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PARAGRAPHE I. LE CHAMP D’APPLICATION DE L’INDEMNISATION DU PREJUDICE

B. La spécificité juridique de l’indemnisation du lucrum cessans

2. Des difficultés pratiques de l’indemnisation du lucrum cessans

319. – L’invocation de quelques difficultés pratiques dans l’évaluation du lucrum

cessans par les arbitres internationaux. – D’abord, il est important de souligner que l’évaluation du gain manqué est aussi très compliquée pour les juges du fond dans le système juridique français. Ces derniers disposent d’un pouvoir discrétionnaire important à cet égard, en raison du caractère imprécis du gain manqué473. Le calcul de l’indemnisation du préjudice pour le gain manqué devient plus compliqué dans le cas des contrats à long terme474. Une telle difficulté s’explique dans le fait que l’évaluation risque dans ce cas, d’être trop aléatoire vu qu’une appréciation rigoureuse des futures transactions et l’enrichissement que la partie lésée aurait pu réalisée serait pratiquement inaccessible475. Dans ce sens, on peut citer, à titre d’exemple, la sentence n˚ 1195 rendue sous l’égide de la chambre d’arbitrage maritime de Paris. En l’espèce, il s’agissait d’une impossibilité d’exécution de la charte-partie justifiant l’annulation de celle-ci par l’affréteur. Or, cette décision n’était pas exempte de faute. Pourtant, il a été jugé que « l’affréteur doit indemniser le fréteur des dépenses qu’il a pu engager en pure perte mais non pas pour son gain manqué »476.

320. – Par ailleurs, l’indemnisation du gain manqué est une notion large, voire floue dans

certains cas, qui laisse un pouvoir discrétionnaire remarquable aux arbitres dans la détermination du montant de l’indemnisation due. Dès lors, les arbitres refusent parfois d’indemniser le gain manqué sur la base d’insuffisance de preuve. Dans ce sens, on peut citer la sentence CCI n˚

473 Elodie Levacher, Le gain manqué, thèse, Ph. Delebecque (dir.), Paris I, 2010, op. cit., pp. 313-320.

474 V. Par ex. en ce sens, Himpurna California Energy Ltd c. PT. PLN (Persero), CNUDCI, Arbitrage ad hoc,

sentence rendue le 4 mai 1999, YBCA, XXV, 2000, pp. 13-108.

475

Ch. Leben (dir.), Le contentieux arbitral transnational relatif à l’investissement, Anthémis, 2006, p. 324.

13133 dans laquelle le Tribunal a refusé, pour le même motif, la réclamation du demandeur des dommages-intérêts pour le gain manqué, entre autres, d’une somme de 3 973 864 dollars américains dans le cadre d’inexécution d’un contrat de construction477. Par ailleurs, il est important de noter que les bénéfices que la partie lésée aurait pu réaliser, si le contrat avait été correctement exécuté, sont souvent incertains478. Toutefois, la pratique arbitrale nous montre à plusieurs reprises le refus d’exclure l’indemnisation du gain manqué malgré la constatation du fait de la difficulté de calculer avec exactitude la somme due à cause du préjudice subi qui en découle. Citons à titre d’exemple l’affaire Soabi rendue sous l’égide du CIRDI en 1988479, dans laquelle le Tribunal examinait une demande des dommages-intérêts en raisoune rupture irrégulière par le gouvernement du Sénégal du contrat de construction conclu avec la société demanderesse. Le Tribunal a pu déclarer en l’espèce qu’il est très difficile de calculer le montant d’indemnisation, avec exactitude, dans un contrat à long terme de construction et de ventes immobilières. Pourtant, il a refusé d’appliquer avec rigidité les règles classiques de l’évaluation d’indemnisation afin de pouvoir indemniser le gain manqué en l’espèce480. Rappelons qu’en l’espèce le Tribunal a évalué le montant de l’indemnisation correspondant à la perte de la chance à gagner de la demanderesse d’une somme de 150 000 000 de francs CFA. On peut déduire qu’une telle interprétation signifie qu’il s’agit d’une application souple, par rapport au principe de l’indemnisation intégrale du préjudice, pour ne pas exclure l’indemnisation du lucrum

cessans. La même position juridique a été adoptée dans une autre affaire CIRDI, dans la sentence MINE481, dans laquelle le Tribunal a constaté expressément l’exigence d’évaluer l’indemnisation des profits perdus avec souplesse. Il a conclu ainsi que l’indemnisation du gain manqué ne peut être refusée du simple fait de la difficulté de calculer précisément le quantum en l’occurrence482. Rappelons aussi dans ce cas que le Tribunal a décidé d’indemniser la demanderesse, au titre du gain manqué résultant de la résiliation du contrat par la république de Guinée, d’une somme de 6 726 497 dollars américains. La même position juridique a été adoptée dans la célèbre affaire

477 V. sur le refus de l’indemnisation du gain manqué par les arbitres, la sentence CCI n˚ 13133/2007, YBCA 2010,

Vol. XXXV, pp. 139, 145 ; Recueil des sentences arbitrales de la CCI, Vol. VI (2008-2011), pp. 447 et s.

478 V. en ce sens, les commentaires sous l’article 7.4.2 des Principes Unidroit relatifs aux contrats du commerce

international, Institut international pour l’unification du droit privé, 2010, pp. 276 et s.

479 Société Ouest Africaine des Bétons Industriels (SOABI) c. La République du Sénégal, CIRDI, affaire n˚

ARB/82/1, les 4 et 9 février 1988, JDI, 1990, op. cit., p. 193 et s., spéc. p. 201, obs. E. Gaillard.

480 E. Gaillard, La jurisprudence du CIRDI, éd. A. Pedone, 2004, op. cit., p. 255.

481 Maritime International Nominees Establishment (MINE) c. La République de Guinée, CIRDI, affaire n˚

ARB/84/4, sentence rendue le 6 janvier 1988, E. Gaillard, La jurisprudence du CIRDI, éd. A. Pedone, 2004, p. 139.

SPP483 lors de l’examen de l’évaluation de l’indemnisation due par le Tribunal en constatant que la difficulté d’apprécier les préjudices avec exactitude ne peut pas justifier la non allocation des dommages-intérêts lorsqu’il s’agit clairement d’une perte relevée. Il apparaît d’ailleurs de cette illustration que les arbitres internationaux évitent d’exclure l’indemnisation du lucrum cessans en lui reconnaissant un caractère transnational484.

321. – Analyse critique. – Il nous semble que cette position implique une sorte de

contradiction avec l’application littérale du principe de l’indemnisation intégrale du préjudice, notamment avec la règle de l’indemnisation du seul préjudice réellement subi. Toutefois, une telle position s’avère cohérente avec le concept de l’allocation d’une indemnisation adéquate485. Plus particulièrement, dans les cas où un préjudice est certainement subi par la partie lésée, alors qu’il est très compliqué d’apporter une preuve précise et exacte par celle-ci du montant du préjudice subi.

PARAGRAPHE II. LES DOMMAGES-INTERETS MORATOIRES : UNE PARTIE

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