• Aucun résultat trouvé

Le rattachement de la règle de la certitude du préjudice à la lex mercatoria

PARAGRAPHE I. L’INDEMNISATION DU PREJUDICE CERTAIN

A. L’établissement de la certitude du préjudice

2. Le rattachement de la règle de la certitude du préjudice à la lex mercatoria

215. – Il est bien établi dans la jurisprudence arbitrale que le caractère certain du

préjudice relève de la lex mercatoria (a), alors qu’il est toujours important d’invoquer aussi le rôle de la preuve de l’existence du préjudice en tant qu’un aspect de l’application d’une règle de la lex mercatoria (b).

a. Le caractère certain du préjudice en tant que règle de la lex mercatoria

216. – Le professeur E. Gaillard, lors de son commentaire relatif à la sentence AAPL

contre Sri Lanka rendue sous les auspices du CIRDI en 1990314, a constaté que ladite sentence, ainsi que les autres sentences auxquelles elle fait référence, ont fait recours à l’un des principes de droit international selon lequel un préjudice futur peut être toujours indemnisable s’il est certain315. De même, I. Seidl-Hohenveldern a pu relever expressément le fait que « le droit international n’admet pas de dommages et intérêts spéculatifs ou incertains »316. Dans une autre affaire CIRDI, celle de SPP contre Egypte, dont la sentence a été rendue le 20 mai 1992, les

312

V. en ce sens, McGregor Harvey, Spencer Martin et Picton Julian, McGregor on damages, second supplement to the eighteenth edition, London, Sweet & Maxwell, cop. 2011, pp. 55 et s.

313 V. David Pearce and Roger Halson, Damages for breach of contract : Compensation, restitution and vindication,

Oxford Journal of Legal Studies, Vol. 28, N˚ 1, 2008, p. 76 « For nominal damages are ‘not intended to compensate for anything at all’ but are awarded simply ‘to mark the fact that there has been a breach of contract’ ».

314 Société Asian Agriculture Product Ltd. (A.A.P.L.) c. Sri Lanka, CIRDI, Affaire n˚ ARB/87/3, sentence rendue le

27 juin 1990, E. Gaillard, La jurisprudence du CIRDI, éd. A. Pedone, 2004, op. cit., p. 323.

315 Mireille TAOK, La résolution des contrats dans l’arbitrage commercial international, thèse précitée, op. cit.,

2009, n˚ 184, p. 127 ; E. Gaillard, La jurisprudence du CIRDI, Vol. I, A. Pedone, p. 342.

316

I. Seidl-Hohenveldern, L’évaluation de dommages dans les arbitrages transnationaux, Annuaire Français de Droit International “AFDI”, Vol. 33, 1987, p. 16.

arbitres ont toujours confirmé le fait que « l’une des règles les mieux établies du droit de la responsabilité internationale est qu’aucune réparation pour des dommages hypothétiques ou incertains ne peut être accordée »317. En outre, les arbitres dans cette sentence ne se sont pas référés au droit national applicable au fond pour relever le caractère certain du préjudice, en relevant le rattachement de sa certitude sur les règles de la lex mercatoria, et à cette fin ils ont fait référence à une autre affaire CCI n˚ 3099/3100 qui a adopté une démarche juridique identique318.

Cette sentence était une contribution intéressante à soulever à ce propos. Dans ce cas, l’existence du préjudice n’était pas mise en cause expressément en elle-même, mais c’était plutôt l’évaluation des dommages subis qui n’était pas appréciée précisément par la partie demanderesse. Les arbitres ont adopté une position ferme quant à l’exigence de la justificatio, par la demanderesse, de la somme d’indemnisation équivalente au préjudice subi. Ce qui signifie d’ailleurs la non contestation de l’existence des conséquences néfastes, mais qu’aucune précision n’a été apportée sur la justification du montant du préjudice subi. Le Tribunal, qui n’a pas procédé, à juste titre, à une indemnisation forfaitaire dans ce cas afin de ne pas rendre une décision arbitraire, a refusé ainsi l’allocation d’indemnisation, vu qu’il n’y avait pas d’éléments susceptibles d’évaluer, même approximativement, le préjudice subi319.

217. – Il s’avère de l’exigence du caractère certain du préjudice, par les arbitres, afin que

celui-ci soit indemnisable, et de sa mise en application en dehors d’une règle étatique quelconque, notamment le droit interne applicable au fond du litige, que la certitude du préjudice relève d’une règle de la lex mercatoria. Une telle solution est déjà ancrée d’une manière expresse, avec des applications constantes, depuis longtemps. Les deux sentences CCI n˚ 3131/1979320 et 5904/1989321 en représentent des exemples en rattachant expressément la certitude du préjudice à la règle de la lex mercatoria. Le Tribunal arbitral, dans la première sentence, a pris soin de vérifier si la résolution fautive du contrat en l’espèce a effectivement

317

Southern Pacific Properties (Middle East) Limited “SPP Ltd” c. La République Arabe d’Egypte, CIRDI, affaire n˚ ARB/84/3, sentence rendue le 20 mai 1992, E. Gaillard, La jurisprudence du CIRDI, op. cit, p. 347.

318 V. Recueil des sentences arbitrales de la CCI, Vol. I, p. 67.

319 Sentence CCI n˚ 3099/3100, 1979, JDI, 1980, p. 951, obs. Y. Derains. 320 Sentence CCI n˚ 3131, 1979, Rev. arb., 1983, pp. 525-526, 531. 321

Sentence CCI n˚ 5904, 1989, Recueil des sentences arbitrales de la CCI, Vol. II, p. 387 ; JDI, 1989, p. 1107, obs. G. A. Alvarez.

causé un préjudice à la partie demanderesse, afin de décider sur son allocation des indemnisations, en appuyant sa position « conformément au principe de bonne foi qui inspire la

lex mercatoria internationale »322. Sur ce fondement, le Tribunal a considéré qu’il s’agit d’une rupture fautive du contrat. Pour l’évaluation du montant de l’indemnisation due à cet égard, le demandeur a demandé d’abord une réparation de 2 000 000 de francs français. Le Tribunal a énoncé qu’il existe des difficultés pratiques pour chiffrer avec précision l’indemnisation due à cause de l’existence des différents chefs de préjudices, comme la perte de clientèle et l’atteinte à la réputation. Par conséquent, le Tribunal a évalué l’indemnisation en équité en allouant au demandeur une réparation de ce chef de préjudice d’une somme globale de 800 000 francs français. Les arbitres, dans la deuxième sentence, ont refusé d’indemniser un préjudice incertain du fait que son existence n’a pas été établie sur la base « des principes généraux et des usages du commerce international »323. On note ainsi la valeur transnationale dans la mise en application de la règle de la certitude du préjudice afin qu’il soit indemnisable.

b. Le rôle de la preuve de l’existence du préjudice : l’aspect de l’application d’une règle de la lex mercatoria

218. – Il apparaît alors de l’illustration précédente que la vraie problématique réside dans

l’exigence d’apporter la preuve afin d’établir l’existence d’un préjudice certes324, conformément d’ailleurs à la fonction indemnitaire de la réparation. Ceci rend ainsi la logique juridique bien cohérente en exigeant la présentation d’une telle preuve. Pour constater un exemple de cette pratique constamment procédée par les arbitres depuis longtemps, on peut citer la sentence CCI n˚ 1434 rendue en 1975 qui a confirmé le fait de faire supporter le demandeur la charge de la preuve de ses prétentions consistant sur le manquement à l’obligation de la bonne exécution du contrat, alors que, de l’autre côté, c’est au défendeur d’apporter la preuve que cette obligation a

322

V. les critiques apportés contre le rattachement de la responsabilité pour faute au principe de la bonne foi par : M. Pierre Mayer, Le principe de bonne foi devant les arbitres du commerce international, Etudes de droit international en l’honneur de P. Lalive, Hebing & Lichtenhalm, 1993, p. 554.

323 Mireille Taok, La résolution des contrats dans l’arbitrage commercial international, thèse précitée, 2009, op.

cit., n˚ 185, p. 128.

324

Sur la charge de la preuve dans l’arbitrage commercial international, v. A. Reiner, Burden and general standard of proof, Arb. Intl., 1994, Vol. 10, N˚ 3, p. 328.

été exécutée325. Dans le même sens, la sentence CCI n˚ 6309 rendue en 1991 a débouté le demandeur de sa demande d’indemnisation en raison de la non présentation d’une preuve établissant la certitude de l’existence d’un préjudice326. Ainsi, le fardeau de la preuve joue un rôle important dans l’application de la règle de la certitude du préjudice en tant que composant de la lex mercatoria327.

Dès lors, le principe de la certitude du préjudice joue un rôle très important dans le respect de la mise en application de la règle juridique générale de l’indemnisation intégrale du préjudice, et cela en garantissant le non enrichissement sans cause de la partie lésée au détriment de son débiteur. Afin d’aboutir à cette solution il est toujours nécessaire, rappelons-le, de vérifier la vraie existence ainsi que l’étendue du préjudice.

219. – Conclusion. – Cette exigence d’apporter la preuve de l’existence du préjudice,

comme indiquée par les arbitres internationaux, reflète ainsi le caractère transnational de la règle de la certitude du préjudice. Dès lors, le caractère transnational de cette règle s’avère incontestable. Il reste à développer, à ce stade, la portée juridique de cette règle. Dès lors, il est important d’aborder l’étendue de l’exigence de la preuve afin d’allouer l’indemnisation du préjudice subi. On verra que l’exigence de la preuve n’impose pas l’établissement de la certitude absolue du préjudice. On s’interroge alors, à ce stade, si on peut indemniser un préjudice éventuellement établi, ou bien si la preuve apportée doit établir un préjudice au moins probable pour permettre l’indemnisation du préjudice.

325 Sentence CCI n˚ 1343/1975, JDI, 1976, p. 979, qui affirme le fait qu’on « peut admettre que le principe selon

lequel le demandeur à l’action contractuelle aux dommages et intérêts pour inexécution à la charge d’établir l’existence et le contenu de l’obligation, tandis qu’il revient au défendeur d’alléguer et de prouver le fait que cette obligation a été exécutée ».

326

Sentence CCI n˚ 6309/1991, JDI, 1991, p. 1046, obs. J.-J. Arnaldez.

Outline

Documents relatifs