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PARAGRAPHE II. L’INEXECUTION CONTRACTUELLE EN TANT QUE FAIT GENERATEUR PRIMORDIAL D’INDEMNISATION DANS LE CADRE D’UN

B. Les incidences restreignant l’allocation d’une indemnisation intégrale en cas d’inexécution contractuelle

2. L’obligation de renégociation

153. – L’obligation de renégociation est déjà consacrée au titre de la lex mercatoria (a),

ainsi qu’elle reconnaît une application large par les arbitres (b) en ayant toujours des incidences sur l’indemnisation intégrale en cas d’inexécution contractuelle.

a. La consécration de l’obligation de renégociation au titre de la lex mercatoria

154. – En principe, la jurisprudence arbitrale est en faveur du maintien de la relation

contractuelle et de son exécution de bonne foi, c’est la raison principale pour laquelle les arbitres sanctionnent le refus de renégociation de la part de la partie lésée. Autrement dit, si la renégociation avait pour effet de maintenir les engagements contractuels d’une manière satisfaisante vis-à-vis des parties contractantes, la partie lésée aura alors l’obligation de négocier les offres de son débiteur dans ce cas. Par contre, le refus d’une renégociation raisonnable, dans le cadre de l’exécution contractuelle de bonne foi, en mettant fin au contrat, pourrait être considéré comme une rupture abusive dudit contrat225. Dès lors, les arbitres exigent que la partie lésée adopte un comportement actif par rapport à l’inexécution établie, sous peine de voir diminuer ses indemnisations dues.

224 Cécile Le Gallou, Rupture brutale : le respect d’un délai n’exclut pas la mauvaise foi “Cass. com., 8 oct. 2013, n˚

12-22.952, P+B”, RLDC, décembre 2013, Act. 5303, pp. 16-17.

225

V. en ce sens notamment en cas de « contrats d’Etat » (State contract), W. Peter, Arbitration and renegotiation of international investment agreements, 2e éd., La Haye, Kluwer, 1995, pp. 129 et s.

i. La consécration dans les instruments internationaux du droit uniforme

155. – Une solution consacrée par les Principes du droit européen des contrats. – Les

Principes du droit européen des contrats dans l’article 6.111 (3) ont soulevé l’obligation de négocier en vue de maintenir les engagements contractuels sous le fondement du principe général de bonne foi226. Par conséquent, le refus injustifié de la négociation de la part de l’une des parties contractantes peut être l’objet d’indemnisation à l’égard de son cocontractant lésé de ce fait.

156. – Une solution consacrée par les Principes d’Unidroit. – Les Principes d’Unidroit

ont consacré aussi le concept de la négociation, bien qu’il ne soit pas invoqué en tant qu’obligation dans l’article 6.2.3 des Principes227. D’une part, la négociation a été mentionnée en tant qu’une possibilité offerte à la partie lésée, et non pas comme une obligation incombant sur les parties contractantes, comme ce qui est prévu dans les dispositions des Principes du droit européen des contrats susmentionnées. Et d’autre part, l’article 6.2.3 des Principes d’Unidroit a prévu que le Tribunal peut soit mettre fin au contrat, soit l’adapter afin de rétablir l’équilibre entre les engagements des parties contractantes. Toutefois, on peut toujours déduire de cette disposition l’importance accordée à la négociation de bonne foi en cas d’inexécution contractuelle et sa priorité, en tant que moyen pour résoudre le litige, sur l’établissement de la résolution du contrat.

226 L’article 6.111 des Principes du droit européen des contrats dispose que : « (1) Une partie est tenue de remplir ses

obligations, quand bien même l’exécution en serait devenue plus onéreuse, soit que le coût de l’exécution ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué.

(2) Cependant, les parties ont l’obligation d’engager des négociations en vue d’adapter leur contrat ou d’y mettre fin si cette exécution devient onéreuse à l’excès pour l’une d’elle en raison d’un changement de circonstances

(a) qui est survenu après la conclusion du contrat (b) qui ne pouvait être raisonnablement pris en considération au moment de la conclusion du contrat, (c) et dont la partie lésée n’a pas à supporter le risque en vertu du contrat. (3) Faute d’accord des parties dans un délai raisonnable, le tribunal peut

(a) mettre fin au contrat à la date et aux conditions qu’il fixe, (b) ou l’adapter de façon à distribuer équitablement entre les parties les pertes et profits qui résultent du changement de circonstances.

Dans l’un et l’autre cas, il peut ordonner la réparation du préjudice que cause à l’une des parties le refus par l’autre de négocier ou sa rupture de mauvaise foi des négociations. » (Souligné par nous).

227 L’article 6.2.3 des Principes Unidroit dispose que : « (1) En cas de hardship, la partie lésée peut demander

l’ouverture de renégociations. La demande doit être faite sans retard indu et être motivée. (2) La demande ne donne pas par elle-même à la partie lésée le droit de suspendre l’exécution de ses obligations. (3) Faute d’accord entre les parties dans un délai raisonnable, l’une ou l’autre peut saisir le tribunal. (4) Le tribunal qui conclut à l’existence d’un cas de hardship peut, s’il estime raisonnable : a) mettre fin au contrat à la date et aux conditions qu’il fixe ; ou b) adapter le contrat en vue de rétablir l’équilibre des prestations. ».

ii. La consécration dans la jurisprudence arbitrale228

157. – Les arbitres du commerce international ont exigé, à plusieurs reprises, le respect

de l’obligation de renégociation dans le cas où les dispositions contractuelles existantes ne peuvent plus résoudre les difficultés d’exécution survenues après la conclusion du contrat229. Dans les cas similaires, les arbitres appliquent l’obligation de renégociation au titre de la lex

mercatoria, en respectant néanmoins les clauses contractuelles à cet égard.

158. – Un des exemples peut apparaître dans la sentence n˚ 2508/1976 rendue sous

l’égide de la CCI230, dans laquelle le Tribunal arbitral, afin de condamner le vendeur (le débiteur) en l’espèce, a constaté que celui-ci aurait pu tenter de réadapter les dispositions du contrat conclu en augmentant le prix du produit fixé dans le contrat puisque les circonstances économiques le justifient, notamment avec la hausse du prix de ce produit contractuel. En suivant la même logique juridique, une autre sentence CCI n˚ 2540/1976231 a décidé que chacune des parties contractantes peut, au titre du respect du principe de bonne foi en cas du renversement de l’équilibre de l’économie du contrat, tenter d’aboutir à une réadaptation des dispositions contractuelles en vue de surmonter les obstacles dans l’exécution du contrat. De même, les arbitres, dans la sentence CCI n˚ 2291/1975232, ont soulevé l’application d’une vraie obligation de renégociation, sous le fondement de bonne foi et de loyauté, ayant une valeur transnationale en tant qu’une règle de la lex mercatoria. Dès lors, la consécration de l’obligation de renégociation a pour effet de sauvegarder l’équilibre du contrat233 et ainsi d’assurer sa mise en œuvre234, en cas de difficulté de son exécution et dont la violation influence négativement sur l’indemnisation du préjudice due en vertu de l’inexécution dudit contrat.

228 Sur la définition du terme de « jurisprudence arbitrale » en droit international, v. Olivier Pomiès, Dictionnaire de

l’arbitrage, Presses Universitaires de Rennes “PUR”, 2011, pp. 117-118.

229 V. par exemple, sentence CCI n˚ 2291/1975, JDI, 1976, p. 989, obs. Y. Derains, Recueil des sentences arbitrales

de la CCI, Vol. I, p. 274.

230 Sentence n˚ 2508/1976, JDI, 1977, p. 939.

231 Sentence n˚ 2540/1976, CCI, Recueil des sentences arbitrales de la CCI, Vol. I, p. 296. 232 Sentence précitée.

233 B. Goldman, La lex mercatoria dans les contrats et l’arbitrage internationaux : réalités et perspectives, JDI,

1979, p. 494.

b. La mise en application de l’obligation de renégociation par les arbitres

i. L’effet négatif du refus de renégociation sur l’indemnisation du préjudice

159. – Le non respect de l’obligation de renégociation dans l’arbitrage du commerce

international aurait pour effet d’influencer négativement sur l’indemnisation du préjudice dû. La sentence SG 103/74235 en fait exemple. Cette sentence nous présente une illustration importante sur le rôle et l’effet juridique de la violation de l’obligation de renégociation. En effet, la sentence affirme que l’obligation de renégociation a pour effet de sauvegarder l’équilibre dans les engagements contractuels et d’assurer une protection juridique contre la prononciation d’une rupture abusive du contrat. En outre, afin d’amener les conséquences juridiques jusqu’au bout, la sentence envisage la solution de la réparation du préjudice en cas de violation de l’obligation de renégociation dans la jurisprudence arbitrale. Il s’agissait, en l’occurrence, d’un contrat de licence exclusive d’un équipement en vertu duquel le demandeur a octroyé la licence au défendeur contre le versement d’une redevance minimale à partir du début de l’année 1971. Le contrat a exigé un délai minimal de six mois avant la résiliation du contrat pour sa mise en demeure, vu que le contrat peut être résilié le 21 décembre 1973. Toutefois, le défendeur a résolu le contrat le 23 novembre 1973 après qu’il n’ait pas réussi à réaliser les profits attendus de la vente de l’équipement. Le demandeur a saisi le Tribunal arbitral pour réclamer son droit aux redevances minimales pour les années 1972 à 1974, avec 10% d’intérêts moratoires comme prévu dans le contrat. Le Tribunal a approuvé, d’une part, la résolution du contrat. Et d’autre part, il a alloué des indemnisations pour des redevances minimales prévues jusqu'à fin 1973, et non pas 1974 comme réclamé par le demandeur dans sa demande initiale236.

160. – Il est important de relever, en ce qui concerne l’obligation de renégociation

soulevée par le Tribunal en l’espèce, que cette sentence précitée a principalement fondé la validation de la résolution du contrat, entre autres raisons avancées par le Tribunal, sur le fait du refus de la négociation, de la part du demandeur, initiée par le débiteur afin d’éviter les risques

235 Sentence n˚ SG 103/74, rendue le 28 janvier 1976, Court of arbitration attached to the Chamber of Foreign

Trade, Berlin, Yearbook Commercial Arbitration “YBCA”, 1979, p. 197.

déraisonnables. Et c’est ce refus de la négociation qui a amené le Tribunal à diminuer les indemnisations dues au demandeur. Notons que cette décision a été basée, pour condamner le refus de renégociation, sur le fondement de la violation de bonne foi.

161. – Dans la même année, une autre célèbre sentence n˚ 2478/1974 rendue sous l’égide

de la CCI237 a condamné le refus de la renégociation proposée par le vendeur en vue de sauvegarder le contrat. En l’espèce, le Tribunal arbitral a refusé d’allouer à l’acheteur (le demandeur) l’intégralité de l’indemnisation due à cause de son refus de négocier la proposition raisonnable de la part du vendeur (le défendeur). Selon le Tribunal, il est vrai que le nouveau prix proposé était supérieur au prix initialement convenu dans le contrat, mais reste toujours inferieur au prix du marché. Par conséquent, le Tribunal n’a alloué au demandeur que des indemnisations égales à la différence entre le prix contractuel et le prix proposé par le vendeur. Ce qui nous montre que le non respect de l’obligation de renégociation, dans le cas de l’inexécution contractuelle, pourrait engendrer des effets négatifs sur l’allocation des dommages- intérêts dus.

ii. Les limites juridiques

162. – Rappel du principe. – En principe, l’obligation de renégociation trouve sa source,

comme nous l’avons indiqué, dans le respect du principe de bonne foi dont la violation se répercuterait négativement sur l’indemnisation due en raison de l’inexécution contractuelle.

163. – La limite. – Toutefois, cette règle connait sa limite. En effet, dans l’idée générale

selon laquelle le but de cette obligation est de trouver une solution raisonnable de l’inexécution contractuelle ; une fois que les parties contractantes ont employé les moyens raisonnables à cette fin, elles ne sont pas forcées de réadapter leur engagement contractuel238. Dès lors, l’obligation

237 Sentence n˚ 2478/1974, JDI, 1975, obs. Y. Derains, Yearbook Commercial Arbitration “YBCA”, 1978, p. 222,

Recueil des sentences arbitrales de la CCI, Vol. I, p. 233.

238 V. F. Osman, Les principes généraux de la les mercatoria, Contribution à l’étude d’un ordre juridique anational,

thèse, Préface E. Loquin, LGDJ, 1992, pp. 162 et s. Y. Picod, Le devoir de loyauté dans l’exécution des contrats, thèse, LGDJ, 1989, op. cit., pp. 212 et s.

de renégociation trouve son fondement dans le principe de bonne foi et, au même titre sa limite239.

164. – Critères de la limite dans la jurisprudence arbitrale. – En outre, la

jurisprudence arbitrale a illustré les limites juridiques de l’obligation de renégociation. D’une part, la négociation, dans le cadre de l’inexécution contractuelle doit, conformément au principe de bonne foi, être amenée sur la base des propositions raisonnables. D’autre part, l’objet de la négociation doit comprendre seulement ce qui est essentiel afin de protéger l’équilibre contractuel prévu par l’intermédiaire de son exécution240.

Là réside le compromis juridique entre le principe pacta sunt servanda, qui a pour effet de maintenir les engagements contractuels prévus par les parties, et l’obligation de renégociation qui tend principalement à maintenir la relation contractuelle au lieu d’y mettre fin241. Autrement dit, le rôle de l’obligation de renégociation est de tenter de dépasser les difficultés causant l’inexécution du contrat, et non pas de mettre en cause les obligations contractuelles. De ce fait, on peut déduire plus clairement la non contradiction entre l’obligation de renégociation d’un côté, et le respect des engagements contractuels d’autre côté242. Fait qui explique la raison pour laquelle la violation de l’obligation de renégociation aurait des effets négatifs sur l’appréciation de l’indemnisation du préjudice.

165. – Conclusion. – De tout ce qui précède, il s’avère qu’afin d’aboutir à une

indemnisation intégrale du préjudice en raison de l’inexécution contractuelle, la partie lésée doit aussi, de sa part, respecter certaines règles juridiques pour qu’elle soit intégralement indemnisée à juste titre.

Il est important de respecter, notamment à cet égard le fait de ne pas mettre fin au contrat de manière abusive, ainsi que de respecter l’obligation de renégociation. Et cela dans le but, d’une part, de coopérer de bonne foi, qui est déjà un principe général de droit qui est censé régir

239 Y. Picod, Le devoir de loyauté dans l’exécution des contrats, thèse précitée, p. 200. 240 V. en ce sens par exemple, sentence précitée n˚ 2508/1976, JDI, 1977, p. 939.

241 V. en ce sens, Y. Derains, Les tendances de la jurisprudence arbitrale internationale, JDI, 1993, p. 851. 242

V. en ce sens, B. Goldman, La lex mercatoria dans les contrats et l’arbitrage internationaux : réalités et perspectives, JDI, 1979, op. cit., p. 494.

toute la relation contractuelle, et d’autre part, de tenter de faire survivre les engagements contractuels tel que le maintien du contrat dispose d’une valeur juridique supérieure qui découle d’un autre principe général de droit, qui est celui du pacta sunt servanda.

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