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La consécration du concept de prévisibilité dans les différents systèmes juridiques

PARAGRAPHE II. L’INDEMNISATION DU PREJUDICE PREVISIBLE

A. La consécration et les fondements établis de la règle

1. La consécration du concept de prévisibilité dans les différents systèmes juridiques

245. – La consécration du concept de la prévisibilité en droit comparé. – Le caractère

prévisible du préjudice est une condition largement admise, tant dans le système juridique de droit civil que dans celui de common law pour l’allocation des dommages-intérêts. Une telle condition est exigée dans le droit français dans l’article 1150 du Code civil, et on constate que le droit belge a repris les dispositions françaises relatives à la prévisibilité du préjudice dans l’article 1150 du Code civil belge. Dans le même sens, le Code civil québécois, dans l’article 1613, a exigé la prévisibilité du préjudice pour qu’il soit susceptible d’indemnisation en matière contractuelle, en disposant que le débiteur n’est responsable qu’à la limite « des dommages- intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir au moment où l’obligation a été contractée »366. La même position a été retenue en droits espagnol367, italien368, chinois369 et égyptien370.

246. – Dans le même sens, le système juridique de common law a reconnu l’exigence de

la prévisibilité du préjudice depuis le 19eme siècle. La célèbre affaire Hadley contre Baxendale est un exemple clair permettant de constater que le caractère de la prévisibilité représente une limite juridique au principe général de l’indemnisation intégrale du préjudice371.

366 Mireille Taok, La résolution des contrats dans l’arbitrage commercial international, thèse précitée, 2009, op.

cit., n˚ 234, p. 152.

367 Article 1107 du Code civil espagnol. 368 Articles 1223 et 1225 du Code civil italien.

369 Article 113 de la loi de la République Populaire de Chine de 1999 sur les contrats. 370 Article 221 du Code civil égyptien.

371

(1854) 9 Exch. 341, cité par F. H. Lawson, Les voies de droit pour obtenir réparation, Revue International de Droit Comparé “RIDC”, 1961, Vol. 13, n˚ 4, p. 744.

247. – La position retenue dans la jurisprudence française. – la jurisprudence

française a contribué à démontrer comment le caractère prévisible du préjudice peut avoir des effets sur l’indemnisation due. Or, la prévisibilité du préjudice peut, certes, jouer un rôle important sur le quantum de l’indemnisation, en ne réparant pas tous les aspects de la perte subie. La jurisprudence française a connu une évolution qui mérite d’être soulevée à ce propos.

248. – Dans son arrêt du 22 septembre 2010, dans lequel Mr. Rouquette a fait grief du

retard de son train SNCF, ce qui a eu des conséquences dommageables du fait qu’il a raté ainsi un autre train, déjà réservé, pour continuer son itinéraire, la Cour d'appel de Paris a fait droit à ses réclamations en lui octroyant une indemnisation de toutes les pertes subies, se justifiant sur le fait que la ponctualité du train constitue une obligation de résultat, dont le manquement exigerait l’indemnisation de toutes les pertes subies à cause de ce manquement.

249. – Une évolution jurisprudentielle remarquable, concernant la mise en application des

effets du préjudice prévisible, a été relevée par l’arrêt de la Cour de Cassation du 28 avril 2011372. Dans cette affaire, les époux Nazairiens ont demandé des indemnisations de tous leurs préjudices subis à cause du retard de leur train SNCF leur ayant fait rater leur avion pour Cuba. En l’occurrence, la Cour a pris en considération les dispositions de l’article 1150 du Code civil français qui dispose que : « Le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été

prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée ». Par conséquent, la conclusion d’un autre contrat de transport aérien,

d’après la Cour de cassation, n’est pas un fait que la société SNCF peut prévoir afin d’être condamnée à indemniser les préjudices qui en découlent373. Dans le même sens, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 26 septembre 2012. En l’espèce, il s’agissait d’un avocat au barreau de Limoges, qui avait une plaidoirie au Tribunal de commerce de Paris à 10h00, qui a acheté un billet de train SNCF aller-retour Limoges - Paris, pour arriver à 8h45 le 11 février 2012. L’avocat qui n’a pas pu assister à la plaidoirie, à cause du retard du train de près de quatre heures, a demandé le remboursement du prix de ce billet avec des dommages- intérêts. La Cour d’appel lui a accordé, outre le remboursement du prix du billet du train, des

372 Civ. 1er, 28 avril 2011, pourvoi n˚ 10-15056, Bull. civ. I, n˚ 77, D. 2011, 1280, note I. Gallmeister. 373

V. J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil, Les obligations, Le rapport d’obligation, 7eme éd. Dalloz, 2011, op. cit., p. 203.

dommages-intérêts comme ce qui suit : « 500 euros pour compenser sa perte d’honoraires, 1000 euros pour la perte de crédibilité vis-à-vis de son client et 500 euros en réparation de l’inquiétude et de l’énervement qu’il avait éprouvés ». Or, la Cour de cassation a cassé cette décision, à l’exception de la condamnation de la SNCF à rembourser le prix du voyage avec des intérêts aux taux légal, au visa de l’article 1150 du Code civil en raison que « les motifs invoqués par la

juridiction de proximité, pour condamner la SNCF à payer diverses sommes, étaient impropres à établir que le dommage invoqué était prévisible lors de la conclusion du contrat de transport, si ce n’est quant au coût de celui-ci rendu inutile par l’effet du retard subi, et constituait une suite immédiate et directe de l’inexécution de ce contrat »374.

250. – Analyse critique. – Nous ne trouvons pas des difficultés pratiques et juridiques à

partager la position de la Cour de cassation dans ses arrêts du 28 avril 2011 et du 26 septembre 2012. D’un côté, on ne doute pas du fait que la conclusion des autres engagements, qui dépendent de la bonne conclusion du contrat, objet du litige, ne peuvent pas toujours être considérés comme un élément prévisible d’indemnisation de la part de l’autre cocontractant. D’un autre côté, il est vrai aussi que dans certains cas, notamment dans le cas des contrats de transport, il est tout à fait normal et sous-entendu que le retard ou tout autre problème inattendu relatif au moyen de transport prévu peut souvent engendrer pour les passagers des préjudices variés qui en découlent. Dans ce cas, c’est au passager d’établir ces chefs de préjudices pour examen au regard du principe de prévisibilité.

251. – Par ailleurs, il est bien constaté en tant que règle générale que « le transporteur est

toujours tenu d’une obligation de résultat375 ». Cependant, cette obligation doit être examinée vis-à-vis de la règle de prévisibilité dans le cadre de l’évaluation des indemnisations dues. Il est bien établi aussi que l’appréciation d’indemnisation dans les cas similaires relève surtout des pouvoirs souverains des juges et des arbitres, puisque l’identification du préjudice prévisible est estimée comme un élément de fait. De la sorte, tout préjudice allégué doit être justifié par des preuves matérielles et concrètes.

374 Cass. 1re civ., 26 septembre 2012, n˚ 11-13.177, Sté nationale des chemins de Fer français c. G., JurisData n˚

2012-021553, Responsabilité Civile et Assurances, N˚ 12, Décembre 2012, pp. 17-18, note Sophie Hocquet-Berg.

375

Philippe Delebecque, Les règles de Rotterdam ont-elles un avenir ?, Revue de droit commercial, maritime, aérien et des transports, 2009, p. 168.

En tout cas, la prévisibilité du préjudice reste un caractère essentiel pour l’octroi d’indemnisation, qui a été consacré d’ailleurs par les instruments internationaux du droit uniforme.

252. – La consécration du concept de la prévisibilité dans les instruments internationaux du droit uniforme. – La large reconnaissance de la règle de prévisibilité du

préjudice en droit comparé s’est vu un reflet dans la consécration de ladite règle par les différents instruments internationaux. L’article 74 de la Convention de Vienne, sur la vente internationale des marchandises, dispose que « les dommages-intérêts ne peuvent être supérieurs à la perte subie et au gain manqué que la partie en défaut avait prévus ou aurait dû prévoir au moment de la conclusion du contrat, en considérant les faits dont elle avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance, comme étant des conséquences possibles de la contravention au contrat ». Dans la même logique juridique, il a été constaté dans les Principes du droit européen des contrats, dans l’article 9 : 503, que le débiteur n’est tenu que du préjudice qu’il a prévu ou aurait dû raisonnablement prévoir. De même, les Principes Unidroit relatifs aux contrats du commerce international ont adopté la même position juridique en relevant, dans l’article 7.4.4, le fait de l’indemnisation du seul préjudice prévisible376.

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