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Dans le cadre de ce deuxième chapitre, j'ai synthétisé un maximum d'informations pour mieux caractériser le maillage territorial, et ainsi traduire l'image qui a pu en émerger au travers de mes investigations de terrain. Parallèlement, le lien avec les travaux de recherches déjà effectuées sur la G.D au début des années 2000 (Dieu, 2002; Mouhanna, 2001) a permis de mettre en évidence ce que la Gendarmerie était il y a quinze ans, et les grands mouvements de transformation qu'elle a épousés depuis. L’enjeu était d’apporter une réponse à la Question de Recherche 1 : « Quel est le

modèle organisationnel de la Gendarmerie et quels grands enjeux y affectent la construction de la relation hiérarchique ? ». L'ensemble de ces compilations donne une image éminemment

complexe de la dynamique territoriale de la Gendarmerie Départementale. Il s'agit en premier lieu d'un dispositif très étendu et éclaté, dont la pertinence repose sur ses capacités à répondre, dans une logique de projection, aux événements locaux. Par bien des aspects, son système hiérarchique s'apparente à un ensemble de « fiefs », où « suzerains » et « vassaux » construisent leurs marges de manœuvre et contribuent à morceler l'exercice de l'autorité dans l'institution. La discipline militaire, quant à elle, semble opérer différemment selon les moments, de la même manière que l'esprit de corps se manifeste au travers de la participation des personnels à certains événements, ou à certaines pratiques de socialisation, et reste plus silencieux lors du quotidien. La disponibilité, ancrée dans le casernement, subit quant à elle des mouvements de va-et-vient, entre éloignement, tentative de rapprochement et jeux institutionnels autour des corvées et des services. Ces différentes caractéristiques construisent un cadre d’action où l’exercice du commandement peut s’exprimer de manière très personnelle, au sein d’un « domaine » relativement cloisonné.

La construction de la relation hiérarchique est cependant affectée par un mouvement de rationalisation globale, c’est-à-dire par la préférence accordée aux règles au dépend du pouvoir discrétionnaire des détenteurs de l’autorité. Au sein de cette nouvelle configuration, le chef doit faire face à un certain nombre de défis inhérents à sa nouvelle position dans le jeu. Il perd l’usage de la stricte discipline comme recours sécurisant et définitif face au désaccord. Il ne peut plus mobiliser ses personnels sur le seul argument du besoin collectif, mais est incité à raisonner en matière de situations individuelles. Enfin, il dispose de moins de marges de manœuvre pour organiser le temps de ses subordonnés selon sa vision des besoins du service et de l’équité. D’une manière générale, la rationalisation globale du rapport au travail l’amène à devoir rechercher l’égalité entre tous, même si cela doit le contraindre à s’arranger avec une logique de capacité qui

persiste dans les besoins même du maillage territorial.

En parallèle de cela, de nouveaux canaux de communication et d'information se sont ouverts. Les Gendarmes peuvent y exprimer leurs mécontentements et leurs souffrances, mais aussi leurs remarques et aspirations vis-à-vis du travail lui-même. L’existence de ces nouveaux canaux inverse elle-aussi la logique même du fonctionnement traditionnel, en cela que c’est le subordonné, et non-plus le supérieur hiérarchique, qui est décideur de l’importance du message et de la nécessité ou non de le porter auprès des instances compétentes. Le chef, qui évoluait jusque là dans un « fief » relativement cloisonné par la géographie et sécurisé par la réserve imposée au militaire, se voit donc contraint de prendre en compte ces nouveaux canaux, mais aussi de remettre parfois en cause un certain nombre d'habitudes relationnelles vis-à-vis de ses subordonnés. Il y est encouragé par les niveaux hiérarchiques supérieurs, qui mettent à profit ces nouveaux moyens de concertation et d'appréciation pour se rapprocher des préoccupations du terrain, mais aussi par la mémoire des grognes qui fait du commandement un exercice sous tension.

Ainsi, tout semble se passer comme si l'autorité du chef, au sein de sa zone de proximité, n'était plus entièrement garantie par la sujétion du militaire à son devoir ou par une forme de conditionnement culturel au respect des ordres. Plus globalement, les nouvelles conditions qui s’appliquent au commandement amènent à en rationaliser l’exercice, par le biais d’une recherche d’égalité. Faut-il y voir un abandon définitif de l’exercice personnel du commandement en Gendarmerie Départementale ? Plusieurs éléments amènent ici à relativiser cette idée, bien qu’il soit évident que des changements profonds se sont manifestés dans la pratique. D’abord, cette transformation ne retire pas au chef la responsabilité du maintien d'une capacité opérationnelle et de maîtrise du territoire, censée répondre à l'obligation absolue de moyen caractéristique de la Gendarmerie Départementale. D’une certaine manière, l’institution attend donc toujours du chef qu’il soit le maillon décisif du collectif. A ce titre, un grand nombre de ses prérogatives de décision sont maintenues, et aucun contre-pouvoir formel n’est institué. Ensuite, si l'autorité traditionnelle semble en effet remise en question, elle s'accompagne manifestement de nouvelles possibilités de cultiver les loyautés ou de ménager des marges de manœuvre qui n’ont pas encore été présentées à ce stade du développement. On peut cependant déjà en percevoir quelques indices. A titre d’exemple, grâce à l'émergence des métiers de la concertation et le renforcement des métiers du soutien, l'officier en position de commandement dispose de nouvelles ressources de conseil, lui permettant de peser le poids humain de ses décisions. Du point de vue du système, la rationalisation se pose aussi comme une double sécurité : le gendarme lui-même devient moins vulnérable aux

erreurs d'appréciation de son chef, et dispose de nouveaux moyens de communiquer ses propres tensions.

Pour autant, le développement d’un commandement harmonieux demeure une activité problématique. Elle dépend ici de la manière dont le chef conjugue ses prérogatives et les nouvelles contraintes qui s’imposent à lui : c’est-à-dire, de la façon dont il joue au jeu de la relation hiérarchique. Le problème de ce travail est alors posé dans ses grands axes : il sera ici question de la manière dont les chefs opèrent cette adaptation à ce nouveau contexte, et des enjeux pratiques de cette adaptation. Dans le cadre de la prochaine partie (III), la notion de « répertoire de rôle » sera mobilisée pour rendre plus concret et lisible ces fameuses prérogatives qui découlent à la fois du système d’arme en lui-même et de la culture militaire. Ainsi, il sera possible au lecteur de mieux saisir les différents mouvements du jeu que la recherche se propose d’étudier, et ainsi d’entrer dans le détail des différentes manières de jouer. Il sera d’abord question de construire le cadre théorique nécessaire à une telle entreprise (Chapitre I). Ensuite, il sera proposé au lecteur une modélisation de chaque rôle du répertoire associé à la position de commandement (Chapitre II). Enfin, la question de l’effet de la rationalisation sur les pratiques se posera, décrivant non-pas l’abandon de l’exercice personnel du commandement, mais bien plutôt l’abandon d’une certaine posture d’autorité pour une posture de soutien (Chapitre III).

Bibliographie de partie :

Ayache, M., & Laroche, H. (2010). La construction de la relation managériale. Le manager face à son supérieur. Revue française de gestion, 36(203), 133-147.

Crozier, M., & Friedberg, E. (1977). L’acteur et le système, Editions du Seuil. Dieu, F. (1993). Gendarmerie et modernité. Paris: Montchrestien.

Dieu, F. (2002). La Gendarmerie secrets d’un corps (Éditions Complexe). Dieu, F. (2008). Sociologie de la Gendarmerie. L’Harmattan.

Fontaine, J. (2007). Socioanthropologie du Gendarme. Gendarmerie et Démocratie. Paris: Editions L’Harmattan.

Germes, M. (2014). Cartographies policières : la dimension vernaculaire du contrôle territorial: Une enquête dans la gendarmerie française. EchoGéo, (28).

Jakubowski, S. (2011). L’institution militaire confrontée aux réformes organisationnelles. L’Année sociologique, 61(2), 297.

Lafont, H., & Meyer, P. (1980). Le nouvel ordre gendarmique (Le Seuil). Paris.

Lizurey, R., & Parayre, G. (2006). Gendarmerie nationale : Les soldats de la loi. Paris: Presses Universitaires de France - PUF.

Luc, J.-N. (2005). Histoire de la Maréchaussée et de la Gendarmerie, Guide de recherche (Maison-Alfort). Service historique de la Gendarmerie Nationale.

Mintzberg, H. (1984). Le manager au quotidien : Les dix rôles du cadre (2e édition (2006)). Paris: Editions d’Organisation.

Mouhanna, C. (2001). Faire le gendarme: De la souplesse informelle à la rigueur bureaucratique. Revue Française de Sociologie, 42(1), 31.

Samson, F., & Fontaine, J.-Y. (2005). Malaise dans la gendarmerie (Sciences sociales et sociétés). Puf.

Thieblemont, A. (1999). Cultures et logiques militaires (PUF).

Watson, T. J. (2011). Ethnography, Reality, and Truth: The Vital Need for Studies of ‘How Things Work’ in Organizations and Management: Ethnography, Reality, and Truth. Journal of Management Studies, 48(1), 202-217.

PARTIE III :

DE L'ACTIVITÉ AUX RÔLES ET AUX

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