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PARAGRAPHE I. LES FORMES D’INDEMNISATIONS RETENUES DANS LA JURISPRUDENCE ARBITRALE INTERNATIONALE

B. L’indemnisation compensatoire

2. Le fonctionnement de l’indemnisation compensatoire

366. – Dans ce cadre, on traitera, dans un premier lieu, la prise en compte de la « valeur

du marché » pour la détermination du quantum d’indemnisation (a), et dans un second lieu, on verra comment on peut calculer les dommages-intérêts dans le cadre des transactions commerciales internationales (b).

a. La prise en compte de la « valeur du marché » pour la détermination du quantum d’indemnisation

367. – Dans le cadre du processus de l’évaluation du préjudice, les arbitres recourent

souvent à l’évaluation du montant de l’indemnisation due par rapport au « prix du marché », qui est une référence bien établie à ce propos tant dans les Traités bilatéraux d’investissement (i) que dans les normes du droit international coutumier (ii).

578 Ibid., para. 814.

579 V. Seyed Khalil Khalilian, The place of discounted cash flow in international commercial arbitrations: awards

by Iran-US claims Tribunal, Journal of International Arbitration, Vol. 8, N˚ 1, 1991, p. 31.

i. La référence du « prix du marché » dans les traités bilatéraux d’investissement

368. – La jurisprudence arbitrale a retenu une référence sur laquelle les arbitres peuvent

apprécier l’évaluation du préjudice résultant de l’expropriation. A cela, il est bien établi de prendre en considération le prix du marché où le bien avait été pris. Or, le prix du bien dans le marché d’un autre pays où le bien a été exporté, après son expropriation, ne peut pas être pris en considération afin d’évaluer le préjudice causé par l’expropriation581.

369. – La prise en compte du « prix du marché » par les TBI582 peut être relevée dans les sentences arbitrales transnationales. Citons, à titre d’exemple, l’affaire CMS Gas Transmission en 2005 dans laquelle le Tribunal a reconnu que le recours à la référence du prix du marché, en tant que standard juridique, est la solution la plus appropriée dans le cadre de l’évaluation de l’indemnisation résultant des violations commises contre les investissements étrangers en l’espèce583. La même solution a été adoptée dans la sentence Santa Elena par les arbitres afin d’évaluer la valeur du bien exproprié par la République de Costa Rica584.

370. – Par ailleurs, la référence du « prix du marché » (ou market value) est supposé

satisfaire objectivement au principe de l’indemnisation intégrale du préjudice, sauf que son application a pour effet, dans beaucoup de cas, de ne pas indemniser tous les chefs de préjudices selon les réclamations des demandeurs. En effet, il nous paraît que l’allocation des dommages- intérêts conformément à une telle référence, notamment en cas d’expropriation, se base plutôt sur le concept d’une indemnisation adéquate585, et non pas intégrale. La règle souvent adoptée par les TBI pour l’indemnisation, en cas d’expropriation, est l’allocation des dommages-intérêts

581 I. Seidl-Hohenveldern, L’évaluation de dommages dans les arbitrages transnationaux, Annuaire Français de

Droit International “AFDI”, Vol. 33, 1987, op. cit., p. 16.

582 V. Joshua B. Simmons, Valuation in investor-State arbitration : toward a more exact science, in John Norton

Moore (ed.), International arbitration, Contemporary issues and innovations, 24th Sokol Colloquium, Vol. 5, Boston : Martinus Nijhoff, 2013, p. 65.

583 CMS Gas Transmission Co. v. Argentine, CIRDI, affaire n˚ ARB/01/8, sentence rendue le 12 mai 2005, publié au

site officiel du CIRDI (consulté le 11 mai 2013), para. 410.

584 Compania Del Desarrollo De Santa Elena S.A. c. République de Costa Rica, CIRDI, Affaire n˚ ARB/96/1,

sentence rendue le 17 février 2000, (consulté le 11 mai 2013), publié au site officiel du CIRDI, para. 90.

prompts, adéquats et effectifs586. On peut relever aussi une certaine sévérité dans l’évaluation du montant de l’indemnisation due dans ce cas par les arbitres. Cette hypothèse peut être la conséquence de certaines exagérations dans les demandes des dommages-intérêts soumises devant les arbitres internationaux. Cependant, on en déduit qu’une autre raison juridique est la cause d’une évaluation assez rigoureuse, celle qui réside dans le fait que les arbitres ont plutôt tendance à n'indemniser que les préjudices très probables, sur la base de la valeur du marché. Sachant qu’une telle pratique s’exerce avec le même degré de sévérité tant pour calculer la perte subie que le gain manqué. En outre, la valeur de marché varie normalement selon une marge de gain excepté, qui consiste dans un calcul, dans le cas où l’acte illicite n’avait pas été commis, de profit minimum et maximum. Alors que les Tribunaux arbitraux procèdent à l’évaluation du montant du préjudice selon le montant minimum de gain qui est censé être réalisé. Dans ce sens, on peut citer à titre d’exemple, l’affaire Middle East Cement587, dont la sentence a été rendue en 2002, dans laquelle le Tribunal a affirmé qu’afin d’évaluer le montant de l’indemnisation due en l’espèce en raison d’une expropriation, il faut déterminer le prix du marché de l’investissement affecté conformément à l’article 4 (c) du TBI applicable588. Dans le cas de l’espèce, le Tribunal, en prenant en considération la référence du prix du marché dans le processus de l’évaluation, a refusé d’indemniser le gain manqué. Selon le Tribunal, le demandeur doit avoir des expectations légitimes conformément au contrat conclu afin de pouvoir lui accorder une indemnisation supplémentaire pour le manque à gagner. Afin d’ajouter ces expectations légitimes au « prix du marché » de l’investissement, il est nécessaire d’apporter des éléments de preuves concrets de la part du demandeur, justifiant le gain manqué d’après le contrat conclu et les conséquences néfastes qui en découlent589. Quant à la perte subie en raison de l’expropriation effectuée, le demandeur a réclamé une compensation d’un montant de 864 500 dollars américains, alors que le Tribunal a évalué le montant de l’indemnisation à seulement 477 718 dollars américains, d’après la valeur du marché, comme indiqué dans le TBI applicable.

586 Borzu Sabahi, Compensation and restitution in investor-State arbitration – Principles and Practice, Oxford

University Press, 2011, op. cit., pp. 93-94.

587 Middle East Cement Shipping and Handling Co. S.A. c. République Arabe d’Egypte, CIRDI, affaire n˚ ARB/99/6,

sentence rendue le 12 avril 2002, (consulté le 10 mai 2013), publiée au site officiel du CIRDI.

588

Ibid., para. 104.

ii. La référence du « prix du marché » dans les normes du droit international coutumier

371. – Dans les commentaires de la CDI, dans le cadre de l’article 36, on observe que la

référence, sur laquelle l’arbitre peut évaluer l’indemnisation subie, est la valeur équitable du marché (« fair market value »). Dès lors, dans le cas du bien perdu, le critère à retenir doit être celui de « la valeur loyale et marchande » du bien exproprié.

372. – Il est important de noter ainsi que le concept de « la valeur loyale et marchande »

de bien exproprié est considéré comme référence sur laquelle on peut calculer le quantum de l’indemnisation, conformément au droit international coutumier. Une consécration de cette référence peut être trouvée dans les directives de la Banque mondiale pour les investissements étrangers directs, où la notion de l’indemnisation adéquate est relevée. Une telle indemnisation doit être ainsi évaluée sur la base de la valeur loyale et marchande du bien exproprié590. Dans la même veine, le Traité sur la Charte d’énergie a consacré la même solution591, dans l’article 13 (1), en adoptant le concept de « la valeur marchande équitable » dans le cadre de l’indemnisation en cas d’expropriation.

373. – Dans le cadre de l’application des règles de droit international coutumier, les

arbitres aussi ont souvent recours à la référence du « prix du marché » dans le cadre de l’évaluation de l’indemnisation due592. Citons par exemple l’affaire ADC Affiliate en 2006, dans laquelle les arbitres ont considéré qu’il est opportun d’appliquer le standard de Chorzów Factory, et d’appliquer ainsi les règles de droit international coutumier, pour apprécier l’indemnisation en l’espèce pour expropriation illégale de l’investissement des investisseurs relatif à l’aéroport international de Budapest-Ferihegy en violation du TBI applicable. Et cela en prenant le prix du marché comme référence pour la compensation du bien exproprié593. Le Tribunal a considéré qu’en adoptant cette position avec l’application de la méthode de calcul de DCF, expliquée plus

590 Legal Framework for the Treatment of Foreign Investment, Bird, Washington, 1992, Vol. II, p. 41. 591 V. I.L.M., Vol. 33, 1994, p. 360.

592 V. Borzu Sabahi, Compensation and restitution in investor-State arbitration – Principles and Practice, Oxford

University Press, 2011, op. cit., pp. 103-104.

593

ADC Affiliate Ltd & ADC&ADMC Management Ltd c. Hongrie, CIRDI, Affaire n˚ ARB/03/16, sentence rendue le 2 octobre 2006, publiée au site officiel du CIRDI (consulté le 11 mai 2013), para. 499.

haut, l’indemnisation allouée aura pour effet de réparer effectivement tous les chefs de préjudices subis par les investisseurs. Sur cette base, le Tribunal a accordé des dommages-intérêts d’une somme de 55 426 973 dollars américains pour ADC Affiliate et 20 773 027 dollars américains pour ADC&ADM Management594.

b. Le calcul des dommages-intérêts dans le cadre des transactions commerciales internationales

374. – On verra, dans ce qui suit, les règles juridiques régissant l’appréciation du

préjudice (i), ainsi que la date de l’évaluation du préjudice (ii).

i. Les règles juridiques régissant l’appréciation du préjudice

375. – Le cas du défaut de livraison. – Les arbitres du commerce international recourent

souvent à apprécier le préjudice subi dans le cas du défaut de l’opération de livraison, en calculant la différence entre le prix du contrat et le prix de l’achat de remplacement. Une telle pratique est largement reconnue, on en peut citer un exemple dans l’affaire CCI n˚ 6281 en 1989595 qui a appliqué cette solution. Elle est aussi consacrée d’ailleurs dans l’article 75 de la Convention de Vienne596 et l’article 85 de la loi uniforme sur la vente597. Il ne faut pas oublier, dans le cadre de l’évaluation du préjudice dans cette hypothèse, que la partie lésée doit respecter néanmoins l’obligation de minimiser son propre dommage. Dès lors, une fois cette obligation prise en compte par les arbitres, ils doivent faire référence au prix de remplacement par rapport au prix du contrat initial, un tel prix de l’achat de remplacement signifie celui auquel la partie

594

Ibid., para. 521.

595 Sentence CCI n˚ 6281/1989, Clunet, 1989, pp. 1114 et s.

596 L’article 75 de la convention de Vienne sur les contrats de vente internationale des marchandises prévoit que

« Lorsque le contrat est résolu et que, d’une manière raisonnable et dans un délai raisonnable après la résolution, l’acheteur a procédé à un achat de remplacement ou le vendeur à une vente compensatoire, la partie qui demande des dommages-intérêts peut obtenir la différence entre le prix du contrat et le prix de l’achat de remplacement ou de la vente compensatoire ainsi que tous autres dommages-intérêts qui peuvent être dus en vertu de l’article 74 ».

597 L’article 85 de la convention de la loi uniforme sur la vente, dans le cadre de la convention de La Haye du 1re

juillet 1964, prévoit que « Si l'acheteur a procédé à un achat de remplacement ou le vendeur à une vente compensatoire d'une manière raisonnable, ils peuvent obtenir la différence entre le prix du contrat et le prix de l'achat de remplacement ou de la vente compensatoire ».

lésée « a pu ou aurait pu se procurer les quantités manquantes »598. Cette règle, qui est admise de longue date599, reconnaît une application constante dans l’arbitrage commercial international lui permettant d’avoir une application de valeur internationale.

376. – Le cas du refus d’accepter la livraison. – La même solution précitée est admise

en cas de refus d’accepter la livraison. Cette consécration est établie dans les mêmes articles 75 de la Convention de Vienne et 85 de la convention portant loi uniforme sur la vente internationale. Par conséquent, on constate que la règle de l’évaluation du préjudice dans ce cas se réfère à la différence entre le prix de vente contractuelle et celui de la vente compensatoire. Dans la même veine, il faut interpréter le prix de vente contractuelle ou “prix de revente” comme le prix « auquel le vendeur a revendu ou aurait pu revendre la marchandise ». On peut relever une illustration de cette solution dans l’affaire CCI n˚ 2216600 où une société norvégienne a refusé d’admettre la livraison du pétrole sur la base d’un contrat conclu à cet effet avec l’entreprise vendeuse en raison du défaut dans la livraison conformément audit contrat. Le Tribunal, en l’espèce, dans le cadre du calcul du quantum de l’indemnisation due, a estimé qu’un tel refus est considéré en tant que résiliation du contrat en précisant ainsi que le vendeur « aurait dû, dès la résiliation du contrat, déployer tous ses efforts pour vendre le pétrole et diminuer l'ampleur du préjudice. II fixa en équité la date à laquelle il estimait que le pétrole aurait dû être revendu » 601. Le demandeur en l’espèce a réclamé des dommages-intérêts d’une somme de 10 980 900 dollars américains. Dans le cadre de l’évaluation du quantum de l’indemnisation due, le Tribunal a examiné plusieurs éléments factuels afin d’allouer une indemnisation adéquate et non excessive du préjudice subi. Il a été pris en compte par exemple le fait que le demandeur (l’entreprise venderesse) a tiré profit d’avoir stocké le pétrole non vendu dont le prix a été augmenté plus tard. Aussi le Tribunal a considéré que la société demanderesse aurait pu trouver une solution alternative pour revendre le pétrole stocké. Les dommages-intérêts accordés en l’espèce ont été ainsi limités à 285 000 dollars américains.

598

V. en ce sens, Hanotiau Bernard, La Détermination et l'Evaluation du Dommage Réparable: Principes Généraux et Principes en Emergence, in: Gaillard (éd.), Transnational Rules in International Commercial Arbitration, ICC publication N˚ 480, 4, Paris, 1993, op. cit., p. 218.

599 V. Ph. Fouchard, L’arbitrage commercial international, Paris, Dalloz, 1965, p. 441. 600 Sentence CCI n˚ 2216/1974, Clunet, 1975, pp. 917 et s.

601

H. Bernard, La Détermination et l'Evaluation du Dommage Réparable: Principes Généraux et Principes en Emergence, in: Gaillard (éd.), Transnational Rules in International Commercial Arbitration, op. cit., 1993, p. 218.

ii. La date de l’évaluation du préjudice

377. – Il est établi dans l’arbitrage transnational que l’appréciation de l’indemnisation du

préjudice s’effectue au moment de l’acte illicite602. Une référence est largement faite, en la matière, dans l’arrêt de l’Usine de Chorzów qui a traité le sujet des règles de l’indemnisation retenues pour calculer la somme de la compensation due603, ainsi que la question spécifique de la date de l’évaluation du préjudice dans le cas d’expropriation ou de l’atteinte au principe du traitement juste et équitable604. Dans la même veine, on constate, qu’en matière de commerce international, la date à retenir pour l’évaluation du préjudice subi est celle prévue par la partie au moment de la conclusion du contrat605.

Ainsi, la date à retenir pour l’évaluation du préjudice en cas d’expropriation est celle du moment de l’acte indemnisable. Dès lors, afin d’évaluer le préjudice découlant d’un acte d’expropriation, les arbitres recourent au prix du marché où le bien a été pris en s’appuyant dans cette appréciation au moment de l’acte dommageable606. La même solution est d’ailleurs constatée dans les directives de la Banque mondiale concernant les investissements étrangers directs, dans lesquelles il est constaté que le moment de l’évaluation du préjudice doit être celui qui précède immédiatement la survenance de l’expropriation, ou bien le moment où la décision d’expropriation est rendue publique607. Une solution identique a été retenue dans le Traité sur la Charte d’énergie, article 13 (1), pour prendre comme référence le moment qui précède la survenance de l’expropriation pour procéder à l’évaluation du préjudice608. La même solution est consacrée dans la majorité des TBI conclus. Dans le même sens, on peut citer, par exemple, les

602 Cette position juridique a été retenue à plusieurs reprises par les arbitres transnationaux, v. Par ex. Rumeli

Telekom A.S. et Telsim Mobil Telekomunikasyon Hizmetleri A.S. c. Kazakhstan, CIRDI, affaire n° ARB/05/16, sentence rendue le 29 juillet 2008, F. Latty, Arbitrage transnational et droit international général, AFDI, op. cit., 2008, p. 500.

603

V. en ce sens, B. Sabahi, The calculation of damages in international investment law, in Les aspects nouveaux du droit des investissements internationaux (New aspects of international investment law), Philippe Kahn et Thomas W. Wälde, 2007, Ch. 12, pp. 563-564.

604 M. Abdala/P.T. Spiller, « Chorzow’s standard rejuvenated. Assessing damages in investments Treaty

arbitrations », Journal of International Arbitration, 2008, Vol. 25, N˚ 1, pp. 103-120.

605 V. par ex. l’article 74 de la Convention de Vienne ; l’article 82 de la Convention de la loi uniforme sur la vente

internationale en 1964“LUVI”.

606 I. Seidl-Hohenveldern, L’évaluation de dommages dans les arbitrages transnationaux, Annuaire Français de

Droit International “AFDI”, Vol. 33, 1987, op. cit., p. 16.

607

Legal Framework for the Treatment of Foreign Investment, Bird, Washington, 1992, Vol. II, p. 41.

prononcés de la sentence de Middle East Cement en 2002, dans lesquels le Tribunal a constaté que la compensation pour expropriation doit être évaluée par rapport au prix du marché de l’investissement affecté immédiatement avant l’intervention des actes illicites ou au moment où les mesures illégales commises sont rendues publiques609. De même, la sentence Santa Elena a considéré la date de l’intervention du gouvernement comme celle de l’évaluation de la valeur du bien exproprié610. Rappelons que la même solution est aussi retenue dans le cadre de l’application des normes du droit international coutumier par les arbitres, comme par exemple dans la sentence ADC Affiliate dans laquelle le Tribunal a confirmé que la date de l’expropriation doit être considérée comme celle de l’évaluation du préjudice611. Il est utile de relever, à ce propos, que le droit international est davantage hostile au fait de l’allocation des dommages- intérêts punitifs dans le cas d’expropriation. Une telle indemnisation s’oppose à la notion de la souveraineté de l’Etat hôte612.

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