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PARAGRAPHE I. L’INDEMNISATION DU PREJUDICE CERTAIN

B. La portée juridique de la certitude du préjudice

1. Peut-on indemniser un préjudice éventuel ?

221. – La non indemnisation d’un préjudice éventuel est bien établie en tant que règle

transnationale (a). Pourtant, l’éventualité du préjudice ne concerne souvent que le gain manqué, ce qui permet aux arbitres d’indemniser toujours la perte éprouvée dans ce cas (b).

a. la non indemnisation d’un préjudice éventuel

222. – La non indemnisation d’un préjudice éventuel en tant que règle de la lex

mercatoria. – En fait, les arbitres n’admettent pas l’indemnisation du préjudice de nature purement éventuelle. Il s’agit là d’une règle d’application constante. On peut trouver un exemple dans un arrêt CCI qui remonte à l’année 1981328, dans lequel le Tribunal devait statuer sur la demande d’un acheteur syrien qui réclamait une indemnisation du fait d’une livraison qu’il a reçu dans un état non conforme, dans le sens que le poids de la fourniture était inférieur à celui prévu. L’acheteur a alors réclamé le remboursement d’une somme de 224 872,40 dollars américains en déduction de la créance de son vendeur. Il a été relevé, d’ailleurs, qu’il existe un écart remarquable entre le manquant du poids réclamé par l’acheteur et celui établi par les autorités syriennes. Le Tribunal a constaté, en l’espèce, que le préjudice prétendu par l’acheteur est intégralement incertain. Dès lors, le Tribunal a refusé d’indemniser un préjudice douteux, et cela sans faire référence au droit allemand tel qu’il était applicable à ce litige.

223. – Dans le même sens, on peut citer une sentence rendue sous les auspices de la

Society of Maritime Arbitrators en 1980329. Il s’agissait d’un retard de restitution d'un navire, alors que le Tribunal arbitral a refusé, en l’espèce, de faire droit aux indemnisations réclamées par le propriétaire du navire. Le Tribunal a pris cette position sur la base que la méthode adoptée pour l’évaluation de l’indemnisation avait un caractère incertain, et cela sans faire référence non plus au droit applicable pour refuser l’indemnisation du préjudice éventuelle. Les affréteurs, en l’espèce, ont notifié le propriétaire du navire que la restitution de celui-ci était prévue entre le 25 et 30 mai 1979. Le 31 mai 1979, le propriétaire a avisé l’affréteur qu’il s'agissait d’un retard de restitution du navire de plus d’une semaine. Le premier a alors demandé le remboursement de 15 000 dollars américains par jour de retard, sur la base du prix du marché. L’affréteur a contesté ce montant, déclarant qu’il ne devait verser que la somme prévue dans le contrat, celle de 4 625,11 dollars par jour. Vu que le propriétaire avait conclu un autre contrat de location du navire pour une somme de 5 423,17 dollars américains par jour, le Tribunal arbitral a décidé que le montant de l’indemnisation devait être l’équivalent de la différence entre le prix prévu dans l’ancien contrat et celui prévu dans le nouveau contrat. Par conséquent, il a condamné l’affréteur à verser au propriétaire du navire la somme de 7 049,50 dollars américains, plus les intérêts moratoires au taux de 13%, à compter du 3 juin 1979 jusqu’au jour de la sentence. Le Tribunal a refusé les arguments du propriétaire à cause du caractère incertain du préjudice dans ce cas, puisque ce dernier avait prétendu qu’il fallait prendre en considération le prix du marché pour l’évaluation du montant de l’indemnisation, sur la base que ce prix serait le prix réel après que le nouveau contrat prenne fin. Un tel préjudice est considéré éventuel et, en conséquence, non réparable. Ainsi, répétée par les Tribunaux en tant qu’une règle bien établie, une simple vraisemblance du préjudice ne suffit pas pour l’allocation d’indemnisation, comme l’a relevé l’affaire Cassado contre Chili en 2008330. Les arbitres ont fondé ainsi leur décision sur l’allocation des dommages-intérêts en l’espèce sur une analyse juridique portant spécifiquement sur un lien factuel entre le fait internationalement illicite de l’Etat contractant et le dommage

329 Sentence rendue le 31 0ctobre 1980, affaire n˚ 1486-1514, sous l’égide de la Society of Maritime Arbitrators,

YBCA, Vol. VII, 1982, p. 150. Citée aussi par J. Ortscheidt, la réparation du dommage dans l’arbitrage commercial international, thèse précitée, Dalloz, 2001, p. 34.

330

Victor Pey Casado et President Allende Foundation c. Chili, CIRDI, Affaire n° ARB/98/2, sentence rendue le 8 mai 2008, para. 689, Franck Latty, Arbitrage transnational et droit international général, AFDI, Paris, 2008, p. 497.

subi. A cela, la défenderesse a été condamnée à verser aux demanderesses l’équivalent de 10 132 690,18 dollars américains331.

224. – La référence expresse aux règles transnationales. – Les arbitres se sont référés

expressément, à plusieurs reprises, aux règles de la lex mercatoria pour refuser d’allouer des indemnisations pour les préjudices de nature éventuelle. Cette position a pour but de tenter de justifier les sentences rendues, et de leur donner plus de crédibilité en prévoyant la base juridique sur laquelle sont appuyées les décisions des arbitres. On en trouve ainsi un exemple dans la célèbre affaire SPP contre Egypte, dont la sentence a été rendue le 20 mai 1992332, sous les auspices du CIRDI. Le tribunal a clairement affirmé en l’espèce la non indemnisation de préjudices simplement éventuels au titre des règles transnationales333.

225. – Conclusion. – De l’illustration précédente, il paraît clair que le refus de

l’indemnisation du préjudice éventuel relève d’une règle de la lex mercatoria. Autrement dit, il s’agit à ce propos d’une règle de nature transnationale qui a vocation à s’appliquer en dehors même du droit applicable au litige.

b. La possibilité de l’indemnisation de la seule perte éprouvée

226. – Il est important de relever le fait que le refus de l’indemnisation du préjudice

éventuel ne signifie pas toujours de priver la partie lésée de toute indemnisation due. Dans beaucoup de cas, le préjudice éventuel ne concerne que le gain manqué (lucrum cessans)334, alors que la perte éprouvée (damnum emergens)335 reste toujours susceptible d’être indemnisée. On peut relever en ce sens, la sentence Dadras International de la Chambre trois du Tribunal

331

E. Gaillard, La jurisprudence du CIRDI, Vol. II, Paris : A. Pedone, 2010, p. 499.

332 Southern Pacific Properties (Middle East) Limited “SPP Ltd” c. La République Arabe d’Egypte, CIRDI, affaire

précitée n˚ ARB/84/3, sentence rendue le 20 mai 1992, JDI, 1994, obs. E. Gaillard, p. 229.

333 V. J. Ortscheidt, la réparation du dommage dans l’arbitrage commercial international, thèse, Dalloz, 2001, op.

cit., p. 36.

334

Sur la notion de lucrum cessans, v. infra n˚ 301.

statuant sur le litige irano-américains en 1995336. Le Tribunal a refusé toute indemnisation pour le préjudice éventuel, sans avoir toujours besoin de faire référence au droit applicable au litige à cet égard. L’indemnisation refusée en l’espèce était celle du gain manqué. A cela, le préjudice réellement subi et prouvé faisait toujours l’objet d’indemnisation, par opposition au préjudice prétendu découlant du gain manqué qui était de nature spéculative, selon le Tribunal.

227. – La référence expresse aux règles transnationales. – Dans l’affaire Amco, dont la

sentence a été rendue le 31 mai 1990337, les arbitres ont réaffirmé la non indemnisation d’un préjudice hypothétique au titre des règles transnationales. Or, le préjudice non indemnisé en l’espèce était le lucrum cessans en raison de son caractère éventuel. Dès lors, le Tribunal a admis l’indemnisation du damnum emergens en considérant qu’il est toujours réparable, par contre il a refusé d’indemniser le lucrum cessans de nature hypothétique en raison qu’il aurait dû avoir un rapport direct avec le contrat objet du litige338.

228. – Dans la même lignée, on peut faire référence à l’affaire AAPL contre Sri Lanka,

dont la sentence a été rendue le 27 juin 1990339, dans laquelle la société britannique Asian

Agricultural Products Ltd avait réclamé des indemnisations de la part du gouvernement du Sri

Lanka (le défendeur) à cause de l’endommagement subi à ses investissements lors d’une intervention militaire contre des installations rebelles. Le Tribunal en l’espèce, en prenant en considération le TBI applicable et les principes du droit international, a fait droit à la demande de la société AAPL pour lui octroyer des indemnisations dues à l’égard de son investissement. Par contre, le Tribunal a refusé la demande de l’allocation des indemnisations du lucrum cessans en raison de son caractère simplement éventuel. Dès lors, le Tribunal a admis d’allouer à l’investisseur des dommages-intérêts d’une somme de 460 000 dollars américains pour la réparation de ses actifs corporels perdus. Par contre, le Tribunal a refusé les dommages-intérêts demandés par l’investisseur d’une somme de 5 703 667 dollars américains au titre des actifs

336

Dadras International et Per-Am Construction Corporation c. la République Islamique d’Iran et Teheran Redevelopment Company, sentence rendue le 7 novembre 1995, World Trade and Arbitration Materials, Vol. 8, 1996, n˚ 1, p. 157 ; Iran-US Claims Tribunals Reports, 31, 1995, Cambridge University Press, 2001, pp. 131 et s.

337 Amco Asia et autres c. la République d’Indonésie, 31 mai 1990, JDI, 1991, p. 172, obs. E. Gaillard. 338 V. YBCA, 1992, pp. 98-100.

339

Société Asian Agriculture Product Ltd. (A.A.P.L.) c. Sri Lanka, CIRDI, Affaire précitée n˚ ARB/87/3, sentence rendue le 27 juin 1990, JDI, 1992, pp. 217 et s., spéc. p. 223, obs. E. Gaillard.

incorporels, au motif de l’insuffisance de preuve à cet égard, et au titre de la perte de profits futurs en estimant que ce préjudice était très douteux.

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