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b) Reconfigurer dans la pratique : entre multiplication des contacts directs et fédération des ressources de conseil :

J'ai commencé ce chapitre en expliquant en quoi certains chefs opéraient, chacun à leur manière, une transition d’une logique de contrôle à une logique de soutien. La deuxième étape de ce développement implique de mettre en évidence les pratiques qui nourissent cette transition au sein même du travail d'encadrement. Parce qu'elle implique une reconfiguration de la relation hiérarchique, et donc de l'usage des rôles, la transition du contrôle au soutien passe en effet par un repositionnement du chef vis-à-vis des membres du groupe dans lequel il s'insère. Ici, je

m'intéresserai principalement aux éléments qui ont pu être observables dans le cadre ma recherche, à savoir le travail actif sur les interactions. Je reviendrai sur deux lignes d'actions en particulier : la première consiste en la multiplication des contacts directs avec les subordonnés, la seconde en la fédération autour de la position du chef des ressources de conseil.

De par la prépondérance des rôles de contrôle et l'importance accordée au registre symbolique, la position de commandement a traditionnellement isolé le chef de l'ensemble de ses subordonnés. Cela est d'autant plus vérifié dans le cas de la Gendarmerie Départementale, où la distance géographique vient souvent s'ajouter à la distance hiérarchique. Parmi les chefs observés, ceux qui mettaient en place la transition vers le soutien s'appuyaient dès lors sur un rapprochement par le biais d'une multiplication des contacts directs avec les subordonnés. Cette pratique se développait sur trois axes principaux : en premier, la visite aux personnels en dehors de séquences de production d'ordres ; en second, la conversion de moments solennels en occasions de dialogues ; et enfin la mise en place d'une attitude globale de disponibilité. Dans le premier axe, les chefs observés multipliaient les occasions de rencontrer personnellement leurs subordonnés et de venir les visiter sur leur lieu de travail. Au sein même de l'organisation, cette démarche passait par de légers ajustements dans l'activité de la journée, notamment par la mise en place de rituels à l'ouverture et à la fermeture112. A l'extérieur de l'organisation, elle impliquait d'exploiter les déplacements pour y introduire des moments inopinés de visites à des unités. Le ton de ces rencontres était pour la plupart informel, et pouvait remplir plusieurs objectifs comme le suivi d'une décision, le recueil d'informations sur le climat global de l'unité, etc. Dans le cas du deuxième axe, la pratique du contact s'exprimait dans la conversion de moments solennels en occasions de dialogues. Cette pratique était particulièrement observable lors des inspections annuelles, où la dimension disciplinaire laissait la place à des pratiques de dialogue social. Le moment de l'inspection lui-même, comme la cérémonie de la revue des troupes, était écourté pour laisser la place à une réunion destinée à faire remonter les problématiques locales, et la venue du chef devenait par la suite prétexte à un moment d'échange informel, voire de convivialité, entre le chef et ses subordonnés. Enfin, dans le troisième axe, les chefs observés adoptaient des attitudes destinées à construire un sentiment de disponibilité.

112 A titre d'exemple, un Commandant de Groupement avait pour habitude de visiter l'équipe de son CORG avant de commencer sa journée de travail. Ne pas attendre la réunion du matin pour être informé d'événements importants, mais également de témoigner de la reconnaissance et de l'attention à des personnels qu'il estimait parfois isolés, et dont le travail pouvait être éprouvant.

Les chefs observés avaient également tendance à aborder les nouveaux acteurs de la concertation et du soutien comme des ressources supplémentaires pour la prise de décision. L'opportunité était plus forte dans le cas des concertants qui, malgré leur indépendance de fait et leur possibilité de mobiliser des canaux transversaux, n'occupaient pas une position de contre-pouvoir dans l'organisation du fait du maintien de la relation hiérarchique. L'une de ces pratiques de rapprochement consistait par exemple à associer le concertant à l'activité même du chef, le faisant ainsi entrer dans le cercle privé de ce dernier. Cette inclusion pouvait s'effectuer de plusieurs manières, comme le transfert physique de l'espace de travail du concertant au sein du Groupe de Commandement, voire du Cabinet. Elle pouvait également passer par l'inclusion du concertant dans

Encadré n°10 : Sur le chemin du retour

Visiter une unité entre deux impératifs.

Dans le cadre d’une journée de shadowing avec le Colonel Joshua (Carnet 9). La journée était particulièrement chargée et marquée par des déplacements constants : un début aux environs de 06h au bureau ; la matinée consacrée à l’inspection de la Compagnie Q – l’une des plus éloignées du Groupement – suivie d’un déjeuner de cohésion avec les personnels ; puis, une réunion dans une unité de la Compagnie voisine pour la préparation de l’expérimentation d’une Brigade de Contact. Pour finir, nous devions conclure par un travail de relations publiques à un pot organisé par une députée locale.

Nous étions 3 dans la voiture : le Colonel, son conseiller concertation – qui assurait également, pour cette fois, le rôle de chauffeur – et moi. Sur la route, alors que nous nous rendions au pot de la députée, le Colonel Joshua demanda à son conseiller de faire un détour pour rendre visite à une unité dont il avait suivi régulièrement le dossier. Cette visite n’était initialement pas prévue, mais le Colonel souhaitait profiter de l’occasion de passer à proximité. Il s’agissait d’une unité avec un historique de difficultés d’effectifs, à qui il a accordé une attention particulière en matière RH. Par cette visite, il souhaitait s’assurer en personne que les mesures prises avaient été efficaces.

Arrivés à l’improviste, nous surprenons le Gendarme qui assure la permanence. Nous sommes en fin de journée – un peu plus de 18h – et la plupart des militaires sont en patrouille ou chez eux, dans la caserne. Le Colonel refuse que l’on dérange les gendarmes en les faisant revenir : il échange cependant avec les personnels présents. Il en connaît quelques uns de vue, ou d’entretiens précédents. Au moment de repartir, dans la voiture, le Colonel conclut

cette visite impromptue par une phrase, adressée à son conseiller concertation et moi-même :

« Ça me fait plaisir pour cette unité. C’est une unité pour qui ça marche bien au niveau RH. C’est une joie simple du commandant de groupement ! ».

Un tel événement est, sur le plan objectif, relativement anodin. Au total, la visite n’aura duré qu’une dizaine de minutes, et le Colonel n’aura pas pu voir l’ensemble des personnels. Aucun problème majeur n’aura été désamorcé, et l’unité n’était, semble-t-il, pas particulièrement en demande d’une visite. Pour autant, dans le contexte bien précis de la Gendarmerie Départementale et au regard de l’intensité du travail du chef – nous étions, ce jour-là, dans un flux tendu d’activité – un tel comportement me semble hautement significatif. Il témoigne d’une démarche de multiplication des occasions de contacts, même les plus anodins, à la fois dans une optique de suivi des dossiers et d’émissions de signaux de soutien à l’égard des opérationnels. Ce faisant, elle contribue à réduire la double distance, tant hiérarchique que géographique, entre le chef – et ici suzerain – et les opérationnels de terrain.

Il est enfin intéressant de noter que l’organisation d’une telle posture ne va pas de soi. Elle implique une vigilance globale à l’égard des opportunités de contact qui se présentent, et qui parfois ont besoin d’être provoquées. Ainsi, dans un autre contexte, la voiture du Colonel aurait très bien pu se contenter de passer à proximité de la fameuse unité sans jamais s’y arrêter, et sans que cela ne cause en soi de problème dans l’organisation de son agenda déjà bien chargé.

des visites ponctuelles aux unités, la mutualisation des déplacements113, etc. Ce rapprochement semblait dès lors avoir deux avantages. En premier lieu, il permettait d'établir une acclimatation, voire une familiarité entre le chef et le conseiller concertation ; en second lieu, il permettait un échange d'informations plus conséquent et moins formel entre les deux personnes. Pour le chef, ce contact permettait notamment d'être informé des détails du fonctionnement de son organisation, qui auraient pu être omis dans une synthèse trop périodique ou formelle. Loin d'être systématique, ce rapprochement entre le chef et les concertants dépendait toujours de la volonté de la personne en position de commandement, seule habilitée à faire appliquer les changements de cadre qui permettent l'inclusion du concertant. D'un autre côté, les chefs les plus impliqués dans ces stratégies d'adaptation tendaient également à mobiliser davantage les acteurs de soutien dans le cadre de leurs décisions, à titre consultatif. Dans les cas les plus avancés, ces acteurs pouvaient même être réunis dans des dispositifs transverses, comme les MAPCI. Cette pratique de rapprochement avec les acteurs de soutien impliquait cependant un niveau d'adaptation supplémentaire, du fait notamment du secret médical ou professionnel qui ne permettait pas toujours aux acteurs du soutien de s'exprimer sur le détail des cas personnels. De plus, le fait que les acteurs de soutien soient majoritairement situés dans les échelons hauts de la hiérarchie – la Région pour les psychologues et les médecins, le Groupement pour les travailleurs sociaux – empêchait généralement les échelons les plus opérationnels de profiter de cette relation de proximité.

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