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c) L’intervention du niveau national dans le jeu territorial : l’institution face à la problématique du harcèlement

J’ai pour l’instant abordé de manière assez générale la manière dont l’individualisation des traitements et les préoccupations relatives au bien-être psychologique participait à la rationalisation des rapports humains au sein de la Gendarmerie Départementale. Par le biais d’une recherche d’égalité entre les militaires, elles viennent en effet introduire un certain nombre de contraintes et de nouveaux leviers d’influence qui transforment la logique jusque là presque collectiviste avec laquelle l’institution gérait ses personnels. L’une des conséquences les plus remarquables de cette rationalisation est sans nul doute le décloisonnement qu’elle entraîne entre les différents échelons, bien que celui-ci n’ait pour l’instant été abordé qu’à l’échelle du territoire. Les différents canaux de communication qui ont été jusque là présentés demeurent en effet malgré tout reliés à la hiérarchie locale : les conseillers concertations forment un réseau en miroir des différents échelons et chaque conseiller occupe différentes fonctions auprès de son chef et les différents acteurs de soutien dépendent soit du Groupement, soit de la Région. Dans le cas qui sera présenté ici, je tâcherai de m’intéresser à un exemple de décloisonnement plus radical encore, matérialisé par l’ouverture de canaux directs entre le local et le national.

Mis en place depuis 2014 par l'Inspection Générale de la Gendarmerie Nationale (IGGN), le dispositif « Stop-Discri » est une plateforme informatisée de signalement destinée à lutter contre les discriminations et le harcèlement au travail. Elle est mise à la disposition de tous les personnels de la Gendarmerie Nationale, sans nécessité d’en avertir leur hiérarchie ou de requérir une quelconque forme d’autorisation65. Elle vient ainsi s’ajouter aux différentes formes de signalement déjà présentes dans l’institution, tels que le compte rendu hiérarchique, la possibilité de saisir l’Inspecteur Général des Armées ou l’opportunité de mobiliser un représentant du personnel. Dans la continuité des préoccupations relatives à la santé au travail et aux risques psychosociaux, la mise en place d’un tel dispositif traduit un mouvement extrêmement volontariste, d’autant plus qu’il est porté par une organisation spécialement dédiée au contrôle interne : l’IGGN. Le traitement du signalement s'effectue alors en trois phases : un entretien téléphonique avec la personne rapportant les faits ; la mise en œuvre d’une investigation ; et enfin, la production d'un rapport. Dans le cadre de la procédure, quatre niveaux d'investigation complémentaires sont possibles : la demande 65 L'instruction n°114000 du 20 Décembre 2016 établit à ce titre que : « tout personnel civil ou militaire, victime ou

témoin de faits de harcèlement moral ou sexuel, de discriminations ou de violences commis au sein de la gendarmerie peut directement émettre un signalement auprès de l'IGGN via la plate-forme de signalement ».

d'informations au commandant de la formation concernée ; la prescription au commandant de la formation concernée d'ouvrir une enquête de commandement ; la mise en place par l'IGGN d'une enquête administrative ; et enfin, l'ouverture par l'IGGN d'une enquête judiciaire. Dans certains cas, et avant la fin de la démarche d’enquête, l’IGGN peut solliciter une intervention directe du commandant de la formation concernée pour mettre en place des mesures de protection à destination de la victime supposée.

D’une manière générale, l’introduction de ce dispositif rentre dans l’optique de la rationalisation des rapports humains, où une prise en charge individualisée des cas est privilégiée à une gestion collective. Cela permet à un signalement d’être traité de manière a priori égale, peu importe son contexte d’émission ou la qualité des personnes mises en cause. Elle se démarque cependant des autres formes déjà évoquées par la libéralité et la facilité de son usage, en cela qu’il s’agit d’une possibilité de signalement immédiate qui ne nécessite pas le passage par un quelconque intermédiaire. Si l’existence d’une telle démarche est une avancée cruciale pour les victimes, du fait de la difficulté réelle qui existe à détecter et qualifier le harcèlement dans les organisations au travers de moyens traditionnels, elle représente également un défi important pour l’organisation elle-même, et notamment pour le commandement. Sur cette question, j’ai déjà pu aborder de nombreuses fois la question de la centralité du chef dans son « domaine ». J’ai également déjà évoqué le fait que l’ouverture de nouveaux canaux de communication en parallèle de la Voie Hiérarchique venait décloisonner les différents échelons. Ce décloisonnement a notamment pour conséquence de priver le chef de l’exclusivité d’une partie de sa maîtrise de l’information. Or, dans le cadre du dispositif « Stop-Discri », cette ouverture sur l’extérieur prend une configuration particulière.

L’émission d’un signalement a en effet cela de particulier qu’elle vient attirer l’attention directe d’une organisation de l’échelon national sur le cas d’un échelon local. Dans le cas où il aboutirait à la formalisation d’une enquête, le dispositif contraint alors le chef à laisser à l’appréciation d’un regard extérieur les différents détails de son exercice personnel du commandement. Cette ouverture au regard extérieur, déjà complexe dans le cadre d’une relation de vassal à suzerain, implique une pression supplémentaire liée aux enjeux de l’enquête et de son résultat. Lorsque le chef lui même est mis en cause, cette pression se cumule avec la question de l’image et de la réputation. Au sein de l’organisation militaire, encore très largement inspirée par des archétypes de meneurs charismatiques et irréprochables, la mise en cause d’un chef par le biais d’un signalement peut en effet – dans les cas où elle est infondée – se trouver très problématique.

Un bon indicateur de la tension liée à ce processus apparaît notamment lorsqu’on s’intéresse aux contre-mesures prises par l’institution elle-même pour protéger les personnels mis en cause et reconnus innocents à la suite de l’enquête. Si l'instruction n°114000 prévoyait déjà que « Elle [L'IGGN] porte une attention particulière aux personnels mis en cause injustement et peut proposer des mesures particulières les concernant.» (Chapitre 3), la Note-Express n°41892 du 08 Juin 2017 précise cette intention de départ et prévoit trois mesures pour les personnels injustement mis en cause : l'édition d'un courrier de soutien ; la mise en place d'un entretien individuel ; le déplacement au sein de l'unité concernée pour faire connaître officiellement les conclusions de l'IGGN. L’efficacité de telles mesures de réparation restent aujourd’hui à évaluer, tant du point de vue du moral du chef lui-même que de l’ambiance des unités qui font l’objet de ces démarches d’enquête.

D’une manière générale, la rationalisation contribue donc à modifier l’équilibre des forces dans la négociation de la relation hiérarchique : elle met en avant les contingences individuelles dans la gestion des parcours de carrière et développe des mesures de protection ; elle valorise le bien-être psychologique du Gendarme dans son travail et lui propose de nouveaux intermédiaires pour l’aider à exprimer un malaise ; enfin, elle confère au subordonné des moyens très directs d’expression et de déclenchement contre les injustices et les discrimination dont il s’estimerait victime.

III) Réformer le temps de travail : entre devoir de service et droit au

temps libre :

a)

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