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PARAGRAPHE I. L’INDEMNISATION DU PREJUDICE CERTAIN

B. La portée juridique de la certitude du préjudice

2. L’indemnisation d’un préjudice probable

229. – On envisagera, dans un premier temps, la mise en œuvre de la règle (a), avant de

soulever dans un second temps, la consécration de la référence du raisonnable qui sert à justifier la mise en œuvre de cette règle (b).

a. La mise en œuvre de la règle

230. – L’accueil du principe en droit français. – La jurisprudence française ne

s’oppose pas au concept de l’indemnisation du préjudice probable. La Cour de cassation, dans un arrêt en date de 2010340, a admis l’indemnisation d’un préjudice qui ne révèle pas d’une certitude stricte. En ce qui concerne l’appréciation du lucrum cessans, la Cour de cassation en a admis l’indemnisation en cas de la probabilité de la réalisation d’un gain341. Dès lors, afin d’évaluer le préjudice en cas de perte d’une chance, il faut appliquer un pourcentage reflétant la probabilité que le préjudice se produise342.

231. – Une autre illustration remarquable à relever d’après la Cour de cassation en

l’occurrence consiste dans la méthode à poursuivre pour l’évaluation du gain manqué. Il s’agit en effet d’une double évaluation. La première porte sur le gain que la partie lésée aurait pu réaliser si le préjudice n’avait pas eu lieu. La seconde porte sur l’estimation de la survenance de la chance elle-même. En somme, l’indemnisation d’un préjudice probable est possible si la chance d’avoir du gain était réelle, ainsi que le gain soit d’une probabilité élevée343.

340 Société Top Bagage International c. société Wistar Entreprise Ltd, Cass., Civ. 1re, 23 juin 2010, Rev. arb.,

(Comité Français de l'Arbitrage), 2011, N˚ 2, note Cécile Chainais, pp. 449-467.

341 V. en ce sens, A. Pinna, La mesure du préjudice contractuel, Préface P.-Y. Gautier, LGDJ, 2007, n˚ 259. 342 Société Top Bagage International c. société Wistar Entreprise Ltd, Cass., Civ. 1re, 23 juin 2010, Rev. arb., 2011,

N˚ 2, op. cit., note Cécile Chainais.

232. – Dans ce sens, le préjudice probable ou potentiel, en matière d’assurances, est en

principe réparable. Donc, il s’agit là de la réparation du risque de préjudice. Pour que ce risque soit indemnisable, il doit être avéré. Dans ce cadre, le préjudice futur peut être indemnisé comme le préjudice actuel, s’il représente une conséquence certaine de la survenance de ce dernier. Pourtant, une probabilité suffisante du risque, à l’opposition du risque hypothétique, est suffisante pour caractériser la certitude. Ainsi, une indemnisation à titre préventif est possible. On peut citer l’exemple de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, rendu le 18 septembre 2008344, qui a admis la condamnation de l’employeur à indemniser des travailleurs d’une manière préventive. En l’espèce, des travailleurs, exposés à l’amiante, ont décidé de partir à la préretraite à l’âge de 50 ans conformément à la loi. Les allocations prévues dans ce cas étaient très inférieures à leur salaire. Cependant, la Cour d’appel a admis d’indemniser leur préjudice économique pour éviter un risque avéré consistant dans le développement des maladies de l’amiante345.

233. – L’indemnisation du préjudice probable est appliquée par les arbitres en tant qu’une

règle transnationale (i), ce fait qui trouve sa source dans la consécration de cette règle par les instruments internationaux du droit uniforme (ii).

i. Une position favorable de la jurisprudence arbitrale : l’indemnisation du préjudice probable relève d’une règle transnationale

234. – La jurisprudence arbitrale n’admet pas, en principe, l’indemnisation d’un préjudice

éventuel. Par contre, lorsqu'il s’agit d’un préjudice très probable traduisant la perte d’une vraie chance, la solution aurait-elle pu être différente en ouvrant droit à une indemnisation ? La sentence Sapphire346 nous donne une réponse positive à cette question en déclarant que

l’occasion de découvrir du pétrole a été déjà reconnue par les deux parties au litige, alors qu’il n’est pas nécessaire de prouver le préjudice exact à fin de l’allocation des dommages-intérêts. Ici, il suffit que le préjudice fasse preuve d’une probabilité suffisante de l’existence et de

344 CA Paris (18e ch. Civ.), 18 septembre 2008, JurisData n˚ 2009-003329, D. 2009, pp. 2091-2095, note Anne

Guégan.

345 Patrice Jourdain, Comment traiter le dommage potentiel, Responsabilité Civile et Assurances, N˚ 3, Mars 2010,

Dossier 11, p. 44.

346

Sapphire International Petroleum Ltd c. National Iranian Oil Company, Tribunal ad hoc, sentence rendue le 15 mars 1963, Annuaire Français de Droit International “AFDI ”, 1977, Vol. 23, pp. 453 et s.

l’étendue du préjudice347. Dans la même logique juridique, la sentence Liamco348 a refusé, cette fois-ci, l’indemnisation du préjudice non probable en raison que la perte de chance en l’espèce était douteuse selon le Tribunal arbitral.

Dans la même veine, la jurisprudence arbitrale a affirmé depuis longtemps, à plusieurs reprises, qu’une certitude absolue du préjudice n’est pas exigée pour l’allocation des dommages- intérêts. On relèvera dans ce qui suit quelques sentences arbitrales de base affirmant et reflétant cette tendance juridique.

235. – La possibilité de l’indemnisation du préjudice futur. – L’affaire SOABI, dont la

sentence a été rendue en 1988349, est un exemple clair de la non exigence d’un préjudice absolument certain afin d’indemniser la partie lésée. En outre, cette sentence a confirmé le fait de l’allocation des dommages-intérêts pour un préjudice futur. De ce fait, le Tribunal a affirmé que « rares sont les cas où un préjudice futur du chef de perte de profits d’un contrat à long terme de constructions et ventes immobilières puisse être chiffré avec certitude. On ne saurait donc appliquer les critères trop rigides de certitude et de réalité de la façon proposée par le gouvernement. Le faire équivalent à exclure la réparation du gain manqué en méconnaissance du C.O.A. (Code des obligations de l’administration sénégalais) ». Il apparait ainsi, de l’application du concept de l’indemnisation du préjudice fort probable, qu’il s’agit d’un principe du droit international vu son application large, même à l’égard de la loi interne applicable en l’espèce. Dès lors, Le Tribunal a exercé son pouvoir souverain pour évaluer le gain manqué en prenant en considération les aspects économiques et financiers affectant l’exécution d’un contrat de long terme ainsi que les incidences des faits propres à la société SOABI. Une indemnisation a été ainsi allouée sur cette base à la société demanderesse d’une somme de 150 000 000 de francs CFA.

347 Filali Osman, Les principes généraux de la lex mercatoria, Contribution à l’étude d’un ordre juridique

anational, thèse, LGDJ, EJA, Paris, 1992, op. cit., pp. 182-183.

348 Libyan American Oil Co. (Liamco) c. République de la Libye, sentence arbitrale rendue à Genève le 12 avril

1977, AFDI, 1980, Vol. 26, p. 291, obs. Patrick Rambaud.

349

Société Ouest Africain des bétons industriels c. République du Sénégal, 4 et 9 février 1988, JDI, 1990, pp. 193 et s., spéc. p. 201, obs. E. Gaillard.

236. – L’indemnisation du lucrum cessans probable. – Dans le même ordre d’idées, la

sentence MINE,350 rendue la même année, nous présente une même position ferme vers

l’indemnisation du préjudice probable ou qui n’est pas doté d’une certitude absolue. Le Tribunal arbitral a fait encore une contribution très intéressante en la matière, invoquant le fait qu’il « accepte le principe général selon lequel MINE a le droit d’être indemnisée pour les profits qu’elle aurait réalisés si la république de Guinée n’avait pas rompu le contrat. Les profits perdus ne doivent pas être prouvés avec certitude et la réparation ne devrait pas être refusée simplement parce que le quantum est difficile à déterminer ». Là, on peut relever deux constatations importantes. La première consiste dans l’invocation du Tribunal qu’il s’agit d’un principe général de droit en admettant l’indemnisation du préjudice probable. La seconde est le fait de l’indemnisation du lucrum cessans à ce stade. On peut analyser ce fait alors par la révélation de la difficulté juridique pour indemniser le lucrum cessans en cas du préjudice éventuel, par contre il est tout à fait admis de l’indemniser si le préjudice est probable351. A cela, le Tribunal a pu accorder à MINE une indemnisation de ses préjudices subis, correspondant au gain manqué résultant de la résiliation du contrat par la république de Guinée, d’une somme de 6 726 497 dollars américains.

237. – En se référant à l’affaire SPP, la sentence a été rendue en 1992 en application des

règles juridiques transnationales, on constate que les arbitres ont refusé l’indemnisation du préjudice éventuel. En suivant la même logique juridique, les arbitres ont réaffirmé que cela ne signifie pas que le préjudice doit être certain en vue d’être indemnisable, ce qui paraît clair dans les énoncés de la sentence constatant que « cependant, il est bien établi que le fait que des dommages ne peuvent être appréciés avec certitude n’est pas une raison de ne pas octroyer des dommages-intérêts lorsqu’une perte a été subie »352. Dans le même sens, la sentence CCI n˚ 5946 rendue en 1990353 a tenté de donner plus de clarification sur le préjudice probable indemnisable. Il est important de relever ainsi la précision du Tribunal qui confirme, d’une part, que le préjudice ne doit pas être absolument certain pour qu’il soit indemnisable, et d’autre part, que

350

Maritime International Nominees Establishment c. la République de Guinée, 6 janvier 1988, YBCA, XIV, 1989, p. 82.

351 V. Sentence n˚ 10988/2003, Recueil des sentences arbitrales de la CCI, Vol. V (2001-2007), pp. 719-726, spéc.

p. 722, note B. Derains.

352 Southern Pacific Properties (Middle East) Limited “SPP Ltd” c. La République Arabe d’Egypte, CIRDI, affaire

précitée n˚ ARB/84/3, sentence rendue le 20 mai 1992, JDI, 1994, p. 238, obs. E. Gaillard.

l’évaluation du préjudice peut être menée approximativement en adoptant des méthodes raisonnables de calcul354.

ii. La consécration de l’indemnisation du préjudice probable dans les instruments internationaux du droit uniforme

238. – Il est important de relever, à ce stade, que l’admission d’indemniser un préjudice

probable est aussi consacré dans l’article 7.4.3 (2) des Principes relatifs aux contrats du commerce international d’Unidroit355. Cet article a prévu expressément, de son côté,

l’indemnisation du préjudice résultant du lucrum cessans probable. Dans le même ordre d’idée, la Convention de Vienne relative aux contrats de vente internationale de marchandises a reconnu le préjudice probable en tant que préjudice indemnisable dans l’article 74356, et cela en décrivant les dommages-intérêts « comme étant des conséquences possibles de la contravention au contrat ». Ceci enlève aucun doute sur la reconnaissance du caractère probable du préjudice afin d’être indemnisable.

Ainsi, il est constaté, selon la démonstration précédente, que le préjudice peut être indemnisable, même s’il n’était pas certain, à condition qu’il soit fort probable, en constituant une vraie perte de chance et non pas douteuse357.

354

V. J. Ortscheidt, la réparation du dommage dans l’arbitrage commercial international, thèse précitée, Dalloz, 2001, p. 40.

355 L’article 7.4.3 (2) des Principes d’Unidroit dispose que « La perte d’une chance peut être réparée dans la mesure

de la probabilité de sa réalisation ».

356

L’article 74 de la Convention des Nations Unies des contrats de vente internationale de marchandises dispose que « Ces dommages-intérêts ne peuvent être supérieurs à la perte subie et au gain manqué que la partie en défaut avait prévus ou aurait dû prévoir au moment de la conclusion du contrat, en considérant les faits dont elle avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance, comme étant des conséquences possibles de la contravention au contrat ».

357

Filali Osman, Les principes généraux de la lex mercatoria, Contribution à l’étude d’un ordre juridique anational, op. cit., p. 183.

239. – On peut atteindre ainsi une conclusion juridique qui nous permet de bien illustrer

l’admission de l’indemnisation du préjudice probable. C’est le fait de justifier cette position juridique sur la base du concept du raisonnable358. Ceci nous permet d’adopter une référence sur laquelle les arbitres peuvent s’appuyer en octroyant l’indemnisation en cas du préjudice probable. Dès lors, afin d’aller au bout dans l’illustration du sujet de l’indemnisation du préjudice probable, on mettra la lumière sur la référence du raisonnable dans le cadre de la justification de l’allocation d’indemnisation.

b. La consécration de la référence du raisonnable pour la mise en œuvre de la règle

240. – La consécration dans les instruments internationaux du droit uniforme. – On

observe que les Principes relatifs aux contrats du commerce international d’Unidroit ont soulevé expressément, dans l’article 7.4.3 (1)359, le terme “raisonnable” dans le but de préciser le caractère du préjudice indemnisable. L’article a admis l’indemnisation du préjudice, même futur, qui est raisonnablement certain, et non pas absolument certain. Dans la même lignée, on constate aussi les Principes européens du droit des contrats, dont l’article 9 :501 (2)360 a prévu de son côté la même exigence de la suffisance du caractère raisonnable pour l’établissement du préjudice, même futur, afin d’être susceptible d’indemnisation. A cela, on tient compte que la référence au standard du raisonnable trouve sa source dans ces deux grands textes juridiques internationaux afin d’estimer l’existence du préjudice. Un tel standard est notamment bien reconnu en droit français361, dans le système juridique de common law362, ainsi qu’il connaît une large application par les arbitres internationaux363.

358 L’appréciation de la certitude du dommage à l’aune du raisonnable a été relevée par J. Ortscheidt afin de mettre

en œuvre un standard juridique sur lequel on peut apprécier le dommage indemnisable. En ce sens, v. J. Ortscheidt, la réparation du dommage dans l’arbitrage commercial international, Dalloz, 2001, op. cit., pp. 41 et s.

359 L’article 7.4.3 (1) des Principes d’Unidroit dispose que « n’est réparable que le préjudice, même futur, qui est

établi avec un degré raisonnable de certitude ».

360 L’article 9 :501 (2) des Principes européens du droit des contrats (PEDC) dispose que « Le préjudice réparable

inclut ; (…) b. le préjudice futur dont la réalisation peut raisonnablement être tenue pour vraisemblable ».

361 V. G. Khairallah, Le raisonnable en droit privé français – Développements récents, RTD civ., 1984, pp. 439, 460. 362 V. Amar et Ph. Kimbrough, Esprit de géométrie, esprit de finesse ou l’acceptation du mot “raisonnable” dans

les contrats de droit privé américains, DPCI, 1983, pp. 43 et s.

363 J.-A. Westberg, Applicable law, expropriatory takings and compensation in cases of expropriation : ICSID and

Iran-United States Claims Tribunal Case Law Compared, ICSID Rev. – FIJL, Vol. 8, n˚ 1, 1993, pp. 1, 19 ; V. Fortier, Le contrat du commerce international à l’aune du raisonnable, JDI, 1996, pp. 315 et s.

241. – La consécration dans la jurisprudence arbitrale. – Dans le même sens, la

sentence CCI n˚ 7081 rendue en 2003364 nous a présenté une illustration non équivoque de recourir à la référence du raisonnable afin de pouvoir indemniser un préjudice incertain. Il est vrai que la jurisprudence arbitrale exige un préjudice certain pour allouer des dommages-intérêts. Cependant, cette règle s’applique avec souplesse afin de permettre d’indemniser un préjudice raisonnablement probable. Ainsi, les arbitres ont refusé d’octroyer une indemnisation à la partie lésée, en matière de marchés publics, en ce qui concerne le lucrum cessans. Dans cette espèce, le Tribunal n’a pas fait droit à la demande de la partie lésée pour indemniser le manque à gagner en justifiant sa décision sur le fait qu’elle « n'a pas réussi à démontrer qu'elle aurait vraisemblablement et raisonnablement obtenu les marchés visés, même si elle avait fait les offres les plus intéressantes »365.

242. – Conclusion. – On déduit alors, de l’illustration précédente, qu’afin d’arriver, à

juste titre, à apprécier l’existence du préjudice, il n’est pas nécessaire d’établir le préjudice avec une certitude absolue. Cependant, il faut qu’une probabilité suffisante soit exigée pour ne pas indemniser un préjudice simplement éventuel. D’où le rôle de la référence au caractère raisonnable pour bien justifier l’indemnisation du préjudice probable. En outre, pour que le préjudice soit indemnisable, il doit se doter aussi du caractère prévisible.

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