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d’étude et orientations de recherche

Chapitre 2 : Les espaces verts et leur

2.2. Le contexte de la gestion durable des espaces verts

2.2.2. Les acteurs de la gestion des espaces verts et leurs relations conflictuelles ?

L’ensemble des acteurs forme un système où se mêlent complicités et conflits entre ceux de même nature et ceux de natures différentes (Brunet, 2001). Les acteurs agissent selon leurs propres intérêts par le biais de moyens et de stratégies (Brunet et al., 1992).

D’après la définition de Brunet et al. (1992), l’acteur est celui qui agit. En géographie, est considéré comme tel tout individu ou ménage, groupe plus ou moins informel (associations, clans ou lobbies), entreprise, collectivité locale ou encore l’Etat (Brunet, 1992). L’individu, ou un collectif, conduit une action qui interagit avec d’autres actants (Lussault, 2007). L’action est assimilée à un effort appliqué en un point réel qui modifie la réalité. Quant aux actants humains, non humains (animaux, arbres, fleurs…) ou hybrides (groupes, agencements ou espaces verts), ils représentent une « réalité sociale quelconque dotée d’une capacité à contribuer à l’organisation et à la dynamique d’une action » (Lussault, 2007). L’espace vert est une ressource sociale et environnementale complexe, mobilisée et transformée dans, par et pour l’action (Lussault, 2007). Toutes les personnes qui affectent le territoire, tous les usagers de l’espace et des ressources et tous les demandeurs ou les intervenants institutionnels sont considérés comme des acteurs (Beuret, 2011). Ils sont dotés d’un pouvoir de gestion et/ou tenus aux faits des objectifs de l’action (Beuret, 2011). Ils sont capables de percevoir, de se

représenter et de se projeter dans leur environnement (Moser et Weiss, 2003). Le citoyen est un acteur du devenir des espaces verts par ses pratiques et ses choix quotidiens,

liés à son mode de consommation, ses déplacements ou encore son mode de vie. Il est aux premières loges pour rendre compte de leur état, car il est à la fois usager, c’est-à-dire une personne en relation avec l’espace vert, et utilisateur, c’est-à-dire celui pour qui l’espace vert est créé. Il est considéré comme autant, voire mieux, informé que les spécialistes ou politiques

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grâce à leur ancrage dans le monde concret (Durance, 2010). L’expert, comme l’aménageur ou le technicien, fait « naître des représentations dans l’imaginaire des habitants » (Vincent et Fischer, 1998 dans Tortel, 1998). C’est celui qui aménage l’espace. Il est la personne la plus compétente dans son domaine et rapporte des connaissances fiables au sujet de l’action et de ses impacts. L’acteur politique prête une attention particulière à l’appropriation du territoire et de la politique qu’il mène sur ces espaces. Il s’assure du succès du résultat de ses actions. Les acteurs économiques sont les entreprises de biens et de services ou encore les administrations qui soutiennent ou financent l’action. Les gestionnaires des espaces verts possèdent les informations leurs permettant d’appréhender leur coût d’entretien et d’utiliser aux mieux les ressources dont ils disposent. Ils analysent les atouts et les faiblesses de chacun des modes de gestion (Pôle de Compétence Espaces Verts (Montpellier), 2001). Enfin, les organisations syndicales, le monde associatif ou encore les collectivités locales sont des acteurs sociaux non négligeables particulièrement dans le domaine environnemental. En effet, c’est bien souvent aux travers de revendication ou d’actes pédagogiques, que les populations sont sensibilisées aux questions de protection de la nature. Lascoumes (1994) relève une double fonctionnalité des acteurs sociaux : tout d’abord ils assurent une fonction culturelle de formation, que le plus souvent aucune autre institution n’accomplit et ensuite, ils proposent des actions publiques majeures de suivi de l’application des lois et de dénonciation de leurs violations.

L’analyse du « système des acteurs » renvoie à l’étude des stratégies. Bailly et al,. (1995) proposent de faire le lien entre stratégie et acteurs grâce à quatre usages de l’espace classés en catégorie :

- « habiter », c’est-à-dire le premier besoin humain ;

- « approprier » qui renvoie au statut de l’implantation humaine ; - « produit-exploité » pour marquer son espace ;

- « échanger » mettant en valeur les complémentarités de production.

« Ces usages génèrent une gestion de l’espace, créatrice de paysages, régions, de nations… » (Groupe Chamonix-Sérignan, 1995). Les relations entre acteurs, dérivées de l’usage de l’espace, peuvent être conflictuelles (Gravari-Barbas et Veschambre, 2000). Elles s’inscrivent dans un « jeu d’acteur » que le géographe cherche à démêler. « Les jeux d’acteurs et les enjeux de pouvoir sont en général des composantes majeures de la problématique environnementale » (Lascoumes, 1994). Cependant, le conflit n’est pas nécessairement un obstacle au bon déroulement des relations humaines, il peut être perçu comme une modalité des rapports sociaux parmi d’autres (Torre in Zuindeau, 2010). D’après Gravari-Barbas

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(2000), le conflit est un « révélateur pertinent de la manière dont les acteurs cherchent à se placer et à faire valoir leurs revendications ou encore à construire ou à contrôler des territoires ». Donnons deux exemples issus de la rencontre entre différents acteurs du territoire organisée sur le thème de la « vision partagée de la Pinède de Juan-les-Pins », réalisés dans le cadre de cette recherche, pour comprendre à quels niveaux le conflit est susceptible d’émerger. Le premier concerne une situation de conflit d’usage, lié à la catégorie « produit- exploité », entre des utilisateurs publics et privés du site. Le second conflit d’usage est lié à la catégorie « approprier » où il s’agit d’une discussion révélant la multiplicité des usages du site et donc des conflits potentiels subjacents. Les bonnes conditions de cette rencontre ont permis de faire évoluer la discussion dans un climat de bienveillance et de soulever les enjeux de cet espace.

- Exemple 1 : Discussion autour des points négatifs que nous pouvons trouver à la Pinède de Juan-les-Pins en rapport avec les activités touristiques proposées sur le site.

Extrait du débat concernant l’atelier PINS :

Animateur : Question 5, qu’est-ce qui est négatif à la pinède et pourquoi

c’est négatif selon vous ?

Association A : C’est en plein été les cuisines. Elue : Les extractions des cuisines !

Association A : C’est incroyable qu’on puisse autoriser cela. Elue : Ce n’est pas autorisé c’est toléré, mais on est bien d’accord. Association A : Avant c’était encore pire, comme les poubelles et

containers. Quand c’est plein, en plein mois d’aout […] on ne sait pas où mettre les trucs.

Touriste 27 : Les manèges ça c’est moi, alors bien sûr par rapport à

mes critères, pour moi c’est négatif parce que d’accord on cherche à ce que la population réintègre cet espace, se réapproprie l’espace mais pas avec ça, avec un jardin d’enfant parce que c’est un lieu de partage etc… mais ce genre de commerce moi non.

Administré 25 : C’est mettre du privé dans du public.

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Administré 40 : Pour moi car j’ai aussi pris cette photo, ça devrait être à

l’extérieur dans cette zone on peut mettre du loisir oui ! Mais en périphérie de la zone naturelle ou en tout cas ce qu’on a envie qui reste naturel.

Association B : Ça ne me choque pas tant que ça. Ça me fait penser au

château à Nice, y a des manèges comme ça, avec des snacks, là y a pas de snacks, de ventes dedans, souvent ça se retrouve, à Cannes c’est pareil, à la roseraie je connais tous les trucs à proximité (rire) au centre-ville d’Antibes c’est pareil.

- Exemple 2 : Discussion autour de ce qui est spécifique à la Pinède de Juan-les-Pins par rapport aux autres espaces verts de la commune.

Extrait du débat concernant l’atelier PINS :

Animateur : Donc par exemple la question 1 : qu’est-ce qui est

spécifique à la pinède de Juan-les-pins ? Ça c’est toi, est-ce que tu peux nous dire pourquoi ici c’est particulier ?

Touriste 27 : Oui c’est pour la bibliothèque, pas pour la voiture hein !

C’est juste que j’ai trouvé ça typique qu’il y ait une bibliothèque au milieu d’une pinède donc voilà c’est pour ça que je l’ai pris en photo.

Animateur : Ok merci. Ensuite.

Administrée 29 : Ça c’est moi. La statue pour le jazz. Animateur : Les boulistes c’est toi ?

Administré 25 : Ce n’est pas tous les jours qu’au milieu d’une pinède on

a des boulistes dans un espace vert !

Administré 40 : C’est moi ! C’était à travers la pinède, on voit une vue

dégagée, on aperçoit à la fois de la végétation haute, un sol nu et la vue mer, on a l’impression d’être […] de retrouver la vue dans les Andes.

Elue : On est dans les Alpes Maritimes ! Administré 40 : On est en ville enfin…

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Association B : C’est la mienne. Donc moi, c’est la nature en ville

quoi, le témoignage de ce qui était là avant la ville voilà, c’est la nature qui est là et puis la ville qui s’est construite autour.

Association A : Qui s’est construite dedans !

Le conflit d’usage portant directement sur l’utilisation ou l’appropriation de l’espace, est une situation que met en concurrence plusieurs acteurs au sein d’une même société (Cattaruzza et Sintès, 2011). Afin de définir le contexte du conflit, Cattaruzza et Sintès (2011) propose de prendre en compte quatre facteurs : les caractéristiques professionnelles de la population, les enjeux et dynamiques du territoire, l’histoire de l’espace concerné et les rivalités entre les acteurs locaux. Dans le domaine de la gestion du conflit, le géographe tente de donner aux acteurs des « clés de lecture » de la problématique à traiter afin de cibler les modalités de sortie du conflit « par le haut » (Le Goascoz et Abraham, 2000). L’approche géographique, soulignant la dimension spatiale, est essentielle pour analyser les conflits. En effet, le géographe s’intéresse à la manière dont les différents groupes sociaux utilisent les ressources environnementales et patrimoniales, et les différentes façons dont ils veulent se les approprier (Gravari-Barbas et Veschambre, 2000). Les conflits sont d’ordres : idéologiques, politiques, syndicaux ou encore culturels et patrimoniaux (Leschambre, 2000). Les causes peuvent être liées à une mauvaise gestion de l’espace, à l’état même de l’espace, ou encore par rapport au choix d’un aménagement modifiant le territoire (Charlier dans Cattaruzza et Sintès, 2011).

Le groupe MANON8 recommande d’anticiper les difficultés futures et de hiérarchiser les enjeux dans un conflit. Il propose trois scénarios « d'évolution possible des modalités de gestion des conflits d'usage » pour aider les décisionnaires (Actu-Environnement, 2005) :

- la gestion publique dite « scénario Rond », où l’ensemble des acteurs de l’espace participe à tous les niveaux à des consultations afin d’anticiper les conflits potentiels ; - la gestion marchande dite « scénario Mercato », où il y a un renforcement du recours

aux tribunaux et aux solutions de marché pour répondre aux conflits ; - la gestion locale concertée dite « scénario Ovalie ».

8 Alain ETCHEGOYEN, Commissaire au Plan et Marc GUERIN, chef du groupe de projet MANON, ont rendu public les propositions du Plan sur le rôle de l'Etat en matière de gestion des conflits d'usage dans les territoires à l'horizon 2020 (Actu-Environnement, 2005).

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Ces scénarios se distinguent par leur degré de confiance et de coopération entre les acteurs, la capacité des pouvoirs publics à articuler les échelles géographiques de décision et enfin par l’efficacité des outils d’incitation, de gestion et d’acceptation sociale (Actu-Environnement, 2005). Dans notre travail, nous nous rapprochons du dernier scénario pour anticiper les difficultés et classer les enjeux, qui tend vers le développement d’une politique de gestion locale et concertée des espaces verts d’une municipalité, tout en accompagnant les acteurs du territoire à travers une démarche participative, impliquant l’utilisation d’outils collaboratifs.

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