires souhaitant intégrer la Gendarmerie depuis un autre corps d'armée. Ils s'impliquent également dans des activités annexes telles que la formation et le diagnostic 61 Circulaire n°85000 du 13 novembre 2015 relative au suivi de l’aptitude médicale des militaires de la gendarmerie

nationale.

62 Circulaire n°34100 du 17 Décembre 1985 relative à l’organisation et au fonctionnement du Service social dans la gendarmerie.

organisationnel63. Dans un second temps, les attentats du RER survenus à Paris en 1995 furent l'événement déclencheur du développement, au sein de la Gendarmerie Nationale, d'une cellule de soutien psychologique. La notion de choc post-traumatique, jusque là réservée aux théâtres d'opérations, se déplaça alors vers la sphère policière. Elle vint également épouser les situations difficiles ou choquantes. Créé en 1997, la cellule de soutien fut d'abord cantonnée au niveau national avant d'être progressivement déconcentré au niveau régional entre 2008 et 201364. Que ce soit pour le recrutement ou le soutien, les psychologues en Gendarmerie sont tous recrutés au titre d'Officier Sous Contrat.

D’une manière générale, la présence de ces nouveaux acteurs de soutien vient souligner et amplifier les conséquences de l’ouverture de la concertation au sein de l’institution. J’entends par là qu’elle ouvre elle aussi, dans le système territorial fortement cloisonné de la GD, un certain nombre de canaux de communication qui s’établissent en parallèle de la Voie Hiérarchique. Ainsi, acteurs de la concertation et du soutien contribuent tous deux, malgré des origines disjointes, au décloisonnement des différents échelons et atténuent l’emprise – jusque là presque totale – du chef local sur la vie de ses subordonnés. Les préoccupations contemporaines sur la santé psychologique et le bien-être généralisé au travail influencent aujourd’hui la relation hiérarchique et font évoluer les manières dont le commandement est perçu, accepté et pratiqué. Là où les grognes avaient ancré l'idée que le silence des personnels pouvait cacher un désaccord, la montée en puissance des préoccupations psycho-sociales s'appuie sur l'idée que le silence peut dissimuler des fragilités importantes qui doivent être prises en compte. Au même titre que les Conseillers Concertations, les acteurs du soutien se placent comme des conseillers du commandement, mais ils bénéficient également d'une position d'expert qui leur permet de développer une autonomie face aux hiérarchies locales, auxquelles ils n’ont pas toujours de comptes à rendre. Cela est notamment dû au fait que toutes les professions de soutien sont à leur niveau garantes d’un secret professionnel qu’elles peuvent, ou non, choisir de rompre si elles considèrent la situation comme suffisamment préoccupante. Ce faisant, elles entrent naturellement dans le jeu stratégique de la relation hiérarchique, en fournissant aux subordonnés d’autres moyens d’expression reposant cette fois sur la mise en avant de leur situation personnelle.

63 Ces activités sont, le plus souvent à l'initiative des professionnels eux-mêmes, qui dépendant alors beaucoup du soutien de leur hiérarchie pour le déblocage des moyens, et du calendrier des recrutements pour les disponibilités. Cédric, l'un de mes principaux informateurs, et ses collègues du centre de recrutement essayaient à ce titre de développer des initiatives de conseil RH à destination des chefs d'unité, mais rencontraient des succès limités du fait des possibilités limitées de suivi.

64 Circulaire n°65500 du 26 août 2009 relative à l’accompagnement psychologique des personnels de la gendarmerie nationale, à la prévention des risques psychosociaux et des situations professionnelles fragilisantes.

c) L’intervention du niveau national dans le jeu territorial : l’institution

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