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Les modes de l’indemnisation intégrale employés dans le système de common law et la nature de preuve exigée

PARAGRAPHE I. LE CHAMP D’APPLICATION DE L’INDEMNISATION DU PREJUDICE

2. Les modes de l’indemnisation intégrale employés dans le système de common law et la nature de preuve exigée

305. – On mettra la lumière, dans un premier temps, sur l’indemnisation de la perte subie

et du gain manqué dans le système anglo-saxon (a), et dans un second temps, sur la nature de preuve exigée pour indemniser chacun de ces deux aspects de préjudices (b).

a. L’indemnisation de la perte subie et du gain manqué dans le système anglo-saxon

306. – Les notions de expectation interest et de reliance interest dans le système juridique de common law. – Ces deux concepts juridiques, reconnus de longue date tant en droit

anglais qu’américain435, servent aussi comme références de base pour l’indemnisation du préjudice subi en cas d’inexécution de l’engagement juridique conclu entre les parties, et dont une transposition dans le droit français ne sera pas simple436.

307. – L’indemnisation selon le concept de l’intérêt positif. – L’expectation interest ou

l’intérêt positif signifie l'indemnisation de la partie lésée d’une manière lui permettant de se retrouver dans la situation où elle aurait été si le contrat avait été bien exécuté. Cette méthode d’indemnisation repose alors sur le fait de considérer le contrat comme devant être exécuté, afin d’évaluer les préjudices résultant de l’inexécution subie par la partie lésée. Le but est de permettre à celle-ci d’être indemnisée en considérant tous les gains qu’elle était censée réaliser en conséquence de l’exécution du contrat, ce qui inclut les différents genres de préjudices, pécuniaires ou non-pécuniaires. Des auteurs ont tenté, depuis longtemps, de trouver des

434 V. Par ex. l'affaire du Plateau des Pyramides, sentence du 16 février 1983, Rev. arb., 1986, p. 126, Patrick

Rambaud, AFDI, 1993, Vol. 39, p. 573 ; V. en ce sens aussi l’affaire SOABI c. la République du Sénégal, sentences des 4 et 9 février 1988, JDI (Clunet), 1990, p. 201, obs. E. Gaillard.

435 P.-S. Atiyah, An introduction to the law of contract, 5e éd., Oxford, Clarendon, 1995, pp. 444 et s. 436

J. Ghestin, P. Atiyah et autres, Le contrat aujourd’hui : Comparaison Franco-Anglaises, sous la direction de D. Tallon et D. Harris, LGDJ, Paris, 1987, op. cit., p. 280.

justifications en faveur du recours à l’indemnisation du préjudice selon ce concept d’intérêt positif, parmi lesquelles l’idée soulevant que ce mode d’indemnisation repose sur la notion de sécurité des transactions437 en assurant leurs accomplissements, aussi l’invocation du principe de la responsabilité morale438 en incitant ainsi les agents de commerce à maintenir les engagements conclus.

308. – L’indemnisation selon le concept de l’intérêt négatif. – le reliance interest ou

l’intérêt négatif signifie de remettre la partie lésée dans la situation où elle aurait été si le contrat n’avait pas été exécuté. Dès lors, la perspective de ce concept diffère de celui de l’intérêt positif dans le fait qu’il permet une évaluation de l’indemnisation du préjudice sur la base que le contrat n’était pas conclu, et non pas sur celle de la bonne exécution du contrat. Il faut souligner ici que la mise en application de l’une ou l’autre méthode de calcul de l’indemnisation dépend évidemment de celle qui sera la plus profitable à la partie lésée dans chaque cas. Cette méthode de l’intérêt négatif est aussi consacrée depuis longtemps par certains qui l’ont justifié sur la base de la confiance trompée au lieu de celle du maintien des engagements conclus. Dès lors, l’avantage de ce mode d’évaluation de l’indemnisation, selon le concept de l’intérêt négatif, s’avère dans le fait de libérer la partie lésée d’un engagement juridique qui lui était défavorable, en lui permettant de s’acquitter ainsi de ses conséquences néfastes439.

b. La nature de la preuve

309. – La nature de la preuve de l’indemnisation dans chaque cas. – On peut relever

que la nature de la preuve exigée pour établir la perte subie (damnum emergens) diffère de celle exigée pour l’établissement du manque à gagner (lucrum cessans). La preuve de la perte subie est en principe plus altérée que celle du manque à gagner. Dans la première hypothèse, les parties doivent établir le caractère certain440 et prévisible441 du préjudice déjà subi, représentant ainsi le profit non réalisé d’après les attentes légitimes de la partie lésée. Dans la seconde hypothèse,

437 V. Par ex. Fuller and Perdue, The reliance interest in contract damages, 1936, Yale L.J., Vol. 46, pp. 57-66. 438 V. Par ex. Fried, Contract as promise, Cambridge, Mass. London : Harvard University Press, 1981, pp. 17-21. 439 V. en ce sens, J. Ghestin, P. Atiyah et autres, Le contrat aujourd’hui : Comparaison Franco-Anglaises, op. cit.,

1987, p. 303.

440

Sur le caractère certain du préjudice, v. supra n˚ 207 et s.

l’établissement du caractère certain et prévisible porte plutôt sur le préjudice futur, ce qui conduit les arbitres internationaux, ainsi que les juges nationaux du contrôle, à accepter une telle preuve si elle amène à établir une probabilité suffisante du préjudice final442. La preuve d’une probabilité forte est ainsi exigée afin d’établir que le préjudice, subi par la partie lésée, a engendré un manque à gagner pour celle-ci, en empêchant des conséquences favorables de se réaliser dans le futur. Dès lors, c’est sur cette base que la partie lésée peut se voir accorder des indemnisations dans cette hypothèse443.

Par conséquent, une des règles essentielles de l’évaluation de l’indemnisation est la séparation entre l’appréciation de la perte subie de celle du manque à gagner. Il ne faut donc pas confondre ces deux aspects du préjudice dans le cadre de l’évaluation des quantum de l’indemnisation444. La Cour de cassation française, dans un arrêt rendu en 2001, dans le cadre du contrôle d’une sentence arbitrale internationale, a rejeté expressément un argument du pourvoi soumis tendant à introduire l’indemnisation de la perte subie par la parte lésée comme une simple mutation du quantum du gain manqué. Selon cet argument « les arbitres avaient réduit

l'indemnisation du gain manqué sollicitée par la société OMI à la perte de chance de retirer un gain de l'opération économique, de sorte que le dommage indemnisé n'est pas de nature différente de celui dont la réparation était sollicitée ». Le point fondamental de divergence qui a

amené la Cour de cassation à refuser cet argument est qu’il faut strictement distinguer entre la perte subie et le manque à gagner dans le cadre de l’évaluation du préjudice, et cela sur la base que cette distinction signifie qu’il s’agit d'une différence de nature et non seulement de degré445. Cette distinction s’avère clairement dans la première hypothèse où on indemnise une certitude, alors que dans la deuxième on indemnise une probabilité446.

442 Société Top Bagage International c. société Wistar Entreprise Ltd, C. Cass. 1re Ch. civ., 23 juin 2010, , Rev. arb.,

2011, N˚ 2, p. 464, note Cécile Chainais.

443 Ibid.

444 Elodie Levacher, Le gain manqué, thèse, Ph. Delebecque (dir.), Paris I, 2010, op. cit., pp. 75-82. 445

C. Cass. 1re Ch. civ., 29 Juin 2011, Rev. arb., 2011 N˚ 3, pp. 680 – 681, note Cécile Chainais.

310. – L’indemnisation de la perte subie ainsi que du gain manqué est souvent relevée par

les arbitres internationaux. En ce sens, on peut citer par exemple l’affaire Biwater, dont la sentence a été rendue en 2008, qui a prévu expressément l’exigence d’indemniser ces deux aspects essentiels du préjudice447. Et dans la même logique juridique, les arbitres peuvent donc prendre en compte le fait du changement des circonstances pour réduire l’indemnisation réclamée en raison de la perte de profits448.

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