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PARAGRAPHE I. LE CAS DE L’INEXECUTION DU CONTRAT

B. La pratique arbitrale

182. – Il apparaît que la jurisprudence arbitrale est, en principe, toujours attachée à la

position juridique traditionnelle qui exige l’existence du préjudice afin de justifier l’allocation des dommages-intérêts. On verra alors, dans ce qui suit, l’exigence du préjudice pour la réparation, en cas d’inexécution contractuelle, par la jurisprudence arbitrale du commerce international (1), ainsi que par les instruments internationaux du droit uniforme (2).

1. L’exigence du préjudice en cas d’inexécution pour l’allocation d’indemnisation par la jurisprudence arbitrale du commerce international

183. – La doctrine en matière d’arbitrage commercial international a relevé à plusieurs

reprises que la survenance du préjudice est considérée comme un élément essentiel pour l’indemnisation en cas d’inexécution contractuelle ou de la résolution du contrat. L’analyse des sentences arbitrales traitant ce sujet a pu soulever l’appartenance de cette règle à la lex

mercatoria265.

184. – Plusieurs sentences arbitrales ont abordé le sujet de l’exigence du préjudice en cas

d’inexécution contractuelle pour l’allocation d’indemnisation. On trouve, par exemple, les sentences CIRDI de AAPL contre Sri Lanka en 1990266, SPP contre Egypte en 1992267 et la sentence CCI n˚ 3099/3100 en 1979268, qui ont dégagé l’exigence que le préjudice indemnisable soit certain. Aussi les sentences CCI n˚ 3131/1979 et 5904/1989 ont relevé expressément que le préjudice, en sus qu’il soit certain, doit vraiment exister en vue de l’allocation des indemnisations269.

265

Mireille Taok, La résolution des contrats dans l’arbitrage commercial international, thèse précitée, 2009, p.127 ; J. Ortscheidt, la réparation du dommage dans l’arbitrage commercial international, thèse précitée, pp. 21 et s.

266 Société Asian Agriculture Product Ltd. (A.A.P.L.) c. Sri Lanka, CIRDI, Affaire n˚ ARB/87/3, sentence rendue le

27 juin 1990, E. Gaillard, La jurisprudence du CIRDI, éd. A. Pedone, 2004, p. 323.

267

Southern Pacific Properties (Meddle East) Limited “SPP Ltd” c. La République Arabe d’Egypte, CIRDI, Affaire N˚ ARB/84/3, sentence rendue le 20 mai 1992, E. Gaillard, La jurisprudence du CIRDI, op. cit, p. 347.

268 Sentence CCI n˚ 3099/3100, 1979, JDI, 1980, p. 951, obs. Y. Derains ; Recueil des sentences arbitrales de la

CCI, Vol. I, pp. 67 et s.

269 Les arrêts précités en-dessus sont cités par Mireille Taok, La résolution des contrats dans l’arbitrage commercial

international, thèse précitée, LGDJ, 2009, pp. 127-128. Ces arrêts constatent en premier lieu la règle de la certitude du préjudice, sur cette règle v. infra n˚ 207 et s.

185. – Il est important de signaler aussi que les Tribunaux arbitraux ont toujours

maintenu cette solution. On peut trouver un exemple exprès dans l’affaire Merill, dont la sentence a été rendue le 31 mars 2010, dans laquelle les arbitres ont procédé à l’examen de l’existence du préjudice au stade même de l’engagement de la responsabilité270. Pour refuser d’admettre la responsabilité du Canada sur la base de l’ALENA, le Tribunal a relevé, sans avoir besoin d’examiner l’existence d’une violation de l’obligation du traitement juste et équitable en l’espèce, qu’il ne s’agit pas d’un préjudice établi justifiant la réparation. Un rapport juridique entre le préjudice et l’indemnisation est ainsi exigé par les arbitres271.

186. – Cette question porte une vraie subtilité juridique méritant ainsi d’être soulevée. Il

nous semble que l’indemnisation peut être allouée à juste titre à la partie lésée dans le cas où l’acte illicite commis par son cocontractant l’a juridiquement affecté. On peut invoquer, dans ce sens, l’opinion dissidente de l’arbitre G. Borne dans l’affaire Biwater en 2008 qui a abouti à la même solution en n’exigeant pas un dommage monétaire afin de permettre l’indemnisation272. Pourtant, la pratique arbitrale en la matière montre que « la notion de préjudice juridique demeure étrangère aux arbitres majoritaires273 ».

187. – Il nous paraît important de distinguer entre deux questions juridiques différentes :

la première c’est la certitude du préjudice, et l’autre est l’exigence du préjudice pour l’allocation d’indemnisation. Toutefois, la distinction reste théorique, vu que l’exigence du préjudice pour l’allocation d’indemnisation en cas d’inexécution contractuelle est déjà soulevée et approuvée à plusieurs reprises par les arbitres internationaux. Par ailleurs, cette question semble être aussi tranchée expressément par les instruments internationaux de droit uniforme.

270 Merrill & Ring Forestry LP c. Canada, CNUDCI/ALENA (CIRDI), sentence rendue le 31 mars 2010, paras 243

et s., Franck Latty, AFDI, Paris, 2010, pp. 635-637.

271

V. M. Raux, De quelques développements récents sur le dommage et sa réparation dans le cadre du contentieux investisseur-État, Cahiers de l’arbitrage, 1er octobre 2010, N° 4, pp. 1033 et s.

272 V. Biwater Gauff Ltd. C. Tanzanie, CIRDI, affaire n˚ ARB/05/22, sentence rendue le 24 juillet 2008, publiée au

site officiel de ITA, opinion dissidente de l’arbitre G. Borne, para. 26 « The fact that this injury does not entail monetary damage in no way implies that there was no injury; on the contrary, an injury can very readily exist even without monetary damage ».

2. L’exigence du préjudice en cas d’inexécution pour l’allocation d’indemnisation par les instruments internationaux du droit uniforme

188. – Les Principes du droit européen des contrats, dans l’article 9 :501 (1)274, ont rattaché l’allocation des dommages-intérêts au préjudice résultant de l’inexécution, et non pas le fait de l’inexécution contractuelle toute seule. Dans le même ordre d’idée, les Principes Unidroit ont exigé aussi, dans l’article 7.4.2 (1)275, la survenance d’un préjudice en tant que condition de l’indemnisation. Ainsi, l’indemnisation est censée réparer le préjudice causé par l’inexécution d’après ces deux grands textes de droit uniforme.

189. – De l’illustration précédente, il s’avère que l’indemnisation en cas d’inexécution,

dans la jurisprudence arbitrale du commerce international, exige en principe l’existence du préjudice. Toutefois, il nous paraît que cette solution s’avère néanmoins contestable, l’analyse de cette position juridique est néanmoins toujours utile. Dans ce sens il est important de relever, d’une part, la controverse, même dans le système juridique français, comme indiqué, relative au principe de l’exigence du préjudice comme préalable à l’indemnisation en cas d’inexécution. D’autre part, c’est surtout dû à l’adoption du système juridique de Common Law de la solution inverse276. D’où, l’existence du concept de nominal damages qui sert à indemniser la partie lésée sous la forme d’une somme symbolique des dommages-intérêts du fait de l’inexécution du contrat, même si aucun préjudice ne lui a été causée. Ainsi, la position arbitrale actuelle constate l’exclusion de l’allocation des dommages-intérêts symboliques en exigeant l’existence d’un préjudice pour l’indemnisation en cas d’inexécution277.

274 L’article 9 :501 (1) prévoit, en ce sens, que « le créancier a droit à des dommages et intérêts pour le préjudice que

lui cause l’inexécution… ».

275

L’article 7.4.2 (1) des Principes Unidroit prévoit que « le créancier a le droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a subi du fait de l’inexécution ».

276 G. H. Treitel, The law of contract, 12th ed., Sweet and Maxwell, 2007, op. cit., n˚ 20-002 : « an action for

damages can succeed even though the victim has not suffered any loss : in that event it will result in an award of nominal damages ».

277

V. en ce sens, Mireille Taok, La résolution des contrats dans l’arbitrage commercial international, thèse précitée, 2009, n˚ 186, p. 128.

190. – Conclusion. – Par ailleurs, la position de la jurisprudence arbitrale est toutefois

compréhensible en exigeant l’existence du préjudice pour l’allocation des dommages-intérêts à la partie lésée. Il nous semble que cette position, dans une grande partie, relève du fait que les arbitres tendent surtout à assurer les sentences rendues et à les rendre efficaces afin de garantir leur exequatur dans les pays de l’exécution de chaque sentence, ainsi que de garantir la non susceptibilité de leur annulation ultérieurement.

Une autre hypothèse est à illustrer afin de vérifier si les arbitres peuvent allouer des indemnisations sur le seul fondement de la violation de l’attente légitime de la partie lésée, ce qui est déjà un principe bien établi dans la jurisprudence arbitrale.

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