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La loi régissant les dommages-intérêts moratoires en matières d’arbitrage internationale

PARAGRAPHE II. LES DOMMAGES-INTERETS MORATOIRES : UNE PARTIE INTEGRALE DE L’INDEMNISATION

A. Le régime juridique des dommages-intérêts moratoires

1. La loi régissant les dommages-intérêts moratoires en matières d’arbitrage internationale

325. – On constate que la majorité de la doctrine, ainsi que la pratique arbitrale, constate

l’application de la loi du lieu de l’exécution de la sentence arbitrale “loi du for” sur les dommages-intérêts moratoires (a). Cependant, il est intéressant de relever un aspect critique de cette position juridique (b).

a. L’application de la loi du lieu de l’exécution de la sentence arbitrale “loi du for”

326. – Dans le but de montrer la base juridique sur laquelle les arbitres internationaux

peuvent accorder des intérêts moratoires, il est constaté que la loi applicable à cet égard doit être normalement la loi du lieu où la sentence doit être exécutée.

327. – Dans cette logique juridique, on peut citer un arrêt de la Cour de cassation492

française rendue en 2004 dans lequel elle a dû examiner la question des intérêts moratoires dans le cadre d’une procédure d’exequatur d’une sentence arbitrale étrangère. La Cour a rendu un arrêt de rejet contre les pourvois invoqués par le requérant non satisfait de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris493 en 2001 à cet égard. La Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en constatant que la loi régissant les intérêts moratoires accordés doit être celle du lieu de l’exécution de la sentence. Notant que la Cour a précisé d’ailleurs en l’espèce que les arbitres n’avaient pas statué sur ce point, ainsi qu’ils ne peuvent plus être saisis, et cela en constatant que « s'agissant d'un litige né de l'exécution en France d'une sentence arbitrale déclarée exécutoire, lorsque l'arbitre n'a pas statué et qu'il ne peut plus être saisi, la loi applicable aux intérêts moratoires postérieurs à la sentence, qui s'attachent de plein droit à la décision de condamnation, est la loi de la procédure d'exécution ». Dès lors, la loi du for sera applicable dans le cadre de l’allocation des dommages-intérêts moratoires même s’il s’agissait d’une lex

492 C. Cass. 1re ch. civ., 30 juin 2004, ABC International Bank PLC et Inter-Arab investment guarantee corp.

(IAIGC) contre Sté BAII recouvrement, n° 01-10.269 et n° 01-11.718 : Juris-Data n° 2005-024344 ; T. Clay, Arbitrage et modes alternatifs de règlement des litiges, Dalloz, Juris. Générale, 2004, p. 3185.

contractus étrangère494. Par conséquent, elle a considéré que la Cour d’appel a décidé, à juste titre, l’application du droit français en l’occurrence, en s’appuyant sur les dispositions de l’article 1153-1 du Code civil dans ce sens495, pour décider que la date à partir de laquelle les intérêts moratoires doivent prendre effet est celle de la sentence arbitrale rendue496. Dans le même sens, on peut aussi citer un autre arrêt de la Cour de cassation de 2007, celui de l’affaire Société

Banque Delubac497, dans lequel la Cour a rendu un arrêt de rejet pour confirmer la décision rendue par la Cour d’appel qui a considéré que l’article 1153-1 du Code civil est susceptible d’être appliqué à une sentence arbitrale, même si aucune demande n’a été déposée de ce chef. La même solution a été adoptée, plus tard dans la même année, dans un autre arrêt de la Cour de cassation, dans l’affaire Delsey498, pour confirmer le principe selon lequel, pour tout jugement étranger, y compris évidemment les sentences arbitrales internationales, soumis à une procédure d’exequatur en France, les dommages-intérêts moratoires sont censés être accordés conformément à la loi du lieu de l’exécution, aux dispositions de l’article 1153-1 du Code civil français en l’occurrence499.

b. Aspect critique de cette position juridique

328. – On verra, dans ce qui suit, cet aspect critique qui consiste en la mise en application

de la lex contractus (i), ainsi qu'une analyse critique de cette solution juridique (ii).

494 V. E. Loquin, Tribunaux de commerce et arbitrage, RTD Com. 2005, p. 267 ; J. Béguin, Droit de l’arbitrage (La

sentence arbitrale), JCP E, n° 18-19, 5 mai, 2005. 676, pp. 757-758.

495 L’article 1153-1 du Code civil dispose que « En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts

au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts moratoires à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement (…) ».

496 V. J. Béguin, Droit de l’arbitrage (La sentence arbitrale), JCP G, n° 17, 27 Avril, 2005, I 134, pp. 781-782. 497 Cass. civ. 1re, 9 janvier 2007, Société Banque Delubac, Rev. arb., 2007, p. 471, note D. Bensaude.

498 Cass. Civ. 1re, 6 mars 2007, Delsey, JDI, 2008, p. 537, note S. Bolée. 499

V. Romain Dupeyré, La demande d’intérêts moratoires est une question de fond qui relève de la compétence des arbitres, Rev. Arb., 2011, N˚ 2, p. 478.

i. La mise en application de la lex contractus

329. – La solution précitée n’est pas néanmoins à l’écart de controverses juridiques.

Malgré son affirmation par certains auteurs500, d’autres l’ont critiqué501. Selon le professeur Libchaber, les dommages-intérêts moratoires résultant du retard de paiement d’une somme d’argent due représentent une obligation accessoire de celle de l’exécution de la créance. Par conséquent, ils doivent être soumis à la même loi régissant cette créance, qui doit être alors la loi applicable au contrat et non pas la loi du lieu d’exécution de la sentence arbitrale502. Dans la même veine, un autre avis juridique a pu critiquer expressément la règle de l’application de la loi du lieu de l’exécution aux intérêts moratoires postérieurs à une sentence arbitrale en se prévalant du droit international privé français qui permet la mise en application de la loi du fond aux dommages-intérêts moratoires503.

330. – On peut trouver aussi une approbation de cette solution dans la jurisprudence

française. Citons par exemple un arrêt de la Cour d’appel de Paris de 2005, l’affaire Econosto

International504, dans lequel la Cour a adopté une position catégorique en considérant les arbitres ayant dépassé leurs pouvoirs en rendant une sentence allouant des dommages-intérêts moratoires sur la base de l’article 1153-1 du Code civil français. Quoique la solution précitée ait été controversée dans des arrêts plus récents par la Cour de cassation, comme indiqué ci-dessus, on constate que la Cour d’appel, dans un arrêt remarquable en 2011, arrêt Sytrol505, a pu retenir la

même position selon laquelle la condamnation à des dommages-intérêts moratoires doit être soumise à la loi de la lex contractus, en tant que question de fond et non pas de forme.

500 V. par exemple, Gérard Chabot, Intérêts moratoires dus sur la condamnation prononcée par une sentence

arbitrale, JCP E, n˚ 51, 16 décembre 2004.1860, pp. 2028-2030.

501 V. par exemple, D. 2004, p. 3185, obs. Th. Clay.

502 R. Libchaber, Intérêts de la créance ou intérêts de la sentence ? La triple difficulté des intérêts moratoires

courant en France sur les sentences arbitrales étrangères, note sous Cass. Civ. 1re, 30 juin 2004, Rev, arb. 2005, p. 645.

503 V. Ch. Baude-Texidor, Les intérêts moratoires postérieurs à la sentence devant l’arbitre et devant le juge, Gaz.

Pal., 27-28 mai 2005, pp. 2 et s.

504 Paris, 1re Civ., 30 juin 2005, Pilliod c. Société Econosto International Holding, Rev. arb., 2006, p. 687 et s., spéc.

pp. 690-692, note R. Libchaber.

505

C.A. Paris, Pôle 1 Ch. 1, 3 février 2011, Département de commercialisation du pétrole “Sytrol” c. SARL Babanapht, Rev. arb., Vol. 2011, pp. 468-483, spéc. pp. 474-480, note Romain Dupeyré.

331. – Cette solution est le corollaire de la réponse à la question de la nature juridique de

la demande des dommages-intérêts moratoires. Il est important de souligner, à ce propos, l’existence d’un débat sur cette question. La controverse porte sur la nature soit procédurale soit substantielle de la réclamation des intérêts moratoires. Dans le cas où cette demande d’indemnisation est considérée comme une question de procédure, la loi applicable doit être la loi du lieu d’exécution ou celle de la procédure arbitrale. Par contre, si une telle demande est traitée en tant que question de fond, il sera plus approprié dans ce cas d’y appliquer la loi de fond ou la lex contractus506.

332. – Dans l’affaire Sytrol de 2011, la Cour d’appel de Paris a fait une contribution

courageuse à ce propos en considérant que la demande des intérêts moratoires, basée sur une sentence arbitrale internationale, ressort d’une question de fond et doit être soumise, par conséquent, à la seule compétence des arbitres. Par opposition au courant majoritaire, la Cour a pu justifier sa position en constatant qu’une telle demande est en rapport avec le contrat objet du litige, et qu’elle ressort de la clause compromissoire conclue. Ceci rend indissociable la loi applicable sur les dommages-intérêts moratoires de la loi de fond, qui est celle de la lex

contractus. Corollairement, la Cour a considéré qu’un tel litige, même s’il s’agit de l’exécution

de la sentence arbitrale rendue, relève de la compétence des arbitres en vertu de la nature substantielle de la question des intérêts moratoires. Par conséquent, cette question doit être soumise auprès du Tribunal arbitral du nouveau, et dans le cas d’impossibilité de reporter la question devant un autre Tribunal arbitral507.

ii. Analyse critique

333. – Il nous semble plus cohérent de partager la solution de l’arrêt Sytrol de 2011 bien

qu’elle reste surtout une position étrange par rapport à la pratique courante en la matière. En fait, l’adoption de la position selon laquelle la demande des intérêts moratoires, sur la base d’une sentence arbitrale rendue en tant que question de fond, nous paraît conforme au principe de

506 V. en ce sens, Y. Derains, Intérêts moratoires, dommages-intérêts compensatoires et dommages punitifs devant

l’arbitre international, Etudes offertes à Pierre Bellet, Litec, 1991, op. cit., pp. 101 et s. ; M. Seccomb, Les intérêts dans les sentences CCI : introduction et commentaires, Bull. Cour CCI, Vol. 15, n˚ 1, p. 59 et s.

l’autonomie de l’arbitrage international et celle de l’arbitre par rapport à toutes les lois de for508. En outre, cette solution ayant pour effet de respecter la règle de prévisibilité et permet ainsi une indemnisation intégrale dans le cadre de l’expectation légitime des parties. Dès lors, le calcul de l’indemnisation moratoire ne peut être conforme au principe de prévisibilité que si la loi applicable au fond du litige, qui est dans la plupart des cas la loi choisie par les parties, soit applicable là-dessus pour évaluer le taux d’intérêt approprié, la nature des intérêts que ce soit simples ou multiples et la date à partir de laquelle le taux d’intérêt doit prendre effet. De cette manière, on peut maintenir d’ailleurs une autonomie de procédures d’arbitrage par rapport à l’intervention des juges étatiques, ce qui garantit la crédibilité du processus de l’évaluation des dommages-intérêts moratoires en se répercutant positivement sur les opérations de transactions internationales.

334. – Pourtant, une flexibilité dans la pratique de décider sur la demande des intérêts

moratoires sera toujours utile afin de ne pas compliquer les procédures. C’est pourquoi, on peut proposer un compromis entre les deux courants doctrinaux précités en prévoyant que le juge de l’exequatur peut toujours voir le contentieux comportant la demande des intérêts moratoires. Sauf que celui-ci doit appliquer les dispositions de la lex contractus. Cette solution nous semble logique aussi du fait que les Tribunaux arbitraux CCI ont considéré à plusieurs reprises la demande des intérêts moratoires comme un accessoire à la demande principale des dommages- intérêts réclamés509. Un tel compromis juridique paraît assez satisfaisant pour maintenir la cohérence et l’autonomie de la procédure arbitrale d’un côté, ainsi que pour éviter une certaine rigidité dans les procédures d’exécution de l’autre côté.

508 Sur le fait que l’arbitre international est dépourvu de for, v. par ex. Pierre Raoul-Duval, Intérêts moratoires : vers

une remise en cause du pouvoir des arbitres, Gaz. Pal., Vol. II, N˚ 2005/3, op. cit., p. 12 ; v. aussi sur le sujet de l’absence de lex fori dans l’arbitrage international : Antoine Kassis, L’autonomie de l’arbitrage commercial international – Le droit français en question, Préface Paul Lagarde, L’Harmattan, 2006, pp. 265-274.

509

V. Par ex. sentences CCI n˚ 10007/2000, 10578/2001 et 11424/2002, Bull. Cour CCI, Vol. 17, 2006, n˚ 2, pp. 79, 82, 101.

2. La liberté des arbitres dans la fixation de la date de l’effectivité des intérêts

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