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d’étude et orientations de recherche

Chapitre 2 : Les espaces verts et leur

2.1. Les espaces verts : objet d’étude pour le géographe

2.1.2. Rétrospective des considérations des espaces verts en France à travers la planification urbaine

Modifiant considérablement leur aménagement et leur gestion, les espaces verts ont subi des évolutions dues aux différentes fonctions qui leur sont attribuées au cours du temps. C’est pourquoi nous nous intéressons aux considérations organisationnelles et fonctionnelles des espaces verts en France, depuis le milieu du XIXème siècle à aujourd’hui. Les parcs et jardins ont toujours existé en ville, de l’antiquité à la renaissance en passant par l’époque médiévale. Cependant, ils ne se définissaient pas en tant qu’espace public au sens contemporain du terme (Merlin et Choay, 2010), c’est-à-dire des espaces à vocation sociale et intégrés à une politique urbaine de planification. Cette dernière conduit à un développement sans précédent des services chargés de la gestion des espaces verts dont les responsables deviennent des « professionnels du verts » (Pôle de Compétence Espaces Verts (Montpellier), 2001).

Les premiers espaces verts apparaissent à Paris, après la révolution française, avec l’ouverture des jardins royaux (Veyret-Mekdjian, 2004), initialement mis à disposition dans un souci d’esthétisme et d’hygiénisme afin de pallier l’insalubrité des villes de l’époque : ruelles étroites, vieilles maisons, absence d’égout... (Lescroart et Braly, 2010). C’est en 1854, que le baron Haussmann impulse une nouvelle orientation, ne considérant plus l’espace vert comme une œuvre architecturale ou artistique, mais comme l’œuvre d’un gestionnaire de service

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public (Merlin et Choay, 2010). Le premier service des promenades et plantations de la ville de Paris est alors créé.

Au début du XXème siècle, Forestier (1908) donne le nom de « système de parcs » à sa vision de l’ensemble des espaces verts parisiens, dans son ouvrage « Grandes villes et systèmes de

parc ». Il fait ressortir la nécessité de fixer une moyenne « d’espaces libres » par habitant,

allant des jardins publics aux ceintures vertes périurbaines (Bennani, 2012), tout en se préoccupant de leur distribution dans le tissu urbain (Novarina, 2003). Il en propose une typologie dont les avenues et les promenades sont des axes « verts » reliant les espaces verts entre eux. Ainsi, « son réseau de parcs fait l’objet d’un programme d’ensemble au sein duquel les « grandes réserves de paysages » protègent les communes à la périphérie des villes centres de l’urbanisation diffuse » (Boutefeu et al., 2008).

La prise en compte concrète des espaces verts, dans la politique urbaine et dans l’aménagement par la planification, est imputée à la loi du 14 mars 1919 instituant l’obligation d’un Projet d’Aménagement, d’Embellissement et d’Extension pour les villes (Mehdi et al., 2012). Il s’agit d’un plan d’urbanisme pour les servitudes esthétiques et les espaces libres à préserver (Mehdi et al., 2012).

Dans les années 1950, à la suite des Congrès Internationaux de l’Architecture Moderne (CIAM), les notions de parc, jardin ou encore de square sont préférées à la notion générique d’espace vert. A cette époque, il est considéré comme un équipement urbain au même titre que les écoles. Les membres des Congrès perdent de vue sa fonction initiale de structuration des formes urbaines (Novarina, 2003). La locution « espaces verts » ou l’expression « espaces verts publics » ne sont alors utilisées qu’à partir de 1961 (Mehdi et al., 2012).

Lewis Mumford, dans son article « Paysage naturel et paysage urbain » en 1960, parle du rôle de « matrice verte » en réaffirmant la fonction hygiénique, sanitaire et récréative des espaces verts et en proposant de multiplier ceux de proximité au service de la population (Donadieu, 2012). Le modèle « horticole » se développe (Figure 8) : jardinières aux couleurs vives, pelouses, végétaux ordonnés et éradication des mauvaises herbes (Menozzi et al., 2014). Cette gestion horticole consiste essentiellement à tondre fréquemment les gazons et à utiliser des produits phytosanitaires pour maintenir le fleurissement des espaces verts. Parallèlement, à l’occasion de l’élaboration du Plan d’Aménagement et D’Organisation Générale de la région parisienne (PADOG) la notion d’espaces verts est précisée. Elle incarne la volonté de mettre en valeur, d’aménager et de développer les espaces de nature en ville afin de répondre aux besoins des citadins et de palier au développement anarchique de

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l’urbanisation dans les zones rurales (Merlin et Choay, 2010). Le PADOG délimite des secteurs de protection de zone non bâtis et de conservation des sites remarquables (Dellus, 2009).

Figure 8 : Jardin Robert-Soleau (source : Revue Antibes Juan-les-Pins, Le Cap, 1967)

Durant les années 1960 à 1970, les espaces verts sont des équipements urbains purement fonctionnels qualifiés « d’espaces verts d’accompagnement », notamment pour la construction des grands ensembles (Mehdi et al., 2012). Ils permettent de répondre aux besoins d’exercices physiques des citadins ou pour l’activité récréative des jeunes enfants (Merlin et Choay, 2010). Le bâti est alors organisé autour de l’espace vert qui est traité à l’anglaise, c’est-à-dire avec des pelouses, des massifs et des boisements placés de manière à faire croire qu’ils semblent avoir préexisté à l’urbanisme (Guet, 2011). Néanmoins, dans la réalité, ces espaces verts sont délaissés, mal délimités coûtant trop cher à entretenir conduisant la nature à y reprendre ses droits au bénéfice de la biodiversité (Guet, 2011). « On ne s’étonnera guère que ces espaces verts n’aient jamais conféré une image positive à ces quartiers. L’abondance d’espaces verts ne suffit donc pas à rendre la ville désirable. » (Guet, 2011). Lors de cette période, les espaces verts se caractérisent par la monoculture, la production de plantes en container plastique et le développement de la mécanisation des services (Pôle de Compétence Espaces Verts (Montpellier), 2001).

A partir des années 1970, avec l’augmentation du temps libre des citadins, ces espaces répondent davantage à des besoins de divertissement (Figure 9). De plus, la prise de conscience des effets négatifs sur la biodiversité de la gestion horticole des années

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précédentes permet les prémices d’un nouveau modèle à dimension plus environnementale du jardinage (Menozzi et al., 2014) avec l’émergence de plantes spontanées et la valorisation des espèces locales.

Figure 9 : Stade nautique, Antibes 1974 (source : Infoville 2000)

En 1973, l’urbanisme réglementaire encourage la réalisation de nouveaux espaces verts (Figure 10) par une circulaire concernant les Zones d’Aménagement Concertées qui fixe l’objectif de 10 % au moins de la superficie de chaque zone en espaces verts d’au minimum 1 500 m² (Merlin et Choay, 2010). En 1974, une autre circulaire ministérielle fixe l’objectif de 10 m²/habitant d’espaces verts de proximité et 25 m²/habitant d’espaces verts périurbain (Zimmermann, 2010). Ces circulaires mettent en avant le fait qu’un espace vert est un équipement structurant, d’intérêt général dont les règles et les servitudes peuvent être déclinées dans des documents d’urbanisme, d’aménagement rural et forestier ou encore des documents de politiques foncières des collectivités territoriales (Boutefeu, 2007). En 1976, une loi instaure une taxe départementale d’espaces verts (Merlin et Choay, 2010), aujourd’hui remplacée par la taxe départementale des espaces naturels sensibles (TDENS) pour obtenir des subventions pour l’acquisition de nouveaux espaces ou pour leur aménagement.

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Figure 10 : Politique d’amélioration et de création d’espaces verts dans les années 1970 (Source : Edition spéciale de « Votre Revue », Bulletin d’informations municipales d’Antibes

Juan-les-Pins, 1977 et Revue Municipale, n°23, octobre 1984)

Les années 1980 sont marquées par les premières réflexions sur la nature et le rôle des espaces verts en milieu urbain (Pôle de Compétence Espaces Verts (Montpellier), 2001). La notion de qualité de vie entre en considération (Boutefeu et al., 2008). Elle se définit à partir du savoir-faire architectural, urbanistique et paysager (Delabarre et Marry, 2012) devenant des pratiques incontournables pour définir un espace vert (Mehdi et al., 2012). Ce dernier symbolise alors la « ville verte » (Figure 11), répondant aux exigences esthétiques, sociales et économiques, qui influence le tourisme, la valorisation foncière, le choix d’habiter à

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En parallèle, le développement de l’informatisation et l’automatisation dans les services contribuent à une avancée en matière de gestion des espaces verts, grâce aux simulations de croissance de végétaux, aux logiciels de conception en 3D ou encore au pilotage à distance des systèmes d’arrosage (Pôle de Compétence Espaces Verts (Montpellier), 2001).

Figure 11 : Parc de la Villa Pauline (Source : Revue Municipale, n°23, octobre 1984)

Une nouvelle vague de type écologique apparaît à partir de 1990 (Figure 12), dont les valeurs de l’espace vert dépendent principalement de la préservation de la biodiversité, du développement pédagogique et de la sensibilisation à l’environnement à l’égard des usagers (Lescroart et Braly, 2010) tout en étant relatives à l’avènement du Développement Durable (Mehdi et al., 2012). Le concept de gestion différenciée émerge afin de répondre aux enjeux de la biodiversité (Menozzi et al., 2014) car elle garantit un mode d’entretien différent selon les espaces, les situations, les usages et les histoires, modifiant les pratiques paysagères et horticoles (Pôle de Compétence Espaces Verts (Montpellier), 2001). « C’est à partir de cette époque que les regards commencent à se tourner vers les espaces verts en les considérant en tant qu’écosystème et non plus seulement comme un décor ou un équipement structurant de la ville. » (Mehdi et al., 2012)

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Figure 12 : Forêt d’Olivier sauvages et de Caroubier typique de l’étage thermo-méditerranéen du Fort Carré acquit par le Conservatoire du littoral en 1997.

La loi de Solidarité et Renouvellement Urbain de 2000 incite les politiques urbaines à la préservation des écosystèmes et des espaces verts. Elle donne lieu à la création d’outils de construction de projets liés aux Développement Durable des territoires et de mise en cohérence des politiques publiques, tels que la Charte pour l’Environnement (Figure 13), le Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT) et le Plan Local d’Urbanisme (PLU). « De fait, l’environnement dans toutes ses composantes se trouve au cœur des objectifs assignés à ces nouveaux documents, au même titre que les autres considérations d’aménagement du territoire. » (Thiollière et al., 2011). A partir de 2007, les politiques se sont emparées d’un autre outil d’aménagement du territoire pour les espaces végétalisés : la trame verte. Elle permet la continuité des espaces végétalisés urbains et l’évaluation des services rendus par le végétal à la société. En effet, l’espace vert est bénéfique en matière de santé, de qualité de l’air ou encore de lutte contre le changement climatique (Zimmermann, 2010). Le SCOT- Grenelle, nouvelle génération du SCOT, approfondit l’approche durable de la planification pour l’organisation du territoire. Les thèmes abordés sont la prise en compte de la

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biodiversité, la nature en ville et la diversité des paysages (Ministère du Logement, de l’Égalité des territoires et de la Ruralité, 2013). « On va incontestablement assister à un « verdissement » des SCOT […] les SCOT seront désormais soumis à une obligation de compatibilité étendue aux directives de protection et de mise en valeur des paysages et de prise en compte des schémas régionaux de cohérence écologique et des plans climat-énergie territoriaux lorsqu’ils existeront. » (Pittard, 2010)

Figure 13 : Square Albert 1er (source : Antibes Juan-les-Pins magazine, n°30, 2000)

En 2010, dans Les Notes de l’Etd3, les espaces verts symbolisent « les bienfaits de la nature en ville », devenus indispensables à « l’équilibre psychique des citadins », à leur détente, à leur repos et à leurs plaisirs. En effet, il s’agit d’instaurer une « vraie nature bien reconnue » (Clergeau, 2007 dans Long et Tonini, 2012) faisant irruption en ville par le biais des espaces verts (Figure 14). C’est alors une construction sociale, maîtrisée pour le bien-être des citadins (Delage et Blanc, 2000 in Zimmermann, 2010), qui prend en compte deux facteurs : la santé publique et la cohésion sociale (Barra, 2015).

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Figure 14 : Pastoralisme urbain (source : Infoville, n°39, Février-Mars 2015)

L’intérêt porté à la biodiversité enrichit la définition de la nature en ville et permet de ne pas se limiter qu’à l’aspect fonctionnaliste des espaces verts (Figure 15). En effet, ils évoluent en tant qu’écosystème dans lequel l’homme est en interaction avec la communauté des êtres vivants (Zimmermann, 2010). La nature en ville est aujourd’hui un concept valorisant le rapport entre biodiversité et urbanisme (Reygrobellet, 2007).

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La planification urbaine, entrée en vigueur depuis la loi fondamentale des communes du 15 février 1884, permet d’intégrer progressivement les espaces verts dans les politiques et les pratiques urbaines par l’intermédiaire des documents d’urbanisme (Mehdi et al., 2012). Evoluant dans un contexte d’urbanisme fonctionnel vers l’urbanisme durable, les espaces verts sont aujourd’hui essentiellement des espaces à vocation sociale et écologique faisant apparaître de nouveaux enjeux (Figure 16).

Figure 16 : Evolution diachronique de la vocation des espaces verts en France depuis les débuts de la planification urbaine

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