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On trouve au sein du répertoire du chef trois rôles qui comportent une importante activité d'usage des symboles et des codes culturels de la Gendarmerie. Ces rôles sont également ceux qui fondent une grande partie du prestige de la position de commandement. S'ils imposent un certain nombre de moments dus à l'organisation, et des activités plus longues et continues que les autres activités du chef – par exemple, une cérémonie ou une rencontre officielle peut durer plusieurs heures sans décrochage possible – c'est dans les attentes comportementales que ces rôles se distinguent des autres. Parce qu'ils reposent sur le regard des autres membres de l'institution et des acteurs extérieurs, les rôles de symbolisation impliquent un grand nombre d'attentes et d'obligations qui, si elles ne sont pas satisfaites, peuvent handicaper le chef dans son travail quotidien. Elles ont également pour caractéristique d'être très ambiguës, et vont nécessiter un exercice de compréhension plus marqué que pour les autres rôles. De fait, ces rôles de symbolisation sont généralement plus difficiles à déléguer, et nécessitent une grande attention quant à leur distribution.

En tant qu' « Officiel », le chef représente l'institution dont il est reconnu comme étant l'une des figures, tant sur le plan interne qu'en externe. En interne, il est d'abord le pilier du cérémonial. Une cérémonie est d'ailleurs consacrée à son entrée dans la position, et il a aussi la charge d'introniser les chefs qui entrent en fonction sous son commandement. Il est également le représentant de sa chaîne hiérarchique lors des moments formels de concertation, d'entretien avec les personnels, etc. En externe, par sa participation à certains événements publics ou restreints, il atteste de l'intérêt de la Gendarmerie – en tant qu'entité publique – pour le sujet qui est traité ou pour l'organisation qui l'accueille. Parce qu'il est imbriqué de plein pied dans un jeu complexe d'échanges de faveurs, de services ou d'informations avec les acteurs du territoire, le rôle de « Officiel » est vecteur de nombreuses obligations pour le chef. Il devient garant de la bonne entente entre son institution et les autres acteurs du territoire, et devient ainsi extrêmement sensible à l'image que renvoie sa présence – ou son absence – à certains événements. Il est sollicité pour participer à des cérémonies civiles, à des rencontres protocolaires, à des réunions ou des conférences. Son rôle de représentation s'exprime aussi dans les relations publiques, où il devient garant de la réputation et du prestige de son institution. Il reçoit également sollicitations et plaintes de la part des populations civiles de son territoire, auxquelles il doit répondre, et s'exprime face aux médias et autres acteurs d'information. Cela peut lui imposer de donner le change ou de se

conformer à une façade acceptable pour le public, voire à ne pas communiquer certaines informations dont il dispose pour préserver la réputation de son institution ou de ses supérieurs hiérarchiques. Pour autant, en parallèle de ces exigences, le rôle d' « Officiel » fournit également des ressources conséquentes. En interne, les cérémonies lui fournissent une occasion de réunir des acteurs éparpillés sur le territoire, et lui offrent une tribune pour s'adresser à eux. Dans le cadre de ces moments externes à l'institution, le rôle d' « Officiel » permet d'accéder à des acteurs importants du territoire plus facilement qu'en temps normal, en accédant aux coulisses de la scène. Chaque cérémonie ou réception se partage alors entre l'activité de représentation symbolique et l'échange informel d'informations, de faveurs, etc. Les moments de rencontre, en interne ou externe, peuvent également servir à tisser entre les personnes une forme de familiarité qui sera utile dans les moments où la confiance jouera un rôle important.

Dans son rôle de « Dirigeant », le chef est celui qui a la charge – et le privilège – de produire les signes qui orientent l'action collective. Pour ce faire, il définit le cadre des missions en s'appuyant sur les codes de l'institution militaire, fixe les objectifs à atteindre, récompense les comportements méritants, recadre ou dévalorise ceux qui lui déplaisent, diffuse des éléments de langage, des discours, etc. De la même manière, il est souvent à l'origine des changements internes à sa propre organisation, desquels il prend symboliquement la responsabilité93. Du fait de cette responsabilité de « montrer la voie », les comportements du chef sont souvent interprétés comme signifiants, et analysés en ce sens par les individus qui y cherchent l'orientation globale de l'action94. De plus, dans le cadre de ses relations et des interactions quotidiennes, le chef peut souvent compter sur le fait d'occuper une place privilégiée. Elle est notamment fondée sur asymétrie de droits et de devoirs, le subordonné à de nombreuses obligations très contraignantes - l'obéissance, de la loyauté, de la transparence, etc - qui placent nécessairement le chef en position avantageuse. Dans le cadre du rôle de « Dirigeant », le chef peut exprimer des exigences, des commentaires, des réprimandes et des félicitations sans que cela soit perçu comme illégitime ou déplacé. Le subordonné, quant à lui, doit davantage soigner sa communication, et souvent se restreindre à exprimer des demandes ou des suggestions. Il ne dispose pas de moment où il peut exprimer – publiquement – un jugement sur 93 Je n’ai ici pas cherché à séparer le rôle de meneur et celui d'entrepreneur de changement, notamment parce que, dans l’organisation militaire, l’initiative de démarrer un changement qui affectera l’organisation dans son fonctionnement est rarement prise par un acteur autre qu’un chef, bien que celui-ci puisse par la suite en déléguer l’exécution ou le suivi. La gestion du changement dans son ensemble est dans tous les cas le fruit de l’usage conjoint du rôle de « Dirigeant » et de « Ratifiant ».

94 On retrouve ici un cousinage avec ce que Mintzberg établissait pour les cadres : «[...] en pratique, presque toutes les

actions du cadre sont examinées avec attention par ses subordonnés qui y cherchent des indices leur montrant la voie à suivre.» (Mintzberg, 1984 ; p.72). On peut alors parler d'une influence double du comportement du leader sur

la conduite de l'action, en cela que le sens repose sur l'interprétation par le « follower » de tous les signes, voulus et non-voulus, produits par le « leader ».

son chef ou ses pratiques, et doit généralement se contenter de le faire dans des moments privés95. Pour autant, le rôle de « Dirigeant » est associé à des obligations conséquentes, ainsi qu'à une forte pression liée à l'exercice de son rôle. Il doit par exemple dédier une partie conséquente de son activité à concevoir une stratégie et à déterminer une manière de la mettre en œuvre. On attend également de lui qu'il soit solidaire de sa chaîne hiérarchique, et qu'il répercute les décisions prises par les échelons supérieurs dans sa propre posture. Ensuite, parce qu'il est impliqué en plein dans la production de sens, le chef doit porter une grande attention à la façade qu'il présente aux autres membres de l'organisation, à l'ensemble de ses gestes et paroles, de manière à construire une ligne de conduite cohérente qui puisse être acceptée par ses personnels. Il peut ainsi être amené à devoir donner le change dans les moments qu'il maîtrise mal ou peu, ou lorsqu'il applique une politique à laquelle il n'adhère pas entièrement. L'exercice du rôle de « Dirigeant » porte donc en lui le risque d'isolement et limite parfois les possibilités de soutien social.

Dans son rôle de « Meneur », le chef assure le commandement des opérations. Lorsqu'il n'est pas présent sur les lieux, il a le privilège de recevoir en priorité les rapports des situations. Lorsqu'il se rend physiquement sur le terrain, il atteste de l'importance de la situation et prend symboliquement la responsabilité des opérations. A ce titre, il peut être sollicité par les personnels qui souhaitent son intervention. La tradition militaire, en fait une figure quasi-mythique, voire mystique, du fonctionnement de l'institution. Elle insiste sur la notion d'exemplarité et fait du chef une figure de modèle. De la même manière que le rôle de « Dirigeant », le rôle de « Meneur » est associé à de très lourdes contraintes comportementales, du fait de l'attention qui est portée par les subordonnés aux postures et attitudes du chef. Ainsi, du fait de son rôle de « Meneur », il est difficile pour le chef de faire état d'une faiblesse personnelle, d'un doute, ou d'un moment de fatigue. D’une manière générale, la dynamique des opérations de terrain a été peu investiguée dans le cadre de cette étude. Cela résulte à la fois du caractère limité des moments passés dans les unités, mais aussi des difficultés liées à l’observation in situ de l’activité opérationnelle. La majorité des informations relatives à ce rôle ne provient donc pas d’observation directe, mais d’un travail de recoupement entre les moments de présence au sein du CORG ou en PC opérationnel, des éléments de discours des différents officiers ou sous-officiers, etc.

95 Pour autant, j'aurai l'occasion de montrer que le subordonné n'est pas limité à une simple fonction d’exécutant, et peut manœuvrer de différentes manières afin de faire peser ses attentes dans la relation. J'en parlerai notamment au moment d'aborder la question de la rétention des ressources du rôle.

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